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Côte d’Ivoire- Transport : Sous la loi des ‘’syndicats’’

apr-news/ Sous la loi des ‘’syndicats’’
Dimanche, 28 janvier 2018

Côte d’Ivoire- Transport : Sous la loi des ‘’syndicats’’

APRNEWS- Le secteur du transport terrestre ivoirien est pris en otage par des organisations qui opèrent sous le couvert du mot ‘’syndicat’’. 

La définition du terme permettra de savoir si les groupes qui occupent les gares ivoiriennes sont des syndicats ou des groupes mafieux. Un syndicat est par définition une association de personnes dont le but est de défendre les droits et les intérêts sociaux, économiques et professionnels de ses adhérents. Il ressort de la définition deux éléments majeurs. 

Primo, un syndicat est une association, ce qui revient à dire qu’il doit être autorisé par les autorités au regard des conditions fixées pour exercer. Secundo,  l’organisation a la mission de défendre les intérêts de ses membres, de les représenter. Si en Côte d’Ivoire, des syndicats du secteur du transport opèrent dans la légalité, il existe en revanche des ‘’syndicats’’ de fait, créés au gré des humeurs de leurs ‘’gourous’’.

C’est par exemple le cas des groupes de jeunes postés dans les gares, carrefours et le long des voies dont la véritable mission consiste non à défendre les intérêts moraux et sociaux de leur corporation, mais plutôt à extorquer de l’argent aux transporteurs et aux voyageurs. ‘’Syndicat’’ ou ‘’Gnambros’’, ces groupes devenus la gangrène du monde du transport, continuent d’imposer leur loi.

Le racket à ciel ouvert

Le district d’Abidjan et des grandes villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire sont depuis des décennies sous la loi des ‘’syndicats’’. Organisés en groupes de jeunes, ils assiègent les gares pour se constituer une fortune. Le mode opératoire varie d’une gare à une autre. En règle générale, les mini-cars de transport en commun communément appelés ‘’gbaka’’ ou ‘’massa’’, paient des droits aux syndicats. Le montant oscille entre 100 FCFA et 500 FCFA. Mais, il faut noter que les syndicats peuvent être amenés à exiger un peu plus. 

A cette forme classique de se greffe une autre qui n’est rien d’autre qu’un racket. Par exemple à la gare Siporex de Yopougon, à la descente du 2ème pont, des jeunes courent aider les apprentis des mini-cars à décharger leurs engins. Le passager dont les affaires ont été portées par les ‘’syndicalistes’’, sont obligés de remettre à ces derniers, une somme dont le montant est compris entre 1000 FCFA et 5000 FCFA. Le spectacle est le même à l’entrée d’Abidjan au niveau du quartier Gesco, à Yopougon. Le drame à cet endroit, est que les passagers doivent non seulement remettre de l’argent aux syndicats, mais en plus, les brouettes qui transportent leurs bagages à domicile doivent verser des taxes aux ‘’syndicats’’ ‘’propriétaires’’ de ce lieu de stationnement. Les ‘’marchés Gouro’’ de la même commune, les gares d’Adjamé, Treichville, Koumassi et Abobo n’échappent pas à cette réalité. 

Le pouvoir des ‘’Gnambros’’ n’est pas à négliger dans ce processus de racket. Ces jeunes désœuvrés à l’origine qui parcouraient les gares pour charger les véhicules moyennant une piécette de 50 ou 100 FCFA, sont devenus des grands manitous au fil des années. Ils occupent une place non négligeable dans la grande famille des ‘’syndicats’’. Leurs interlocuteurs directs sont les chauffeurs des mini-cars de transport en commun. Ils ont un droit sur les passagers qui prennent place à bord de ces engins à certains points stratégiques. 

Le règne de la violence

La perception des taxes dans la corporation des ‘’syndicats’’ obéit à une seule règle : la violence. Toute personne ‘’imposable’’ qui refuse de se soumettre à la loi des ‘’syndicats’’ subit la rage de ces derniers. Soit l’on assiste à une bagarre rangée entre d’une part, les ‘’Gnambros’’ et d’autre part, l’apprenti et le chauffeur, soit à une rixe avec les passagers ou le petit conducteur de brouette qui refuse de s’exécuter. 

