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APRNEWS : Sahel - Coups d’Etat, saison 2

APRNEWS - Sahel - Coups d’Etat, saison 2
Dimanche, 26 mai 2024

APRNEWS : Sahel - Coups d’Etat, saison 2

APRNEWS - Après la junte malienne, celle du Burkina Faso a décidé la prorogation de la période de transition. La même annonce est attendue prochainement de la part de leurs alliés du Niger. Et si, en se maintenant au pouvoir au mépris de leurs engagements,ces régimes putschistes étaient en train de commettre des putschs additionnels ?

APRNEWS - Le Mali a donné le ton et montré la voie : les dirigeants de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Mali, Burkina Faso, Niger) sont là pour durer. Le simulacre de dialogue national organisé début mai par le pouvoir militaire malien avait plutôt les allures d’un monologue, en l’absence notamment des partis de l’opposition dont les activités ont été « suspendues » quelques jours plus tôt. Les conclusions de ces « consultations » ont porté essentiellement sur deux points : la prorogation de la durée de la transition et la validation d’une candidature du chef de la junte, Assimi Goïta, à une prochaine et hypothétique élection présidentielle. Alors que la fin de la transition était attendue le 26 mars dernier, les autorités militaires pourraient se maintenir au pouvoir pour cinq années supplémentaires, et peut-être davantage.

Après le Mali devenu la « maison mère » des juntes du Sahel, c’est au tour du Burkina Faso du capitaine Ibrahim Traoré, dit « IB »,d’annoncer une rallonge de pas moins de cinq ans de la transition militaire. La nouvelle a été connue ce 25 mai, dès l’ouverture des « assises nationales » officiellement destinées à « faire un bilan des mois écoulés, décider s’il faut donner une suite à la transition et quelle suite lui donner », selon les autorités. Cette annonce intervient après plusieurs semaines au cours desquelles les partisans de la junte burkinabé se sont activés sur différents fronts, multipliant les offensivescommunicationnelles. Les médias associés à la cause du pouvoir militaire ont publié quantité d’articles destinés à « instaurer le débat » sur le sujet. Objectif : « préparer les esprits » àl’échéance de l’annonce du nouveau chapitre de l’agenda de la junte, même si, pour beaucoup, l’affaire était déjà entendue. Argument immuablement asséné par les promoteurs d’une installation durable du pouvoir militaire : la lutte contre l’insécurité et le terrorisme. Une lutte sans fin et sans horizon prévisible. Un argument qui, soit dit en passant, pulvérise sans vergogne les propos inauguraux du capitaine Ibrahim Traoré qui avait promis, après la commission de son coup d’Etat en septembre 2022, de restaurer la sécurité sur le territoire… en trois ou quatre mois. 

Despotisme, impostures politiques et fanatisme

Afin de créer un climat favorable à sa cause, le régime putschiste a pu également s’appuyer sur des organisations locales affectées aux actions de soutien. Parmi elles, la Coordination nationale des associations de la veille citoyenne. A l’occasion d’une conférence de presse tenue le 9 avril dernier à Bobo-Dioulasso (à l’ouest du pays), cette dernière avertement mis en garde les « ennemis du pays qui cherchent à saboter la transition ». Désignés « apatrides », tous les Burkinabèsqui osent critiquer « la lutte héroïque du peuple vers l’horizon du bonheur ». Les membres de la Coordination ont de nouveau exhorté les autorités du pays à retirer leur nationalité à ces « ennemis du peuple ». Proférant que « toute personne qui est contre le capitaine Ibrahim Traoré et son équipe est contre le peuple, et nous verra toujours en face », ils ont réclamé la prolongation « sans condition » de la transition. 

