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APRNEWS - Émeutes après la mort de Nahel : l’état d’urgence peut-il être décrété ?

Émeutes après la mort de Nahel : l’état d’urgence peut-il être décrété ?
Vendredi, 30 juin 2023

APRNEWS - Émeutes après la mort de Nahel : l’état d’urgence peut-il être décrété ?

APRNEWS - La mesure exceptionnelle, permettant notamment de décréter des couvre-feux dans les zones sensibles, pourrait être envisagée par le gouvernement.

APRNEWS - Le feu et la colère. Depuis mardi, la France s'embrase après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier après un refus d'obtempérer. Le tireur présumé a d'ailleurs été mis en examen jeudi. Dans la nuit qui a suivi, la violence est encore montée d'un cran, avec des incidents graves survenus dans de nombreuses villes du pays et une situation particulièrement tendue en Île-de-France. Partout, les voitures brûlent, les magasins sont pillés, les symboles de la République, attaqués. Au total, 875 personnes – pour la plupart très jeunes – ont été interpellées dans la nuit de jeudi à vendredi, et on compte 249 blessés parmi les forces de l'ordre. Policiers et gendarmes doivent faire face à des groupes de jeunes particulièrement virulents, la multiplicité des incidents rendant le contrôle de la situation d'autant plus complexe.

Face à ces violences, plusieurs voix se sont élevées dans l'opposition de droite et d'extrême droite pour réclamer la mise en place de l'état d'urgence : « En aucun cas, la République ne peut se soumettre. Je demande le déclenchement sans délai de l'état d'urgence partout où des incidents ont éclaté », a exigé le patron du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti, dans un communiqué diffusé jeudi.

Ce 30 juin, c'est le Rassemblement national, par la voix du vice-président de l'Assemblée, Sébastien Chenu, qui demandait l'instauration de l'état d'urgence et de couvre-feu dans les quartiers qui ont à nouveau été le théâtre de violences. « Nous demandons l'instauration de couvre-feu d'abord, et puis de l'état d'urgence et la mobilisation de tous les moyens de sécurité dans notre pays », a-t-il déclaré sur LCI. Au micro d'Europe 1, vendredi, Éric Zemmour a quant à lui souhaité une « répression féroce » et défendu le décret de l'état d'urgence, voyant dans les violences qui enflamment la France les prémices d'une « guerre civile ».

L'état d'urgence prévu en cas de « péril imminent »

Devant la menace d'une contagion à grande échelle et alors qu'elle l'avait exclu jeudi en déclarant qu'« on n'est pas dans ces circonstances », la Première ministre, Élisabeth Borne, interrogée vendredi sur la possibilité de mettre en place l'état d'urgence après les émeutes, a finalement fait savoir que le gouvernement examinerait « toutes les hypothèses autour du président de la République », et ce avec une priorité, « le retour de l'ordre républicain sur tout le territoire ». De son côté, Emmanuel Macron s'est dit prêt à envisager toutes les solutions pour retrouver l'ordre, « sans tabou », a précisé l'Élysée à l'AFP. Le chef de l'État, qui rentre à Paris avant la fin du sommet européen de Bruxelles et va présider une nouvelle cellule interministérielle de crise à 13 heures, attend que la Première ministre et le ministre de l'Intérieur « lui fassent des propositions pour faire encore évoluer et adapter » le dispositif de maintien de l'ordre, a aussi précisé l'Élysée, qui ne mentionne pour l'heure pas l'état d'urgence.

L'état d'urgence, régime d'exception permettant notamment d'instaurer des couvre-feux ou la fermeture de lieux publics, avait été décrété en 2005 lors des émeutes nées à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) après la mort de deux jeunes, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans l'enceinte d'un poste électrique alors qu'ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. À l'époque, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, avait attendu treize jours avant d'instaurer la mesure d'exception, une première depuis la guerre d'Algérie.

L'état d'urgence est une mesure exceptionnelle prévue par la loi du 3 avril 1955. Il peut être décidé par le Conseil des ministres, soit en cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public », soit en cas de « calamité publique », ce qui peut désigner toute catastrophe naturelle d'une ampleur exceptionnelle. Par vocation, l'état d'urgence permet de renforcer les pouvoirs des autorités civiles et de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles. La loi, adoptée en 1955, avait été élaborée en réaction aux attentats perpétrés en Algérie par le Front de libération nationale (FLN) et aux affrontements entre militants indépendantistes et armée française dans les départements français d'Algérie.

