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Côte d'Ivoire- Interview : «L’actuel sénat est illégal», Kouassi Kouamé Patrice dit KKP

apr-news/ Kouassi Kouamé Patrice Député de Yamoussoukro
Jeudi, 10 mai 2018

Côte d'Ivoire- Interview : «L’actuel sénat est illégal», Kouassi Kouamé Patrice dit KKP

APRNEWS- Dans cette deuxième et dernière partie de l’interview qu’il nous a accordée dans la foulée de la fête du Travail, le 1er mai à Yamoussoukro, Kouassi Kouamé Patrice dit Kkp, député (Yamoussoukro commune), cadre du Pdci-Rda,  se prononce sur le sénat et le transfert de la capitale à Yamoussoukro.

 Quand vous regardez Yamoussoukro aujourd’hui, quels sont ses problèmes et que comptez-vous faire pour résoudre un certain nombre d’entre eux?

Alors les problèmes de Yamoussoukro sont multiples et structurels. Nous avons une commune, nous avons un District. Je pense que ça contribue à créer une cacophonie au niveau de la gestion de la commune. Il faudrait trouver une solution rapidement à cela. Vous savez, vous avez une ville comme Paris  et vous avez différentes mairies dans la ville.  Que c’est ce modèle qu’il faudrait reproduire à Yamoussoukro.  Vous avez des conflits de compétence. Et même quand il n’y a pas de conflit de compétences, les dirigeants en créent. Ce sont donc des freins au développement de Yamoussoukro.  Mais la problématique majeure à Yamoussoukro, c’est que vous avez un transfert de la capitale  qui, en tout cas, je peux le dire avec certitude,  ne se fera pas d’ici 2020.

Et pourquoi ?

Mais pour des raisons évidentes. On me dit, on transfère le Sénat à Yamoussoukro, donc le transfert de la capitale est en route.  Je dis, excusez-moi, dites-le à d’autres personnes, mais n’insultez pas mon intelligence en venant me dire cela. Alors qu’on voit bien qu’il n’y a pas d’infrastructures pour accueillir le Sénat et qu’il est installé à la Fondation. Je pense que le président Houphouët doit se retourner dans sa tombe s'il voit que le Sénat est hébergé à la Fondation.

Comment expliquez-vous le retard pris dans le transfert de la capitale ?

Écoutez, le transfert de la capitale, c’est une volonté politique tout simplement.  Je le redis encore, pour moi, le transfert de la capitale ne se fera pas d’ici 2020.  Parce que quand on parle de transfert de la capitale, on parle de politique de transfert de la capitale. Avec un chronogramme, avec la construction d’un certain nombre d’infrastructures. Regardez aujourd’hui, les tours administratives du Plateau sont en train d’être réhabilitées. On prévoit la construction d’une nouvelle tour à près de 250 milliards de FCFA alors qu’on nous parle de transfert de la capitale. Mais cette nouvelle tour  aurait dû être construite à Yamoussoukro.  Comment dans ces conditions, ça peut être crédible de dire que le transfert de la capitale se fera à Yamoussoukro ?  Je vous dis non, ce n’est pas crédible !
 
Est-ce que vous avez interpellé les décideurs sur les chantiers ouverts qui ont été laissés à l’abandon à Yamoussoukro ? Parce que ces chantiers-là devaient être menés à terme pour rendre effectif le transfert de la capitale ?

Écoutez, le député dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale peut poser des questions écrites au président de la République.  L’année dernière, à pareil moment, j’avais adressé un courrier au président de la république pour lui poser la question de savoir pourquoi le transfert de la capitale ne se fait toujours pas.  A ce jour, je n’ai pas eu de réponse.

L’avez-vous relancé ?

On ne relance pas un président de la république.  Je pense qu’un président de la République est quelqu’un d’organisé, de structuré. Donc il  a  reçu mon courrier  mais la loi ne lui fait pas obligation de me répondre dans un certain délai.  En même temps, j’ai pris la population à témoin en leur disant que j’ai écrit au président de la République pour savoir pourquoi est-ce que le transfert de la capitale ne se fait pas depuis,  mais je n’ai pas eu de réponse. Donc, je pense que la population aura compris également que pas de réponse, c’est également une réponse.

Pensez-vous qu’il y a manifestement un manque de volonté politique pour ce transfert de la capitale ?

Je ne pense pas, je le constate. Parce que d’abord ça a été une promesse de campagne par deux fois. Ensuite, c’est une obligation légale. Ce n’est pas une option pour le président de la république.  Quand on prend des lois, on doit les exécuter, soit en prenant des décrets derrière, soit en les mettant en œuvre. Surtout lorsque dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale, un député vous interroge en disant monsieur le président pourquoi le transfert de la capitale ne se fait pas.  Si vous ne donnez pas de réponse, c’est une réponse.

