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APRNEWS : La démence fronto-temporale de Bruce Willis, une maladie peu connue

L'acteur américain Bruce Willis
Jeudi, 23 février 2023

APRNEWS : La démence fronto-temporale de Bruce Willis, une maladie peu connue

APRNEWS - L'annonce de la famille de l'acteur sur son état de santé a mis en lumière cette maladie rare incurable, particulièrement lourde pour les patients et leurs familles.

APRNEWS«Depuis que nous avons annoncé le diagnostic d'aphasie de Bruce au printemps 2022, son état a évolué et nous avons maintenant un diagnostic plus précis: la démence fronto-temporale (DFT). Malheureusement, les problèmes de communication ne sont qu'un symptôme de la maladie à laquelle Bruce est confronté. Bien que cela soit douloureux, c'est un soulagement d'avoir enfin un diagnostic clair.» C'est par ces mots que la famille de celui qui a incarné John McClane à l'écran a précisé de quelle pathologie souffre l'acteur.

Concrètement, les DFT –puisqu'il en existe différentes formes– consistent en une mort progressive des neurones dans la partie frontale et temporale du cerveau. La Dre Isabelle Le Ber, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l'ICM au sein de l'équipe bases moléculaires, physiopathologie et traitement des maladies neurodégénératives, détaille: «Les examens d'imagerie (IRM, TEP) mettent en évidence les lésions frontales et temporales de la maladie.»

 

Il en découle «différents types de symptômes qui surviennent et s'aggravent progressivement: des troubles du comportement avec notamment une perte des convenances sociales, une désinhibition, une apathie, un repli social, une modification de la personnalité, des comportements alimentaires, des comportements répétitifs et stéréotypés, une indifférence affective… Contrairement à la maladie d'Alzheimer, la mémoire est relativement préservée, au début de la maladie au moins. Les troubles cognitifs associés aux DFT sont des difficultés attentionnelles et de concentration, d'organisation, d'élaboration de stratégies, une altération de la cognition sociale.»

La spécialiste ajoute qu'il existe également des formes où «la maladie se manifeste initialement par des troubles du langage (aphasie progressive)». Puis, inexorablement, l'état des malades se dégrade avec des symptômes moteurs: une rigidité des mouvements, des difficultés à marcher, des chutes, des troubles de la déglutition, etc.

En rendant public l'état de santé de Bruce Willis, sa famille a partagé sa volonté d'attirer l'attention sur cette maladie qui «nécessite beaucoup plus de sensibilisation et de recherche» alors qu'elle «affecte tant de personnes et leurs familles». En France, 15.000 à 20.000 personnes sont touchées.

«Elle ne reconnaissait plus son mari»

Dans ce communiqué, les proches de l'acteur pointent du doigt deux aspects de cette maladie qui rendent son diagnostic souvent long et difficile: une installation progressive des symptômes et une méconnaissance tant au sein du corps médical que du grand public. «C'est une maladie insidieuse. Les patients et leur famille subissent souvent une errance diagnostique de quatre à cinq ans», témoigne Dominique de Blanchard, présidente de l'association France-DFT.

Lorsque la maladie se déclare, les premiers symptômes peuvent être pris pour de la fatigue, une dépression ou encore une loufoquerie attribuée à l'âge: «J'avais remarqué ce que je qualifierais de léger changement de comportement plusieurs mois avant les premiers symptômes tangibles et la diagnostic, raconte ainsi Ines, dont la mère souffre de DFT. Maman avait développé des obsessions comme s'assoir sur un siège d'une couleur particulière dans les transports, un intérêt marqué pour un type d'oiseau en particulier, une familiarité prononcée avec les inconnus, un besoin exacerbé de parler aux gens et de leur demander leur origine ainsi qu'un regain d'intérêt pour la religion de ses parents et leur langue maternelle.»