Autres promoteurs de l’opération « prolongation », les « sentinelles de la transition », localement connues sous l’appellation de « Wayignan ». Ces militants pro-junte s’estiment acteurs d’une « révolution » et clament leur aversion pour la démocratie et les élections. Leur mission, expliquent-ils, est « d’empêcher un nouveau coup d’Etat » contre les putschistes actuellement au pouvoir. Pour cela, ils se disent prêts à user de diverses formes de violences, tout en appelant l’Etat à en faire autant. Pour eux, la société burkinabè se compose aujourd’hui de deux catégories : les patriotes et les apatrides. Se comportant parfois comme des supplétifs des forces de sécurité, ces champions toutes catégories de la dévotion envers la junte burkinabé traquent les personnes jugées déviantes et méritant, selon eux, d’être appréhendées et dûment châtiées. Chez les Wayignan, la propagande permanente se nourrit d’excès fanatiques. Un slogan résume leurs actions : « IB à vie, IB pourtoujours ». Le coup d’Etat d’Ibrahim Traoré a bien projeté le Burkina Faso dans le tourbillon du despotisme, des impostures politiques, du fanatisme et de la déraison.

Coup d’Etat subsidiaire

Avant la prévisible annonce de son maintien au sommet de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré aura également recouru à la fameuse recette de la désignation d’ennemis extérieurs. Cible désormais signalée : la Côte d’Ivoire. Selon le néo-conducator burkinabé, « tous les déstabilisateurs du Burkina Faso sont en Côte d’Ivoire ». En réponse, l’éditorialiste Venance Konan écrivait, dans l’édition du 18 mai dernier du quotidien ivoirien Fraternité Matin : « L’ennemi de ces trois pays (Burkina Faso, Mali, Niger, ndlr) était la France. (…) La France partie, chaque pays de l’AES s’est cherché son ennemi. Celui du Niger est le Bénin, celui du Burkina Faso la Côte d’Ivoire, et celui du Mali, la Mauritanie. C’est très commode d’avoir un ennemi pour expliquer ses échecs. Et chacun accuse son ennemi choisi de vouloir lui faire la guerre. Oui, si nous ne réussissons pas à chasser les djihadistes, c’est parce que la Côte d’Ivoire les héberge, et d’ailleurs la Côte d’Ivoire veut nous attaquer. Attaquer le Burkina Faso pour gagner quoi, Seigneur ! Le Bénin, attaquer le Niger pour gagner quoi ? (…) Mais le problème n’est pas là. Aux dictatures, il faut absolument un ennemi. Sinon ils savent que personne ici, ou au Bénin, ou en Mauritanie n’a l’intention de s’en prendre à eux. »

A présent, que vont faire les juntes du Burkina Faso et du Mali du temps qu’ils ont décidé de se donner aux commandes des Etats ? Vont-ils s’engager à améliorer le quotidien des populations comme tout dirigeant en a le devoir et l’obligation ? Continueront-ils à débiter des discours oiseux promettant des lendemains prétendument « souverainistes » ?Vont-ils continuer à désigner d’invisibles « ennemis » comme les empêcheurs de l’accomplissement de leur improbable projet ? Après le Mali et le Burkina Faso, ce sera bientôt au tour de leurs alliés du Niger de prolonger la transition. Rien de surprenant, au fond, pour les observateurs – nous en sommes – qui ont constamment signalé depuis deux ans que les acteurs sahéliens des coups d’Etat « nouvelle génération » avaient pour projet d’imposer durablement à leurs concitoyensleur bon droit. 

Le non-respect des délais des transitions – consignés dans des chartes - auxquels ont souscrit ces militaires pourraient s’assimiler à des coups d’Etat subsidiaires. Un coup d’Etat de plus, complétant les précédents, avec les mêmes acteurs. A cet égard, on peut d’ailleurs s’étonner que tous ceux qui soutiennent cesfrauduleuses conduites sont les mêmes qui, à juste titre, condamnent les modifications opportunistes des constitutions perpétrées par des dirigeants civils dans le but de se maintenir indéfiniment au pouvoir. Le comportement de ces juntes est à verser dans ce même registredes forfaitures politiques.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.