Quel est aujourd’hui le sentiment de la chefferie par rapport à tout ça quand on sait que cette promesse de campagne de transfert de la capitale à Yamoussoukro a été faite en leur présence ?

Vous savez,  je dois vous dire que culturellement, nous nos chefs n’ont pas vocation à s’exprimer. Surtout dans l’arène politique. Ils regardent, ils ne disent rien, mais ils n’en pensent pas moins. Ce que je puis dire aujourd’hui, c’est que beaucoup de chefs avaient fondé l’espoir que le transfert de la capitale se ferait. Beaucoup d’habitants et de familles  installées de longue date à Yamoussoukro avaient espéré que leurs enfants, leurs neveux auraient des emplois avec le transfert. C’est la préoccupation des populations que nous rencontrons aujourd’hui. La déception vient de là. De l’espoir qui est né et qui n’a pas vu d’aboutissement.

Êtes-vous d’avis pour dire que Yamoussoukro est abandonnée depuis la mort d’Houphouët ?

Ça une fois de plus, c’est factuel! Roulez dans la ville et regardez le nombre  de lampadaires qui sont grillées  et qui ne permettent pas l’éclairage public, regardez l’état lamentable des routes qui sont dégradées. Je ne parle même pas des bâtiments  tels que le lycée scientifique ou les autres infrastructures qui sont dans un état de délabrement très avancé. La Fondation aujourd’hui,  où va être logée le Sénat, c’est 12 milliards de Fcfa pour réhabiliter ce bâtiment-là à ce que j’ai entendu. Regardez-vous-même et vous ferez le constat que Yamoussoukro est à l’abandon depuis fort longtemps.

Il y a un débat qui a cours sur la réforme de la Commission électorale indépendante. Quelle est votre position sur cette question ? 

Avant de donner mon point de vue sur la question, je vais revenir sur la position de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Je pense que cette cour a donné une position en droit à la requête introduite par la l'Apdh. C'est une décision qui me semble être assez claire sur la composition de la Cei, pour qu'elle soit une commission électorale véritablement indépendante. Sur les points qui ont été soulevés par la commission africaine des droits de l'homme, celui qui me semble le plus important est la représentation des partis politiques et des ministères de tutelle au sein de la commission. En substance, la Cour a dit que lorsqu'il y a des représentants au sein de la Cei, ces derniers ne sauraient être indépendants par rapport à leurs mandants. Donc, il est évident que la question de la représentation au sein de la commission électorale pose problème. J'adhère totalement à cette position parce qu'un mandataire ne peut pas être indépendant de son mandant. Cette position de la commission africaine est donc pertinente. C'est pourquoi nous avons déposé une proposition de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale pour la réforme de la Cei. 

Avez-vous déposé cette proposition de loi à titre individuel ou dans le cadre du groupe parlementaire ? 

La Constitution dit que le Président de la République fait un projet de loi et le député fait une proposition de loi. C'est donc une proposition qui a été déposée par le député de Yamoussoukro commune, Kouassi Kouamé Patrice. 

Vous avez parlé de la décision qui a été rendue par la Commission africaine des droits de l'homme. Mais cette décision ne semble pas intéresser l'Etat de Côte d'Ivoire. Comment expliquez-vous cette situation ? 

C'est le problème que nous avons en droit international, au sujet de l'application des décisions et des conventions internationales qui sont ratifiées par nos États. Donc c'est une exécution qui est volontaire et on ne peut pas obliger un Etat à exécuter une décision si toutefois il n'en a pas la volonté. Mais ce que je pense, c'est que l'exécutif estime qu'il n'est pas opportun politiquement d'exécuter cette décision immédiatement. Je crois que l'exécutif doit être confortable avec l'actuelle Cei et n'entend pas la changer tant que les échéances électorales locales ne sont pas passées. 

Toute cette situation amène à douter du processus électoral en Côte d'Ivoire. Quelle est votre appréciation ? 

Je pense qu'on devrait également demander à la Haute autorité pour la bonne gouvernance de s'impliquer dans le processus électoral. Il y a aussi la Société civile. Je pense qu'ils sont les mieux placés pour voir effectivement ce qui se passe en termes d'irrégularités du processus électoral. Je pense que la Haute autorité pour la bonne gouvernance devrait s'impliquer pour soit, prévenir la corruption, soit sanctionner la corruption. Mais il est clair que la corruption gangrène le processus électoral en Côte d'Ivoire. Tout le monde sait que l'argent circule pour corrompre les électeurs. Et rien n'est fait. C'est inscrit dans le jeu politique en Côte d'Ivoire. 