Des couvre-feux déjà mis en place dans certaines communes

En France, il aura été mis en place à deux reprises depuis 2015. Décrété par François Hollande dans la nuit du 13 novembre, dans la foulée des attentats islamistes ayant fait 130 morts à Paris et Saint-Denis. Cet état d'urgence aura duré près de deux ans, prolongé à coups de lois votées au fil des mois. Mais la levée du dispositif n'a pas pour autant sonné la fin des mesures : le 31 octobre 2017, la loi dite de « lutte contre le terrorisme » est venue prendre le relais de l'état d'urgence. Le texte a ainsi permis à plusieurs des outils prévus par ce régime d'être inscrits dans le droit commun. Un autre « état d'urgence », sanitaire cette fois, sera décrété par Emmanuel Macron le 23 mars 2020. Nous sommes alors au début du Covid. Ce régime d'exception avait permis à l'exécutif de prendre des mesures dites « dérogatoires » pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. Mais il s'agit ici d'un état d'urgence ad hoc, régime particulier créé par la loi de mars 2020, qui avait une date limite. On ne pourrait donc pas le déclencher de nouveau aujourd'hui, il faudrait pour cela voter une nouvelle loi spécifique.

En ce qui concerne la situation de violences actuelles, l'état d'urgence peut donc faciliter la mise en place de couvre-feu, notion qui n'est pas consacrée par la loi. « Il existe trois autorités de police administratives en France qui sont capables de prendre des mesures restrictives des libertés dans l'objectif de maintenir l'ordre public », explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Panthéon-Assas. Parmi ces autorités, le niveau national avec le Premier ministre, le niveau départemental avec le préfet, et le niveau communal avec le maire, qui est aussi un représentant de l'État. Plusieurs municipalités ont d'ailleurs d'ores et déjà annoncé la mise en œuvre de couvre-feux en vigueur jusqu'à lundi. De 21 heures à 6 heures dans certains quartiers de Clamart (Hauts-de-Seine), de 22 heures à 6 heures à Compiègne (Oise), et de 22 heures à 5 heures et uniquement pour les mineurs à Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne).

Un cadre légal plus large avec l'état d'urgence

« Quand il y a un trouble à l'ordre public dans une commune, le maire est compétent pour intervenir, précise en effet Benjamin Morel. La règle est que l'autorité supérieure prend des mesures et que l'autorité inférieure ne peut pas les lever. Mais ils peuvent aussi en prononcer si rien n'a été prévu au niveau supérieur. » Reste que comme nous l'expliquions, le couvre-feu n'existe pas en droit, on parlera alors de « mesures de police administrative » pouvant « restreindre la liberté de circulation » des habitants. Le principe de base reposant sur la « proportionnalité », l'arrêté devra répondre à une menace avérée. « C'est ce que va apprécier le juge administratif, il faut étudier l'urgence et le caractère extrêmement dangereux de la situation. Des couvre-feux hors état d'urgence, c'est rare ; si demain ces arrêtés municipaux tombent sous le coup d'un recours pour excès de pouvoir, ils courent le risque d'être annulés », observe Benjamin Morel.

La différence avec l'instauration de l'état d'urgence, c'est qu'il fonde plus largement le couvre-feu. « Son décret au niveau national va encadrer sa mise en place, et dans ce cadre les préfets et les maires vont avoir la possibilité d'agir dans un cadre légal plus large, ils auront une sécurité juridique beaucoup plus grande, précise Benjamin Morel. C'est donc l'apport majeur de l'état d'urgence : une facilitation juridique des mesures de couvre-feu. » Le maître de conférences y voit cependant une efficacité limitée : « Quand vous avez des gens qui brûlent des commerces, le fait de faire entorse à la loi ne les rebute pas… On peut difficilement imaginer qu'ils ne feront pas entorse à un possible couvre-feu s'il est mis en place. » L'état d'urgence, signe de fermeté politique, pourrait aussi conduire à exacerber les tensions dans un contexte déjà explosif.

« Retrouver le dialogue avec les élus »

Interrogé sur France Bleu Cotentin, l'ancien président de la République, François Hollande, a estimé qu'instaurer l'état d'urgence n'était pas « la meilleure façon d'agir aujourd'hui », appelant plutôt à « retrouver le dialogue avec les élus qui sont en première ligne » face aux tensions. « Il faut rétablir l'ordre par les moyens qui sont ceux de la République », a déclaré l'ancien chef d'État.

Pour l'heure, le gouvernement a plutôt tenté de maîtriser les émeutes, chaque membre du gouvernement appelant à un indispensable « retour au calme ». Dans la nuit de jeudi à vendredi, quelque 40 000 policiers et gendarmes étaient mobilisés, dont 5 000 à Paris. La veille, les forces de l'ordre étaient 9 000 sur le terrain. En Île-de-France, la présidente de la région, Valérie Pécresse, a demandé que la circulation des bus et tramway franciliens soit totalement interrompue après 21 heures. Tenter d'apaiser et de contenir au maximum les violences. Mais comment, et jusqu'où ?

Source : lepoint