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APRNEWS : Que reproche Venance Konan à Tidjane Thiam ?

Venance Konan - Tidjane Thiam - Politique
Mercredi, 3 août 2022

APRNEWS : Que reproche Venance Konan à Tidjane Thiam ?

APRNEWS - « Certains l’attendaient comme un messie. Mais le propre des messies est de se faire attendre. Qu’est-ce qu’un messie ? Dans la Bible, il est le libérateur d’Israël et instaurateur du règne de l’Eternel ». Cette belle référence, est l’exorde du pamphlet que le journaliste Venance Konan a choisi de servir à Tidjane Thiam. Le tout, dans un mélange des genres et des ordres.

APRNEWS - Ainsi, après Jeune Afrique et d’autres médias, c’est au tour de l’ex-directeur général du quotidien Fraternité-Matin de jouer sa partition dans ce qui ressemble désormais à un assaut en règle, un lynchage médiatique orchestré contre son compatriote Tidjane Thiam.  

L’homme poursuit: « mais plus prosaïquement, le messie est un personnage providentiel qui  mettra fin à l’ordre présent, imparfait ou mauvais et instaurera un ordre de justice et de bonheur ».

En vérité, le masque n’a pas résisté longtemps. Selon Venance Konan,  Tidjane Thiam « veut mettre fin à l’ordre présent pour instaurer un système de justice et de bonheur ». Tout ça parce que ce dernier a éprouvé le besoin de revenir dans son pays. Venance n’aurait pas mieux fait  pour préserver son nouveau poste de PCA et les privilèges matériels qui s’y rattachent. Mais, passons !

Venance Konan affirme que « Thiam est attendu par certains ivoiriens comme un messie », avant de s’interroger : « qu’a-t-il fait, ou dit pour susciter une telle attente ? ».

Très justement, Tidjane Thiam n’a rien fait pour être attendu comme un messie moins encore pour susciter chez ceux qui l’attendent, l’espoir qu’il vienne mettre fin à l’ordre présent.  Là-dessus d’ailleurs, le communiqué de presse publié par le porte-parole du banquier ivoirien est formel et sans équivoque : « …il est prévu à son agenda, outre différentes activités de nature familiale et privée, des rencontres avec des autorités politiques et coutumières…». On se demande encore en quoi cette annonce laisse entrevoir que Thiam arrive pour s’inscrire dans la vie politique ivoirienne et chercher à en modifier les réalités. Il faut réellement avoir l’imagination terriblement fertile pour lire dans la communication de Marc Arthur Gaulithy, l’homme qui porte la voix de Tidjane Thiam, quelque velléité de renversement de l’ordre établi.

Très clairement, il y a de l’escalade, de la surenchère dans le récit de Venance Konan, si bien qu’on peut s’autoriser à penser que la perspective du retour du banquier crée chez le journaliste-écrivain beaucoup d’agacement et quelques inquiétudes qu’il a du mal à contenir.

Et pourtant, après plus d’une décennie d’exercice de la profession, comme c’est le cas de Venance Konan, le journaliste doit avoir la pensée structurée par l’objectivité. Celle-ci procède de l’idée que dans le processus d’analyse ou d’investigation journalistique, l’homme de média doit écarter ou réprimer tout ce qui relève de ses convictions politiques, morales, religieuses, de ses intérêts, de ses croyances et de sa sensibilité individuelle, pour relater les faits ou dire les choses telles qu’elles sont du point de vue de leurs propriétés, et non telles qu’il voudrait qu’ elles fussent.

Peut-être conviendrait-il de dire à l’analyste du jour qu’il devra se faire à l’idée que quoique n’ayant jamais dit qu’il souhaitait être président de la Côte d’ivoire, Tidjane Thiam est légitime à le vouloir, à l’espérer. Il en a aussi les moyens moraux et intellectuels. Encore une fois, passons !

Comme s’il voulait en finir, l’homme charge à nouveau : « Thiam a quitté la Côte d’Ivoire il y a plus de vingt ans… Il était ministre dans le gouvernement que Robert Guéï avait renversé par un coup d’Etat en décembre 1999…Mais après ? Il avait quel problème avec qui pour ne plus remettre les pieds dans ce pays?

À de tels griefs, il convient d’opposer un point d’histoire : Après ses études en Europe, alors que de grandes entreprises mondiales lui tendaient la main, Tidjane Thiam a fait le choix de regagner Abidjan. Il y a occupé, tour à tour, le poste de directeur général du BNETD, puis celui de ministre de la planification. Quant à sa relative longue absence, ne doit-elle pas s’analyser à l’aune de la situation générale que connait la Côte d’ivoire depuis 1999 jusqu’à nos jours ?