La jeune femme confie également que sa mère avait de plus en plus tendance à égarer son téléphone et perdait progressivement son intérêt à organiser les vacances ou voir des amis. «Nous attribuions tout cela à l'âge, se souvient-elle. Maman avait toujours été tactile et extravertie. Nous pensions que ces tendances ne faisaient que s'exacerber en vieillissant.»

De son côté, Pauline, dont le père est atteint de DFT, décrit de plus nets changements de personnalité, tout en se remémorant des signes remontant à plus de cinq ans avant le diagnostic: «Mon père avait coutume d'être très introverti –aller acheter une baguette était très compliqué. Au fil du temps, il a commencé à parler avec tout le monde, sans aucun filtre. En disant par exemple des choses comme “tu as grossi”, “tu es moche”. Lorsque nous avons fait la baby shower de ma sœur, il s'est mis a essayer de vendre des médicaments aux invités. Ma mère en est venue à dire aux médecins qu'elle était mariée avec une personne différente, qu'elle ne reconnaissait plus son mari.»

Le Dr Matthieu Piccoli, gériatre à l'hôpital Broca à Paris, insiste sur l'importance de connaître les signes primitifs de la maladie et de ne pas les banaliser: «C'est parfois difficile. Lorsqu'il y a par exemple des troubles du langage, la personne les pallie en utilisant des synonymes, en changeant de registre, en utilisant des locutions comme “tu vois” ou “je veux dire” pour combler les vides…» Mais, que ce soit des troubles langagiers ou des modifications du comportement, il s'agit de ne pas détourner le regard et de consulter au plus tôt. «Le but du diagnostic n'est pas de coller une étiquette ou de contempler les lésions sur les images d'IRM, mais bien plus: d'enclencher une prise en charge adaptée pour le patient», indique le gériatre.

«Nous avons mené un combat acharné pour que ma mère puisse avoir un rendez-vous avec un orthophoniste et un neurologue et passe une IRM.»

Angélique

En effet, s'il n'existe pas de traitement curatif, cela ne signifie pas qu'il n'y a rien à faire: «Il existe des prises en charge qui visent à accompagner le patient et à ralentir la progression de la maladie autant que faire se peut: traitements médicamenteux pour améliorer certains troubles du comportement, stimulation cognitive et langagière avec un orthophoniste, accompagnement psychologique, prise en charge par des équipes spécialisées (accueils de jour, etc.)», signale la Dre Isabelle Le Ber.

En outre, et parce que la maladie entraîne une altération partielle ou complète de la conscience de ses troubles –on dit «anosognosie»–, un diagnostic précoce peut permettre de recueillir les volontés du patient avant que son état ne s'altère trop pour décider, par exemple, s'il souhaite rester chez lui.

L'épuisement des aidants

Diagnostiquer, mettre des mots, comprendre les symptômes, c'est aussi un moyen pour la famille d'obtenir soutien et aide, notamment du côté du tissu associatif. «Les associations comme France-DFT font un travail formidable et indispensable en matière d'éducation à la maladie. Elles délivrent des informations d'une grande qualité», note le Dr Matthieu Piccoli.

Il faut dire que nombre de personnes avec qui nous avons échangé pour écrire cet article rapportent le sentiment d'avoir été lâchées dans la nature, sans aucune ressource, une fois le diagnostic établi. «Le neurologue qui a délivré le diagnostic de mon mari nous a renvoyés chez nous sans aucune consigne ni conseil. J'ai dû faire des recherches sur internet, prendre contact avec l'association américaine AFTD. C'est elle qui m'a recommandé de prendre rendez-vous au centre de référence “démences rares ou précoces” à la Salpêtrière», se souvient ainsi Dominique de Blanchard.

Parfois, c'est même pour faire poser le diagnostic que les familles tâtonnent et luttent: «Nous avons mené un combat acharné pour que ma mère puisse avoir un rendez-vous avec un orthophoniste et un neurologue et passe une IRM», se rappelle Angélique, dont la mère présentait initialement une légère apathie et des difficultés à s'exprimer, avec une parole hachée et des confusions dans les syllabes.

