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APRNEWS : L’ordre public, l’arme des pouvoirs contre l’opposition

APRNEWS - L’ordre public, l’arme des pouvoirs contre l’opposition - Par Jean Clotaire Tétiali
Dimanche, 17 décembre 2023

APRNEWS : L’ordre public, l’arme des pouvoirs contre l’opposition

APRNEWS - Le rapport entre le droit et la morale est depuis quelques années l’objet d’un nouvel investissement de la part de la doctrine juridique, à la recherche d’un nouvel équilibre entre la liberté individuelle d’un côté, et l’affirmation de droits ou de valeurs vus comme impératifs. Voilà comment apparait la notion d’ordre public. Un concept rigoureusement indéfinissable, mais qui est aujourd’hui une redoutable arme que possèdent les pouvoirs africains contre leur opposition. Mais une arme qui expose le juge aussi.

APRNEWS - Le danger de l’ordre public réside dans le caractère évanescent de son contenu. Le même terme renvoie, pour les uns, à des questions de vie ou de mort, de torture ou de massacres, alors que, pour d’autres, c’est une question de tranquillité, la tranquillité publique. Ce petit côté rigoureusement indéfinissable est sa part d’ombre qui, à la fois, sert de renfort à de nombreux demandeurs en justice. Il leur suffira, pour appuyer leur plainte, de montrer la probabilité d’avènement de troubles ou leur imminence. L’ordonnance du juge des référés du tribunal d'Abidjan, par laquelle la justice a ordonné la suspension et le report du congrès du PDCI le 16 décembre dernier illustre bien notre propos. 

En effet, au soutien de leur action, les demandeurs Blesson Christophe et Affoumou Mathieu ont évoqué des irrégularités dans la liste des congressistes. Celle-ci, alléguèrent-ils, ne contient pas le nom de nombreux congressistes, y compris celui de Blesson lui-même. Et pourtant, ces congressistes remplissent toutes les conditions statutaires, martèlent les deux plaignants. Surprise, M. Blesson qui disait ne pas être sur la liste a son nom qui y figure, depuis toujours, en bonne place. Autre chose, Blesson et Affoumou paraissaient porter les plaintes de nombreux congressistes. Ils parlaient au nom des autres. En étaient-ils les représentant légaux, ou les mandants ? S’agissait-il d’une plainte collective émanant d’un syndicat de congressistes ou de militants ?

Pour nos deux demandeurs en référé, les congressistes exclus l’auraient été en raison de soupçons d’une collusion entre eux et certains dirigeants. Ces dirigeants que la présidence intérimaire considèrerait comme politiquement indésirables. Peut-on prouver la matérialité de l’existence d’une liste établie et signée par le président Cowpply de militants politiquement indésirables ?  

Par ailleurs, évoquant leur plus grand grief, les demandeurs indiquent « qu’alors que l’article 41 des statuts énonce clairement les critères de candidature à la présidence du parti, critères qui ne permettent pas de sanctionner des dirigeants qui ont eu des problèmes avec la justice, Maurice Kakou Guikahué s’est vu refuser le droit d’être candidat, à la suite de faits non infractionnels, mais de pur militantisme politique pour le prestige et la grandeur du PDCI ».

Il est notoire que la candidature de M. Guikahué n’a jamais été rejetée. Le comité électoral a même estimé qu’elle était conforme aux exigences des textes statutaires, mais avait seulement émis une réserve quant à des risques pouvant possiblement découler de la procédure judiciaire qui pendait contre l’homme. Il s’agissait alors juste d’une remarque qui n’a fait l’objet d’aucune décision expresse, ni d’aucune signification, mais de quelques conjectures entre membres d’un même parti. Et puis, soit dit en passant, Guikahué était poursuivit pour des faits de « complot contre l’autorité de l’État, mouvement insurrectionnel, assassinat et actes de terrorisme lors de la présidentielle de 2020 ». Ces faits ne peuvent être qualifiés de non infractionnels.

48 heures plus tard, dans un élan de générosité inespérée, la justice a levé la mesure judiciaire contre le professeur. Dès lors, en toute conséquence l’’’invalidité’’ de sa candidature disparaissait comme un effet qui disparait avec sa cause. Malgré cette fin et cette réalité heureuse, Guikahué s’est agrippé à idée que sa candidature a été rejetée, malgré les éclaircissements apportés par le comité électoral. Que fallait-il comprendre !  En tout état de cause, Guikahué est apparu comme la victime d’une politique d’exclusion.  Cette réalité a servi de motivation à la requête de Blesson et Affoumou, ses collaborateurs directs. Naturellement, le juge a prononcé une mesure d’urgence : le congrès du PDCI annulé !

Le dispositif indique que la juge des référés, juge de l’urgence, de l’évidence et de l’incontestable, a statué contradictoirement et en l’absence de toute contestation sérieuse. Et pourtant, le PDCI était absent. En outre, la rapidité de la procédure, le même jour du 15 décembre, n’a nullement favorisé les conditions d’une contestation sérieuse. Mme Touré dit avoir pris des mesures conservatoires ; propres à prévenir un dommage imminent ou des risques de trouble. En s’interrogeant déjà sur les raisons de la célérité de l’exécution d’une mesure de justice non signifiée, on peut s’étonner que Mme le juge ait fait droit à la demande de 2 personnes dans une affaire qui en mobilisait 6700. A-t-elle envisagé, par pure hypothèse, que dans une grande colère, du fait de l’annulation du congrès, les autres congressistes pouvaient semer de grands des troubles ? On a bien vu que le ministre Tidjane Thiam a dû descendre sur le terrain pour calmer les congressistes en colère. 

Enfin, notion délicate et réellement insaisissable, l’ordre public renferme des règles obligatoires qui régissent, dans une nation, tous les domaines de l’activité humaine, jusqu’aux libertés essentielles de chaque individu. Elle est un concept à manipuler vraiment avec précaution. Par exemple, un individu à qui le procureur n’a rien à reprocher fondamentalement, peut être interpelé à tout moment au nom de l’ordre public. L’ordre public permet donc de restreindre les droits et libertés subjectifs individuels en dehors même de tout trouble matériel en vue de la protection d'une exigence dite supérieure. Au nom d’un ensemble de ‘’valeurs de la République’’ quoi ! C’est pourquoi elle est bien plus souvent une arme imparable entre les mains des pouvoirs en Afrique pour réduire au silence des opposants redoutés. Elle enferme le juge lui-même, contre son gré, dans une complicité que peut lui reprocher le verdict de l’histoire. Certains critiques parlent même de l’existence d’une conception inédite de l’ordre public.

Jean Clotaire Tétiali