Il existe également une violence née de velléités de contrôle d’un espace juteux. Dans ce cas, ce sont des groupes de syndicats qui s’affrontent. Tout y passe, les armes à feu, les armes blanches. Plusieurs communes ont déjà été le théâtre de tels affrontements. 

En décembre 2016 et mai 2017, un groupe de ‘’syndicats’’ s’était affronté pour le contrôle de la gare de Bassam à Treichville. Deux morts avaient été enregistrés lors de ces affrontements. Le 3 janvier 2018, ces mêmes groupes ont remis le couvert. Armés de machettes et de couteaux, ils ont semé le désordre à la gare de Bassam. N’eût été la prompte intervention des forces de l’ordre, les ivoiriens auraient vécu des heures sombres. Le 8 janvier des affrontements entre ces jeunes ‘’syndicats’’ avaient été également signalés à Anyama, une autre commune du district d’Abidjan. On n’oubliera pas ce fait surréaliste qui s’est produit dans la commune de Yopougon en novembre 2017. Un ‘’Gnambro’’ avait égorgé un apprenti-gbaka pour la modique somme de 50 FCFA.

Face à cette violence omniprésente dans le milieu, l’impuissance de l’Etat interroge.

Impuissance de l’Etat

Que fait l’Etat ? L’on constate l’impuissance des autorités face à ce phénomène qui prend des allures inquiétantes. Les gouvernements qui se sont succédés à la tête de l’Etat, n’ont pas été à la mesure des attentes de la population sur la question des ‘’syndicats’’. Ces groupes semblent bénéficier d’un ‘’sauf-conduit’’ qui leur donne le droit de ‘’lourbardiser’’ le secteur du transport ivoirien.

L’Etat qui devrait intervenir en amont pour débarrasser nos villes de ces jeunes, n’agit qu’en aval. Autrement dit, il intervient soit pour interpeller des éléments armés en cas d’affrontements, soit pour constater les dégâts causés par ces ‘’intouchables’’.

Il a été abondamment soutenu que ces groupes de jeunes sont en mission pour des ‘’gourous’’ tapis dans l’ombre, lesquels seraient les premiers bénéficiaires de l’œuvre de racket. Ils contribuent en conséquence à enrichir des individus d’où la multiplication de ces ‘’syndicats’’. Qui sont ces individus ? Les autorités ont-elles connaissance de cette réalité ? 

En outre, certaines personnes affirment que la drogue circulerait au sein de cette corporation. Ce qui suppose que ces groupes sont en relation avec des ‘’fumoirs’’. Ils seraient donc des complices de ces lieux de vente de la drogue. D’autres renchérissent pour dire que les ‘’Gnambros’’ seraient, à leurs heures perdues, des ‘’microbes’’. 

Ces éléments réunis montrent le danger que représentent ces groupes qui opèrent en toute impunité en Côte d’Ivoire. 

Parallèlement, lesdits éléments constituent des clés pour trouver des pistes de solution. Ne serait-il pas urgent d’identifier les personnes masquées derrière les ‘’syndicats’’ pour trouver des accords afin de pacifier le milieu du transport ? Les jeunes utilisés n’ont en réalité aucun pouvoir de décision. Ils ne sont que de simples exécutants. C’est pourquoi tout doit être mis en œuvre pour établir le dialogue direct avec ces personnes. 

Une autre solution serait que l’Etat procède à une identification de tous les syndicats en règle avec l’administration. Cela permettrait de constituer un fichier unique avec des identifiants et des badges dont le port sera obligatoire. L’objectif à terme, sera d’extraire de la corporation, les faux syndicats.

Dans la continuité de l’identification, l’Etat pourra affirmer son autorité en donnant aux mairies, les moyens (logistiques, militaires, financiers) pour positionner dans les lieux stratégiques de leur commune, des éléments des forces armées. Ces derniers auront pour mission d’interpeller tous les groupes qui s’illustrent dans le racket. La mise hors circuit de ces groupes devrait déboucher sur leur intégration dans des centres de métiers. Ainsi leur réintégration dans la société sera plus aisée.

Serges Kamagaté