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APRNEWS : Avoir le sens de l'Etat par Moritié Camara

APRNEWS - Avoir le sens de l'Etat par Moritié Camara
Mardi, 28 mai 2024

APRNEWS : Avoir le sens de l'Etat par Moritié Camara

APRNEWS - Si nombre d’Etats en Afrique ont intégré dans leur fonctionnement des pratiques de délinquances économiques et financières, c’est à cause de la propension de ceux qui les dirigent à systématiquement privatiser les profits de leur gouvernance. Il ne faut donc pas attendre de tels Etats qu'ils soient des moteurs de développement autre que pour les individus ou des groupes d’intérêts privés qui les ont capturé.

APRNEWS - C’est l’une des explications de la stagnation du développement en Afrique.

Dès lors, avoir le sens de l’Etat a des implications plus profondes que celles d’une formule convenue que les uns et les autres prononcent pour se donner de la consistance.

L’État moderne qui est pour la majorité des contrées d’Afrique un lègue de la colonisation est une construction théorique, totalement différent de l’Etat précolonial structuré autour des connivences tribales et des stratifications sociales qui rendaient les gens prisonniers des conditions et modalités de leur extraction.

La vertu de cet Etat postcolonial, est d’être pour tous et tout le monde à la fois. Sa matérialité a donc besoin d’être constamment validée par un certain nombre de mécanismes, de pratiques et d’attitudes de tout le corps social.

Cependant, si pour le vulgum pecus, le civisme suffit largement, il en est autrement pour les fonctionnaires et les dirigeants qui constituent son personnel.

Le fonctionnaire quelque soit le niveau où il se situe dans la chaîne, est un agent d’exécution des obligations régaliennes de l’Etat. Et même si la fonction publique est avant tout un statut, le fonctionnaire reste soumis à une déontologie dont le respect garantit le bon fonctionnement de l’administration au profit de tous.

La connaissance, mais surtout le respect de ses obligations permet au fonctionnaire de ne pas substituer « le sens de l’individu » à celui de l’Etat dans l’exécution du service public dont il est dépositaire. Sa loyauté doit donc aller prioritairement à l’Etat et le respect de sa hiérarchie, est celle de la fonction, et non des individus.

C’est en effet, la marque de ceux et celles qui ont acquis la reconnaissance d’être qualifiés de « grands commis de l’Etat » que de savoir faire la différence entre la fonction et la personne qui l’incarne dans leur mission au sein de l’administration publique.

La responsabilité des fonctionnaires dans la validation de l’idée de l’Etat et de son bon fonctionnement, est donc plus grande que celle des dirigeants car à la différence de ces derniers, ils sont ses agents permanents qui assurent sa continuité.

La machine étatique peut ainsi fonctionner même si momentanément ceux qui la dirigent perdent toute emprise sur elle. Nous en avons été témoins en Côte d'Ivoire, en 2010-2011, lorsque après les élections les deux blocs rivaux se disputaient la légitimité de la conduite des affaires. L’Etat n’à jamais cessé de fonctionner grâce aux fonctionnaires qui malgré le caractère inédit et désarçonnant de la situation ont continué à aller au travail en attendant de voir ce qui allait se passer.

Cependant, malgré le fait qu’il soit une entité détachée du reste du corps social, l’Etat est incarné par ceux qui le dirigent. C’est eux qui en n’ont la responsabilité, qui l’inspirent et qui l’aiguillonnent selon l’idée qu’ils ont de la société idéale et des moyens qu’ils préconisent pour y parvenir.

Ces derniers, mieux que quiconque, doivent donc témoigner d’un sens élevé de l’Etat qui est pour eux à la fois une exigence légale, morale, pédagogique et didactique.

En faisant quotidiennement la preuve de leur engagement au service du bien commun qui est une mission pour eux, les dirigeants donnent non seulement un sens à leur serment mais impulsent également une dynamique à toute la société. Le citoyen n’aurait aucune raison de vouloir s‘exempter du civisme tout comme le fonctionnaire de la déontologie de son administration.

La société est donc à l’image de ses dirigeants et l’Etat ne peut être le moteur du développement économique et social si l’essentiel de ses ressources est accaparé par des individus au détriment de la collectivité.

C’est en grande partie pour palier à cette carence de l’Etat africain que partenaires au développement et autres bailleurs de fonds ont privilégiés durant un certain temps ce qui est convenu d’appeler la coopération décentralisée et dont les ferments réels sont pudiquement passés sous silence. Cela permettait d’allouer directement les fonds aux collectivités locales ou à des programmes spécifiques pour une meilleure traçabilité de leur utilisation. Les limites de cette politique seront très vite actées par la répétition des mêmes pratiques que l’on voulait contourner.

Aujourd’hui, il est de plus en plus question de réinvestir l’Etat africain comme cheville ouvrière dans la gestion des programmes de développement en liant toutefois aide et bonne gouvernance.

On aurait pu gagner du temps et éviter tant de gaspillages uniquement si les uns et les autres à quelque niveau que se situent leurs responsabilités avaient fait primer « le sens de l’Etat » sur le « le sens de l’individu ».

Car avoir le sens de l’Etat revient simplement à faire prévaloir toujours l’intérêt général qui est l’essence même de la société et de l’Etat et qui constitue à en croire leur profession de foi, le substrat de l’engagement en politique de ceux qui nous dirigent.

Moritié Camara

Professeur Titulaire d'Histoire des Relations Internationales