Pourquoi, c'est maintenant que vous dénoncez cette situation ? 

Chaque chose en son temps. Je suis un élu de la nation depuis seulement une année. Nous avons pris fonction au mois d'avril et j'estime que je fais ma part en tant qu'élu.

Vous êtes député de Yamoussoukro Commune mais vous étiez absent à la cérémonie d'installation du Sénat à Yamoussoukro. Avez-vous des explications à donner à cette absence? 

Le Sénat, tel qu'il a été installé, est inconstitutionnel et je m'inscris dans la légalité. Le tiers des membres du Sénat qui doit être nommé, n'est toujours pas nommé. Dans ces conditions, j'ai estimé que le Sénat n'était pas représentatif du Sénat tel que prévu par la Constitution. De surcroît, constitutionnellement, le Sénat devrait être installé une semaine après l'ouverture de la session parlementaire. Cela n'a pas été le cas, il a été installé postérieurement à cette date là. Voici les deux raisons pour lesquelles je n'ai pas pris part à cette cérémonie. 

Nous constatons que nous allons de violation en violation des textes qui régissent notre pays. Quel en est votre commentaire ? 

Vous savez, le politique a toujours son calendrier qui n'est pas un calendrier légal. Il prend toujours des libertés par rapport à l'application de la loi selon que ses intérêts convergent avec la loi ou pas. Le meilleur exemple que je puisse prendre, c'est la campagne anti-corruption qui est menée à travers tout le pays par la Haute autorité pour la bonne gouvernance, alors que la Haute cour de justice qui devrait juger le Président de la République et les membres du gouvernement, n'est toujours pas installée. Donc on se retrouve dans une situation de deux poids, deux mesures. Où le citoyen lambda qui commet un acte de corruption est passible de poursuite devant les tribunaux par rapport cette infraction, alors qu'un membre du gouvernement qui commet une infraction ne serait passible d'aucune poursuite puisque la juridiction qui doit le juger n'existe pas. 

Il y a de nombreuses institutions existantes qui ne fonctionnent pas. Par exemple la Grande médiature... Est-ce que le Sénat n'est pas une institution de trop ? 

Je vous rappelle que nous sommes dans un régime présidentiel. Conformément à cela, c'est le Président de la République qui définit sa politique. Ce sont les Ivoiriens qui ont élu le Président la République. Je pense que si les Ivoiriens ne sont pas contents, ils devraient interpeller le Président de la République à qui ils devraient poser des questions, en commençant par les élus. N'oubliez pas que dans le cadre du contrôle de l'action gouvernementale, les députés peuvent poser des questions au président de la République par rapport à l'application des lois. 

En tant qu'élu, avez-vous une fois posé ce genre de questions au Président de la République ? 

Oui, j'ai interrogé le Président de la République l'année dernière sur la question du transfert de la capitale. Mais à ce jour, je n'ai pas encore eu de réponse.

Avez-vous posé d'autres questions sur d'autres sujets ? 

Il faut savoir que le contrôle de l'action gouvernementale se fait par des questions écrites ou des questions orales au président de la République. Alors je ne suis pas le seul député qui a eu à adresser des questions au président de la République. Nous avons plusieurs députés qui ont eu à poser des questions au Président de la République. Selon les ministères, il a eu des ministres qui ont répondu et d'autres pas de réponse. Il faut aussi rappeler que la constitution n'enferme pas dans un délai légal la réponse du président de la République. 

Quel commentaire faites vous de l'incident qui a lieu entre la dame policière et  votre collègue député. On a vu les députés se mobiliser pour réclamer la libération de leur collègue. Est-ce qu'on pourrait dire que vous êtes au dessus de la loi ? 
 
Le député ne se met pas au dessus de la loi, mais en même temps, ce n'est pas parce qu'on est député que cela devrait nous causer un préjudice. N'importe quel citoyen dans ce pays a le droit de se défendre et bénéficie également de la présomption d'innocence. Mais pourquoi est-ce qu'un député ne devrait pas bénéficier de la présomption d'innocence ? Donc c'est en ce sens que nous disons que certes, nous ne sommes pas au dessus de la loi, mais nous ne sommes pas en dessous de la loi non plus. Quand nous constatons des violations flagrantes de la loi par rapport à un député, on peut également les dénoncer et c'est ce que nous avons fait

Avec Le Temps et L'Inter