Un coup d’Etat frappe le pays. On ne peut en lire les raisons, mais les militaires prennent le pouvoir, mettent des ministres de la République aux arrêts, une chasse aux sorcières est déplorée. Deux ans plus tard, en 2000, Gbagbo est élu président. C’est alors qu’une rébellion surgit, flanquée d’un commando invisible, une nébuleuse, qui attaque des postes de police et de gendarmerie, faisant plusieurs morts dans les rangs des forces de défense et de sécurité. Des citoyens sont enlevés et conduits dans des destinations inconnues. En 2004, l’armée française à Abidjan tire sur des manifestants aux mains nues devant l’hôtel ivoire. On dénombre 70 morts. La perspective de l’élection présidentielle de 2010 suscitera quelques espoirs qui finiront par s’évanouir. Et nous en connaissons l’aboutissement : 3000 morts, des ivoiriens en exil, ils y sont toujours, des déplacés de guerre, des mutilés à vie. Encore aujourd’hui, la presse se fait l’écho d’affrontements inter-ethniques en pays Abbey et à l’ouest du pays.  Au total, la situation sécuritaire ivoirienne reste encore précaire. Et cette description n’est pas exhaustive.

Voilà le prisme à travers lequel Venance Konan devrait lire le retrait momentané de Thiam du pays, plutôt que de lui opposer une morale de d’acceptation héroïque de la mort. En vertu de quoi ou au nom de quel héroïsme Tidjane devrait-il s’obliger à demeurer passivement dans ce ‘’western ‘’ politico-militaire ivoirien. Légitimement, il est allé vers des cieux plus civilisés et plus cléments. Est-il reprochable en cela, est-il coupable d’avoir cherché à se protéger et les siens avec lui ? Non !

Dans la suite de sa diatribe, très déchainé, Venance Konan assène encore : « en tant qu’Ivoirien, je suis fier de lui(Thiam). Mais justement ! On le présente toujours comme franco-ivoirien.

La vérité c’est que Venance Konan manipule l’opinion, il veut séduire ses maîtres de l’ombre. Il faut voir dans son activisme une sorte de triangulation. Une tactique malsaine qui peut générer une toxicité supplémentaire et inutile dans les relations entre leaders ivoiriens, alors même que la nécessité d’une réconciliation se fait de plus en plus pressante.

Hier, il attaquait Alassane Ouattara dont il baigne actuellement dans la proximité et dont il bénéficie des largesses. Les présidents Bédié et Laurent Gbagbo ont eux-aussi fait les frais de la plume inutilement acerbe de Venance Konan. Aujourd’hui, c’est Tidjane Thiam sa cible à qui il reproche d’avoir séjourné longtemps en Europe, unique argument qu’il brandit au soutien de ses théories : « mais je me demande s’il est encore Ivoirien ». Bref !

Au-delà de toutes ces incantations, il faut rappeler à Venance Konan que la culture relève en grande partie de processus complexes. Elle nous définit, détermine notre façon d’être, construit et sédimente solidement notre personnalité intérieure profonde. On peut être sous l’influence d’emprunts culturels étrangers, mais ceux-ci ne peuvent substantiellement bousculer ou faire varier ce que nous sommes fondamentalement. Notre culture profonde, celle qui forge notre humanité, n’est donc pas sujette à des changements radicaux, faciles et automatiques. C’est pourquoi une nouvelle nationalité ne peut déraciner, ni abâtardir Tidjane Thiam. Ce dernier reste foncièrement et radicalement ivoirien, tant au plan culturel qu’à celui de la nationalité.

Cela dit, on peut comprendre Venance Konan, car la subjectivité d’un analyste politique ne peut jamais être efficacement réduite, du fait qu’en aucun moment de son activité analytique, celui-ci n’est jamais en mesure de savoir à quel point et de quelle façon il est influencé par des éléments idéologiques et des traits particuliers inconscients de sa personnalité. En clair, il y a toujours dans le processus d’analyse, surtout chez l’acteur politique fut-il même un journaliste, des éléments relevant de sa subjectivité individuelle, du point de vue de ses orientations et virtuellement de ses intuitions fondatrices. Alors ce que dit le journaliste, de surcroit membre d’un parti politique, n’est pas toujours strictement conforme à la réalité, ce n’est pas la vérité absolue. Toutefois, en tant qu’homme de presse, Venance est invité à faire l’effort de tendre vers l’objectivité. Il devrait au moins se la fixer comme un idéal à atteindre. Sa crédibilité en dépend.

Jean Clotaire Tétiali