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Guillaume Soro : comment le Colonel Abehi a sauvé ma vie

Colonel Abehi - Soro Guillaume - APRnews
Vendredi, 24 décembre 2021

Guillaume Soro : comment le Colonel Abehi a sauvé ma vie

Ce jour-là aussi, en juin 2004, me sentant pris au piège, sans autre option possible, je n’eus le choix que d’accepter avec foi mon voyage imminent et inévitable ad patres.

Alors, je me résolus à demander à mes collaborateurs dévoués qui ce jour m’avaient accompagné pour une séance de travail avec l’ancien DG de la RTI Georges Aboké en ses locaux, de se fondre dans la cohue de la masse pour sauver leurs vies. C’était moi qu’on voulait passer à l’échafaud. J’étais décidé à payer seul. Je vois encore l’actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire en Guinée, Diarrassouba Mifougo et bien d’autres avec mon consentement, se faufiler prestement dans la foule avec l’habilité de l’instinct de survie. Il fallait bien être vivant pour raconter avec l’avidité d’un Arrias ma mésaventure, je suppose.

Seul un certain Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, alors que je lui donnais mes dernières consignes pour ma famille et mes adieux pour mes enfants et mon épouse afin qu’il en prenne soin, a obstinément refusé de m’abandonner là au milieu du gué fatal. J’ai lu dans ses yeux que je ne réussirais pas à le convaincre de me laisser seul livré à mon propre et triste sort. Je sentais bien que ce jour-là, il avait décidé de me désobéir. Nous restâmes donc quatre de toute cette grande délégation qui m’accompagnait fièrement pour notre première séance de travail au ministère de la communication ! Les belles voitures, les belles cravates et enfin le beau cortège. Tout ceci était sur le point de se terminer en un carnage, une vraie tragédie. Restés piégés dans cette bâtisse en bois au sein de la RTI nous avions très peu d’options. Je décidai de prendre les choses en main. Instinct de survie ? Adrénaline ? Je n’en sais rien ! Toujours est-il que Je demandai à mes deux gardes corps, le sénégalais Alassane que j’eus le plaisir plus tard de revoir à Dakar- qui fait aujourd’hui office de garde de corps du Président Macky Sall – et le gendarme béninois Souley devenu commandant à Cotonou, de me suivre pour nous glisser dans un réduit de la bâtisse. Ils obtempérèrent suivis de l’irréductible Soûl To Soul. Nous vécûmes le calvaire des jets de pierres et autres gourdins qui s’amoncelaient autour de nous sans nous amocher. De la tentative d’incendier la bâtisse, rien n’y fit. En un temps terriblement critique, mon garde de corps à cran sortit son pistolet. Je dus lui intimer l’ordre avec autorité de ne point tirer et si nous devions mourir ce serait préférable qu’il n’y ait pas de victimes supplémentaires. Leurs témoignages confirmeront mes propos puisqu’ils sont encore vivants. Je leur dois beaucoup.

Bref, dans ce tourment où tout était confus dans nos cerveaux, où les cris d’hostilité appelant à notre mise à mort sur le bûcher fusaient de partout, j’entendis soudain malgré la commotion, une voix presque familière qui héla : « mon général ! » Aussitôt j’eus un déclic. Seul un militant de la FESCI pouvait me servir du « mon général » ! En effet du temps où je dirigeais le mouvement étudiant, ainsi m’appelait-on. J’hasardai donc ma tête hors du réduit et je reconnus sur le champ le colonel de gendarmerie Jean Noël Abehi (aujourd’hui en prison et à qui je pense ; lui et moi avons eu le temps de parler et de renouveler notre fraternité) qui fut mon militant du temps où j’étais SG de la Fesci. Le colonel Abehi et son équipe de la gendarmerie m’ont sauvé la vie ce jour-là. Il faut bien rendre témoignage. C’est pourquoi, quand en 2010 à la suite de la crise post-électorale certains des nôtres ont voulu s’en prendre à lui, je me suis interposé catégoriquement. Je le lui devais. Et pour cause ! Voilà l’un des grands mystères de la Vie. La reconnaissance.

Pour rassurer le Colonel Jean Noël Abehi, un camarade de fac, je l’ai reçu devant caméras et en présence de feu le Premier Ministre Charles Konan Banny Banny, par ailleurs qui fut mon patron, celui qui m’a mis le pied à l’étrier du gouvernement, pour le lui signifier et m’engager auprès de lui à veiller à sa sécurité. Mais je n’étais pas seul dans le navire et certains se plaisaient à jouer les démons nocturnes.

ivoiresoir.net