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Côte d’Ivoire : Les fondamentaux perdus

Apr-News / Côte d’Ivoire : Les fondamentaux perdus
Jeudi, 8 mars 2018

Côte d’Ivoire : Les fondamentaux perdus

APRNEWS - En Côte d’Ivoire, on assiste impuissamment à une montée de la violence depuis plusieurs années. Les cibles de cette violence sont indubitablement les symboles de l’Etat. 

Pris d’assaut par des populations en colère, les biens de l’Etat ne sont pas les seuls à subir la «rage» populaire. Des vies sont emportées et des biens chèrement acquis par des fonctionnaires ou autres citoyens, disparaissent en quelques minutes comme du beurre au soleil.

Un cycle de violence

De novembre 2014 à mars 2018, huit cas de violence extrême contre les services de l’Etat dans certaines régions, ont été enregistrés.
La boite de pandore s’ouvre en 2014 à Odienné, un département situé au nord-ouest de la Côte d’Ivoire. Le 27 novembre 2014, la mort d’un adolescent de 16 ans a provoqué de violentes manifestations. Le jeune Comara Mousta, conducteur de moto taxi arrêté par la police pour «menace de mort, destruction de bien d’autrui et violence et voie de faits», a été retrouvé mort dans les locaux du commissariat de la ville. En signe de protestation, des manifestants s’en sont pris au commissariat, à la brigade de gendarmerie et à la préfecture. Au cours de ces manifestations des armes des forces de sécurité ont été emportés, de nombreux biens matériels ont été détruits. 

Puis vint le tour de Bouaké le 22 juillet 2016, deuxième ville de la Côte d’Ivoire. Une marche de protestation contre la Compagnie ivoirienne d’électricité (Cie) tourne au vinaigre. La préfecture de police est copieusement pillée et la résidence du maire de la commune est saccagée. Les manifestants emportent des armes ainsi que des treillis militaires.

Trois mois plutard, précisément le 4 octobre 2016, l’on a assisté à une révolte de la population à Katiola au nord du pays. Comme à Odienné, le meurtre d’un jeune répondant au nom de Sawadogo Yaya a été le fait générateur. Soupçonné d’être un voleur, la victime a été abattue par un élément de la police en service dans la ville. Ce fut la levure de la colère populaire. Le commissariat de police ainsi que le domicile d’un officier ont été incendiés. Des engins (voitures et motos) sont partis en fumée et 2 blessés ont été enregistrés.

Le 30 janvier 2017, la sous-préfecture de Bongousso (département d’Odienné), est saccagée par le Caporal-chef Bakary Koné en service au Bataillon de sécurisation du Nord-Ouest (Bsno). Le caporal-chef aurait posé son acte suite à une altercation entre lui et le sous-préfet Gnahoua Dogo Alain Serges. 

L’effet boule de neige continua et le 4 mai 2017, le feu fit mis aux poudres à Ouangolodougou dans l’extrême nord du pays. Suite à une affaire de bornage d’espaces réservés pour l’extension des écoles primaires Epp Cidt et château, des milliers d’habitants ont violemment manifesté  pour exiger le départ du préfet. L’administrateur civil a eu la vie sauve grâce à la prompte intervention  des gendarmes qui ont procédé à son exfiltration. Sa résidence a été pillée par les manifestants.

En 2018, les manifestations de colère contre les symboles de l’Etat ont repris  le 5 février 2018 à Soubré, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Après l’incendie du marché central de la ville, les commerçants mécontents ont envahi les rues pour s’exprimer. Lors dedites manifestations, la Mairie de la ville et la résidence du Maire ont été incendiées. 

Dans le même mois, à Bloléquin, à l’ouest, un ressortissant de la ville a été accidentellement tué par un gendarme lors d’une altercation. La bavure a viré au cauchemar dans la ville. Les populations s’en sont prises aux biens publics. La brigade de gendarmerie  a été incendiée ainsi que la résidence du préfet. Le domicile du Sous-préfet a été pillé par la foule en colère. Poussant la bêtise plus loin, les manifestants ont lynché à mort un élément de la brigade de gendarmerie de Bloléquin.

