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APRNEWS: CEDEAO - Petite pagaille, avant la rupture…

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Quelques interrogations, après l’impossible rencontre, le 25 janvier dernier, entre une délégation de la Cédéao et la junte nigérienne : quels étaient les véritables termes de ces pourparlers ? Quel était l’agenda du pouvoir militaire de Niamey, alors même qu’il s’apprêtait, avec ses associés du Mali et du Burkina Faso, à se retirer de l’organisation régionale ? 

C’est l’histoire d’une rencontre qui n’a jamais eu lieu. C’était le 25 janvier dernier. Une délégation de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) était annoncée à Niamey, en vue de reprendre langue avec la junte militaire pour étudier les solutions d’une sortie de crise. Au cœur de ce programme, la question de l’allègement des sanctions imposées au Niger, à la suite du coup d’Etat du 26 juillet 2023. Cette rencontre jugée cruciale, devait aussi, en creux, confirmer l’acte de reconnaissance du putsch par l’organisation régionale, lors du dernier sommet des chefs d’Etat, à Abuja, le 10 décembre 2023. Au cours de ce sommet, tout en maintenant les sanctions, la Cédéao avait mis en place un Comité de médiation relatif au dossier du Niger, comprenant les dirigeants togolais et sierra-léonais, Faure Gnassingbé et Julius Maada Bio, ainsi que des représentants du Bénin et du Nigeria. Une première rencontre, prévue pour le 10 janvier 2024 entre une délégation de la Cédéao et la junte de Niamey, fut reportée à une date ultérieure. Raisonévoquée par le pouvoir militaire : cette rencontre serait plus pertinente après la tenue de « concertations nationales » dont les conclusions constitueraient une base pour de futurs pourparlers avec la Cédéao. On s’étonnera ensuite de l’annonce du rendez-vous du 25 janvier avec la médiation régionale, alors même que les « concertations nationales » n’avaient toujours pas eu lieu.

Un festival d’explications contradictoires 

Que s’est-il donc passé ce 25 janvier ? La délégation de la Cédéao attendue à Niamey était composée du ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, ceux de la Sierra-Leone et du Bénin, Timothy Musa Kabba et Olushegun Adjadi Bakari, le président de la Commission de la Cédéao, Omar Touray, et l’ancien président nigérian AbdulsalamiAbubakar. L’événement, vivement médiatisé, s’est transformé en un flop proprement ahurissant. Selon la version officielle, Omar Touray, ainsi que les ministres sierra-léonais et béninois, Timothy Musa Kabba et Olushegun Adjadi Bakari, qui devaient s’envoler d’Abuja au Nigeria, pour se rendre à Niamey, ont été retenus sur place, car leur avion, affrété par la Cédéao n’avait pu décoller « pour des raisons techniques ». Quant à l’ancien président nigérian Abdulsalami Abubakar, il a tout simplement annulé sa venue dans la capitale nigérienne, sans la moindre explication. Seul le ministre togolais Robert Dussey a pu se rendre au rendez-vous de Niamey, et rencontrer les membres du régime militaire. Pour quel résultat ? Rien à signaler, officiellement…

On assistera ensuite à un invraisemblable festival d’explications contradictoires, interprétations et autres critiques croisées des uns et des autres. Le premier ministre nigérien, Ali Mahamane Lamine Zeine, n’hésitera pas à évoquer en termes peu diplomatiques la « mauvaise foi » de la Cédéao, tout en cédant aux allusions complotistes, en désignant notamment « certains pays qui agissent dans l’ombre pour entraver la résolution de la crise nigérienne ». Mais, au-delà des divers commentaires et hypothèses, on retiendra surtout qu’on a rarement assisté à pareille pagaille dans les annales de la résolution de crises en Afrique de l’Ouest.

Fuite en avant et retrait de la Cédéao 

En réalité, une question est demeurée pendante jusqu’à la veille de la rencontre avortée du 25 janvier dernier : la délégation de la Cédéao et les interlocuteurs nigériens s’étaient-ils réellement accordés sur les termes de leurs pourparlers ? Autrement dit, les conditions étaient-elles réunies pour parvenir à un consensus sur les modalités de sortie de crise ? Point sensible, parmi les conditions posées par la Cédéao : la « libération immédiate » du président renversé Mohamed Bazoum et sa famille. Après avoir opposé un silence persistant à cette demande, le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, a accordé, le 8 janvier dernier, à Salem Mohamed Bazoum, fils du président séquestré, une « remise en liberté provisoire, à titre humanitaire ». Ce geste s’est inscrit, non pas dans le cadre de la diplomatie régionale, mais dans les actes de médiation du Togo qui a entrepris, depuis quelque temps, une sorte de diplomatie parallèle auprès des régimes putschistes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Mali, Burkina Faso, Niger), avec, faut-il le souligner, une suspecte bienveillance à leur endroit. Toujours est-il qu’aucun signal n’a été produit par la junte de Niamey, s’agissant de la libération de Mohamed Bazoum. Ce dernier est devenu à la fois otage, bouclier humain, assurance-vie et monnaie d’échange de ses bourreaux qui, par ailleurs, orchestrent à son encontre une irréfrénable campagne de haine au sein des opinions.

Au lendemain du rendez-vous manqué avec les délégués de la Cédéao, on pouvait aussi se demander si l’allègement des sanctions constituait toujours la principale priorité de la junte. Tout laissait croire que l’objectif de cette dernière était d’opposer son agenda aux recommandations de la Communauté régionale, dans le but de s’assurer les marges de manœuvre nécessaires pour fixer, dans la durée, un nouveau régime, en confectionnant une raison politique au coup d’Etat hasardeux de juillet 2023. Manifestement, la junte a fait le choix d’une fuite en avant, persuadée, au-delà du raisonnable, de pouvoir remporter une guerre que nul ne lui a déclarée. Isolement diplomatique, inflation record, pénurie des produits de première nécessité, crise énergétique, suspension des projets à impact régional, défaut de paiement et risque inédit d’insolvabilité financière… Ce sont là quelques indications, parmi tant d’autres, de la facture du putsch, six mois après sa commission. Alors que les sanctions continuent à produire leurs effets, de plus en plus alarmants pour la population, les vociférations des thuriféraires du pouvoir militaire couvrent les objections de la majorité silencieuse des laissés-pour-compte. 

Peu après l’impossible rencontre Cédéao-Niger, on comprendra que, derrière les péripéties du 25 janvier se profilait un projet déjà bien avancé de la junte, conçu avec les deux régimes alliés du Mali et duBurkina Faso : le retrait concerté des trois pays de la Cédéao. Cette décision a été annoncée à grand renfort de communiqués ce 28 janvier. Si ce nouvel épisode des crises dans le Sahel agit comme un petit séisme en Afrique de l’Ouest, reste à savoir si des régimes d’exception, voire de transition, sont habilités à opérer un tel désengagement de leurs pays d’une institution régionale, au mépris des traités, des règlementations, des obligations solidaires et des procédures établis…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.