Les proches témoignent également du choc que représente l'annonce du diagnostic et du difficile accompagnement de leur parent ou de leur conjoint: «Le plus dur, c'est quand on vous précise qu'il n'y a pas de traitement qui existe à ce jour. Cela vous laisse dans un désarroi total, rapporte Ines. Ce qu'on l'on peut juste espérer, c'est de faire partie des “chanceux” pour qui la maladie n'évolue pas trop rapidement. Mais ça va trop vite de toutes les façons: c'est trop tôt de perdre sa maman à 25 ans; trop tôt pour la voir disparaître petit à petit sous vos yeux impuissants alors qu'elle n'a pas 60 ans. Je fais souvent le parallèle avec le mythe de Sisyphe: nous revivons chaque jour l'épreuve de voir notre maman partir sans pouvoir la rattraper.»

«Il n'y a pas de centre pour accueillir les malades jeunes et très peu d'unités prennent en charge ceux qui présentent des troubles du comportement.»

Dominique de Blanchard, présidente de l'association France-DFT

Au-delà de l'extrême difficulté sur le plan moral, les proches aidants sont constamment mis sur la sellette. Dominique de Blanchard expose: «Je fais souvent le parallèle entre s'occuper d'une personne atteinte d'un DFT et s'occuper d'un enfant qui commence à marcher. Sauf que l'on ne met pas un adulte dans un parc lorsque l'on veut souffler un peu…» Alors, pour le conjoint et les enfants, c'est un engagement de tous les instants.

«Nous sommes deux sœurs très soudées et c'est ce qui nous permet de tenir depuis cinq ans. Nous nous relayons au quotidien. C'est un casse-tête organisationnel et une logistique intense. Nous alternons jours et semaines de télétravail pour pouvoir passer du temps auprès de notre maman et heureusement, notre tante nous aide énormément», raconte Ines, qui explique le choix familial de garder sa mère chez elle dans son environnement pour des raisons éthiques et morales, mais aussi parce que l'offre de prise en charge est inadaptée aux jeunes seniors atteints de DFT.

«Il n'y a pas de centre pour accueillir les malades jeunes et très peu d'unités prennent en charge ceux qui présentent des troubles du comportement», déplore Dominique de Blanchard. On devine alors aisément les difficultés financières qui peuvent aussi survenir, en plus de l'épuisement des aidants.

Sensibiliser pour dépasser la honte et pousser la recherche

Une autre difficulté à laquelle doivent faire face les familles, c'est la stigmatisation«Les aidants témoignent de la peur du regard d'autrui. Ils nous disent “nous n'osons plus sortir”», relate le Dr Matthieu Piccoli. «Les troubles du comportement tendent à couper la famille de toute vie sociale», ajoute Dominique de Blanchard. De fait, il est extrêmement difficile de composer avec le regard d'autrui lorsque son père ou son mari vole des bonbons à l'étalage pour combler ses envies de sucre ou se met à parler de manière déplacée à des inconnus. C'est là qu'une plus grande sensibilisation du grand public aux DFT permettrait aux familles de mettre de côté cette honte infondée qu'elles éprouvent parfois.

La sensibilisation est aussi un moyen de pousser et de financer la recherche. Une recherche qualifiée de «dynamique» par la Dre Isabelle Le Ber: «Elle a beaucoup évolué au cours des dernières années. Elle a permis d'affiner les critères diagnostiques, d'identifier les lésions cérébrales, la maladie, et elle avance sur la connaissance des mécanismes biologiques. Des premiers essais de thérapeutiques, encore au stade de recherche expérimentale, débutent dans certaines formes génétiques de la maladie. Même si leur efficacité n'est pas encore démontrée, ces premières recherches en thérapeutiques apportent les premiers espoirs.»

«Que des personnalités publiques –ou leur proches– parlent de cette maladie apporte beaucoup», soutient Matthieu Piccoli. Espérons que l'attachement que nous avons pour Bruce Willis permette d'éveiller les consciences sur les DFT, et sur les difficultés qu'elles engendrent pour les malades et leurs familles.