Alors que les ivoiriens se remettaient difficilement du drame de Bloléquin, le 6 mars 2018, un soulèvement de la population contre la gendarmerie de M’Bahiakro, au centre du pays, est signalé. Les élèves investissent les rues suite à la l’assassinat de l’élève Glahou Edmond Chanceline. Ils réclament justice pour leur amie. Les manifestations dégénèrent et vite, les locaux de la gendarmerie sont  pris d’assaut. D’importants dégâts matériels ont été enregistrés. Plusieurs blessés ont été enregistrés dans les rangs des élèves.

Restaurer le maillon brisé

Au milieu de toutes ces dérives, une question s’empresse à notre esprit : Où sont donc passés les fondamentaux ? 

L’ivoirien a visiblement rompu avec ce qui l’a caractérisé pendant plus de 30 ans, c’est-à-dire le respect des symboles de l’Etat. En dehors des revendications politiques ou syndicales qui ont parfois dégénéré, une manifestation de mécontentement a rarement viré à une attaque en règle contre des services déconcentrés de l’Etat. Cela est d’autant plus inquiétant que ces scènes tendent à s’ériger en coutume. Les huit faits énumérés ont fonctionnés comme une épreuve au cours de laquelle l’on passe le témoin à l’autre pour continuer la course. Le danger que cela représente n’est peut-être pas encore perçu. Mais si l’on y prend garde, la récurrence de ces attaques risque de conduire notre société dans le mur.

La perception qu’ont les ivoiriens des autorités préfectorales et des forces de sécurité a profondément été écornée. Elles sont désormais considérées non comme des partenaires mais comme des adversaires à neutraliser. La perception est plus forte au niveau des forces de sécurité.

Pourquoi sommes-nous arrivés à ce stade ? Les raisons peuvent être recherchées aussi bien dans les crises politiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire que dans la composition de ces forces. En tout état de cause, les relations entre l’armée  et les populations ne devraient aucunement être nourries par des rancœurs ou des désirs de vengeance. L’armée a le devoir de protéger la population qui en retour se doit de la respecter. 

On passe souvent sous silence le fait que le respect des institutions ainsi que des personnes qui les animent, prend forme au cours de l’éducation des enfants. A ce niveau, la responsabilité des parents ne manquent pas d’interpeller. Ont-ils été toujours de bons éducateurs ? N’encouragent-ils pas leurs enfants à bafouer les symboles de l’Etat dans leurs régions ? A bien des égards, certains ont été complices des violences observées, d’autant qu’il n’a jamais été fait mention d’une indignation de parents à la suite d’actes de saccages des services publics. Il apparait donc urgent pour les parents de s’impliquer davantage dans la transmission des valeurs républicaines aux enfants dont ils ont la charge. 

Restaurer le maillon brisé incombe également à l’Etat. Il lui appartient d’intervenir pour que ses agents en mission dans les différentes localités servent dans un environnement sécuritaire adéquat. L’arme la plus efficace pour «exorciser» le mal ne se trouve pas au bout de la baïonnette. Les meilleurs canaux de lutte contre «la révolte» cyclique constatée, sont les associations de femmes, de jeunes, les organisations religieuses, les Comité de gestion des établissements scolaires publics (Coges), les syndicats d’élèves et étudiants.

L’Etat devrait faire comprendre à ces groupes, l’utilité des services et serviteurs de l’Etat dans les régions. Parallèlement, il devrait instruire les agents des forces de l’ordre à adopter un comportement exemplaire même lors des opérations de maintien de l’ordre. Car, on l’oublie souvent, la violence des hommes en tenue, alimente celle des manifestants.

Il nous faut donc revenir aux fondamentaux : Regarder le drapeau national avec considération, respecter les représentants de l’Etat, œuvrer à l’instauration d’un climat de confiance entre les autorités locales et les populations.

Serges Kamagaté