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Zimbabwe : Grace et disgrâce(s)

apr-news/ Photo d'illustration
Vendredi, 11 mai 2018

Zimbabwe : Grace et disgrâce(s)

ESSENTIEL.INT- À 93 ans, le Président zimbabwéen Robert Mugabe paraissait indéboulonnable… et pourtant ! Le plus vieux Chef d’État de la planète a été poussé vers la sortie, remplacé par l’ancien Vice-Président Emmerson Mnangagwa. Ce changement à la tête du pays n’est pas forcément synonyme de nouvelle direction politique.

« Le Vieux Lion » ne mordra plus personne. Robert Mugabe, héros de la guerre d’indépendance du Zimbabwé, a dirigé le pays durant 37 ans (Premier ministre de 1980 à 1987, puis Président jusqu’en 2017). C’est un autre représentant du même genre, Emmerson Mnangagwa, surnommé « le Crocodile », qui s’est affirmé comme le nouvel homme fort de l’État, en devenant Président par intérim après la démission de Robert Mugabe le 21 novembre dernier. Il y a de fortes chances pour qu’il soit reconduit dans ses fonctions lors de l’élection présidentielle qui aura lieu au début de l’été 2018, puisqu’il a été investi le 15 décembre comme candidat du parti au pouvoir, la Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (ZANU-PF), par le bureau politique du comité central.

INTRIGUES

Novembre 2017 restera dans l’histoire du Zimbabwé comme un moment charnière. En quelques semaines, le pays a connu plus de changements politiques que depuis son indépendance. Il faut dire qu’il n’avait pas changé de Président depuis des décennies, Robert Mugabe le tenant d’une main de fer.

Si quelques semaines ont suffi à faire vaciller le clan Mugabe, en coulisse les intrigues politiques ne sont pas nouvelles. Force est cependant de constater que le Vieux Lion aurait sans doute pu rester plus longtemps au pouvoir si sa femme, Grace Mugabe, n’avait fait montre d’une telle ambition politique.

Ancienne secrétaire du Président, elle est devenue en quelques années la femme la plus puissante du pays, et au fur et à mesure que son époux vieillissait, a développé un goût prononcé pour le pouvoir – goût au moins aussi important que sa propension à faire du shopping. Celle que les Zimbabwéens surnomment « Gucci Grace » a progressivement cherché à éliminer toute concurrence à la succession de son époux. À titre d’exemple, en 2014 elle réussit à écarter du pouvoir la Vice-Présidente Joice Mujuru, vue comme la potentielle dauphine du Président. Et elle prend dans la foulée la tête de la Ligue des femmes au sein de la ZANU-PF.

Grace Mugabe se voyait déjà au pouvoir. Le 5 novembre, ne laissant planer aucun doute sur ses intentions, elle déclarait lors d’un meeting à Harare : « Je dis à M. Mugabe : vous devriez me laisser votre place. » Elle a visiblement fait preuve de trop d’empressement, car si la ZANU-PF soutenait Robert Mugabe, il n’était pas question de le laisser transmettre le pouvoir à son épouse, d’autant plus que cette dernière, née en Afrique du Sud, n’avait pas pris part à la guerre de libération. Au sein du parti, elle bénéficiait du seul soutien des jeunes membres du Generation 40 (G40), qu’elle avait créé.

Il lui fallait de plus évincer son principal rival, le Vice-Président Emmerson Mnangagwa. Grace Mugabe gardait en travers de la gorge d’avoir été accusée – à demi-mot – d’être à l’origine d’une tentative d’empoisonnement sur le Chef de l’État en août 2017. Usant de son influence sur un Président quasi sénile, elle réussit à faire démettre de ses fonctions Emmerson Mnangagwa le 6 novembre, au motif qu’il aurait fait preuve « de manque de loyauté, de manque de respect, de malhonnêteté et de manque de sérieux ». Ce limogeage en bonne et due forme devait laisser le champ libre à Gucci Grace pour la prochaine élection présidentielle. C’était compter sans la puissante armée zimbabwéenne...

QUAND L’ARMÉE S’EN MÊLE

Sans l’armée, Emmerson Mnangagwa n’aurait pu accéder au pouvoir. Jusqu’à présent, elle avait toujours soutenu Robert Mugabe, y compris lors de la réforme agraire du début des années 2000 ou lors de la crise postélectorale de 2008. Mais les généraux proches du Chef de l’État, progressivement écartés par son épouse, ont choisi de mettre un terme aux manigances de la Première dame. Après l’éviction du Vice-Président, la coupe était pleine, et les généraux Constantino Chiwenga et Sibusiso Moyo ont décidé d’agir, dans la nuit du 14 au 15 novembre, dans la capitale.
Si cette intervention ne fut « pas un coup d’État », comme l’assurait à la télévision nationale le général Moyo, cela y ressemblait fort – des blindés ayant été postés à proximité de l’ensemble des points stratégiques de la capitale, de la radiotélévision nationale aux édifices gouvernementaux, en passant par la résidence présidentielle.

Soumis à l’ultimatum d’une procédure de destitution s’il ne démissionnait pas, Robert Mugabe a fini par céder le 21 novembre. Le Vieux Lion, qui a bien négocié sa sortie, profitera d’une retraite dorée, bénéficiant d’une immunité totale, de rondelettes indemnités de départ et d’un revenu annuel à vie. En cas de décès, sa femme, l’ayant suivi dans sa retraite, continuera de percevoir une partie de ce revenu.

Pour l’ex-Première dame, la vie politique semble – pour le moment – terminée. De Grace à disgrâce, il n’y a qu’un pas. Tous ses proches ont fait les frais du changement survenu à la tête de l’État. Les membres de son petit groupe d’affidés du G40 ont été exclus du parti, et Augustine Chihuri, le chef de la police, qui était l’un de ses soutiens, a également été mis à la retraite.

CHANGEMENTS SUPERFICIELS

Si les forces de sécurité zimbabwéennes ont annoncé le 18 décembre la fin de l’opération « Restaurer la légalité » (nom donné au coup d’État), l’état-major de l’armée est aujourd’hui plus puissant que jamais. Le général Chiwenga, qui a joué un rôle non négligeable dans le changement de régime, a pris sa retraite militaire et pourrait devenir le Vice-Président d’Emmerson Mnangagwa, investi le 24 novembre. Après des années passées dans l’ombre de Robert Mugabe, le Crocodile veut « que les Zimbabwéens soient unis » afin de « relancer l’économie ». La tâche est ardue, car le pays est mal en point. Près de 80 % de la population active serait au chômage. La population, qui aspire au changement, pourrait être déçue ; Emmerson Mnangagwa, installé dans le cénacle présidentiel depuis des décennies, est un direct bénéficiaire du système mis en place par son prédécesseur. Selon un câble diplomatique américain de 2008 révélé par WikiLeaks, il disposerait d’un immense patrimoine immobilier et financier. Pourquoi souhaiterait-il que cela change ?