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Tidjane Thiam : assauts en règle contre un homme qui fait peur

Aprnews - Tidjane Thiam : assauts en règle contre un homme qui fait peur - Actualité - Cote d'Ivoire- Jean Clotaire Tétiali
Jeudi, 10 septembre 2020

Tidjane Thiam : assauts en règle contre un homme qui fait peur

Depuis sa dernière interview sur TV5, Tidjane Thiam subit des assauts en règle et un lynchage médiatique la part des journaux proches du pouvoir d’Abidjan. Aujourd’hui encore, « Koaci », journal en ligne du français Laurent Despas, s’invite dans le raid politique contre ce banquier ivoirien, perçu à tort comme l’ennemi d’Alassane Ouattara.

Pourquoi Thiam fait-il si peur ?

Le média « Koaci » dont la spectaculaire et rapide métamorphose a surpris plus d’un, était, à ses débuts, un journal quelque peu crédible. Les contingences de la vie à Abidjan ou les dures réalités de la Côte d’ivoire d’aujourd’hui ont-elles eu raison de son professionnalisme ? La question mérite d’être posée au moins par pure hypothèse. Passons en revue toutes les attaques échafaudées contre l’ex-ministre de Konan Bédié.

A vrai dire, point n’est besoin d’examiner chacune des allégations de tous ces journaux coalisés contre Thiam. Nous en analyserons les plus récurrentes et les plus inutilement incriminantes. En tout état de cause, toutes se résument ainsi : « Tidjane Thiam est un activiste anti-Ouattara qui manœuvrerait pour vendre une transition en Côte d’ivoire qu’il veut diriger… ».

On peut s’apercevoir, d’ores et déjà, que la posture qu’a jusque-là gardée Thiam ôte tout fondement à une telle assertion. En effet, à aucun moment, lors de son interview sur TV5 et même jusqu’à ce jour, Tidjane Thiam n’a laissé transparaître une quelconque volonté de diriger une transition, quoique légitime à en caresser l’espoir ou à en nourrir l’ambition. Pour l’instant, Thiam ne fait que dénoncer un climat sociopolitique en contradiction avec les exigences d’une élection apaisée et crédible. Ce constat est partagé par la quasi-totalité des ivoiriens et la communauté internationale et est encouragé par la matérialité des affrontements aux allures interethniques à Abidjan et du nombre élevé de morts. Cette réalité rend nécessaire une période de transition en Côte d’ivoire.  Mais, étonnamment, sa perspective effraie le pouvoir politique. 

Et pourtant, les négociations et les compromis sociaux et politiques au niveau national entre les principaux protagonistes de la crise actuelle sont indispensables pour gérer les contradictions et rapprocher les positions aujourd’hui encore inconciliables. Il faut des arrangements politiques particuliers ayant la cohérence nécessaire pour amener le pays à fonctionner à l’abri de crises permanentes et induire de la croissance. Ce que dit Thiam, c’est que ces accords entre fils d’un même du pays doivent consacrer la limitation des prétentions individuelles qui compromettraient sérieusement la vie de la nation. D’où sa formule : « il faut éviter ce qui divise ». C’est aussi le sens de sa révélation selon laquelle « l’ex-président Houphouët Boigny s’est plié à la volonté de son peuple qui rejetait son projet de double nationalité ». L’approche est cohérente, prudente et réaliste. 

Dans le deuxième paragraphe de son papier, le confrère Laurent Despas, franchit le pas et dénonce : « celui qui n’a plus remis les pieds au pays depuis 20 ans, mais qui cherche clairement à se repositionner localement aurait récemment activé des relais… ». L’argument est fallacieux ! Car, le degré d’attachement d’une personne à sa patrie ne peut se mesurer à la durée de son absence du pays. Est-il besoin de rappeler qu’après ses études, alors qu’il était sollicité par les plus grandes entreprises mondiales, Tidjane Thiam est revenu en Côte d’ivoire et a occupé les postes de directeur général du BNETD, puis de ministre du plan ? Là où Alassane Ouattara que Laurent Despas a la lourde tâche de défendre s’est révélé aux ivoiriens alors qu’il avait déjà 42 ans. 

Dans un remarquable mélange des genres et avec la même fantaisie, le journaliste français écrit encore en certains points de son article : « mis hors-jeu après une affaire d’espionnage, voilà qu’on reparle de Tidjane Thiam en France… ».

Rappelons que, recruté en 2015 par Crédit Suisse, Tidjane Thiam a été l'architecte d'une vaste réorganisation de l'établissement, qu'il a réorienté vers la gestion de fortune. C’est alors que la banque a connu, tel que l’a rapporté « The Financial », une santé financière jamais égalée. Et, quoiqu’innocenté à l’issue d’une enquête confiée par Crédit Suisse à un cabinet d'avocats, Tidjane Thiam a décidé de partir, au grand dam de plusieurs actionnaires, lâchant cette phrase qui a ému plus d’un : « je déplore que cela se soit passé alors que ça n'aurait jamais dû être le cas. Donc, je pars ». Ce propos rend bien compte d’une grandeur d’âme et d’une beauté morale, ces vertus inexistantes chez les personnes égocentriques convaincues qu’après elles c’est le déluge ! 

L’animosité contre Tidjane Thiam est d’autant plus grande que même sa proposition que « les questions africaines doivent être réglées par les africains eux-mêmes » est perçue par une certaine presse pro-RHDP comme « une hypocrisie qui cacherait mal son ambition de vendre la Côte d’ivoire à la France »

Encore une fois, la thèse est dénuée d’assise. Une analyse en contexte laisse plutôt clairement entrevoir que l’image de l’Afrique projetée à l’extérieur du continent constitue une préoccupation profonde pour Tidjane Thiam. Sur le plateau de TV5, l’ex-ministre ivoirien paraissait pourtant dénoncer que nous africains n’avons cessé d’offrir de nous-mêmes une image trop souvent négative et réductrice qui, notamment, à travers le prisme de notre propre presse, privilégie la perception d’une Afrique en état de crise permanente, soumise à des fléaux multiples (sida, pauvreté, instabilité politique, corruption…).

Le traitement médiatique des questions de l’Afrique reste celui des crises, des soubresauts politiques, et certains sujets stéréotypés (conflits et violations des droits de l’homme, antagonismes ethniques). Alors que, la réalité africaine, soutient Tidjane Thiam, est beaucoup plus complexe et beaucoup plus pleine d’espoir que cela, parce qu’elle peut aujourd’hui mettre en balance les désastres avec les mémoires des sociétés à la base de gouvernements modernes, de structures économiques, bâtissant et gérant l’éducation, la santé, les systèmes et reformes agricoles etc. 

Il ne s’agira nullement, prévient-il, de nier l’aide appréciable que les occidentaux nous apportent, moins encore de demander aux africains de vivre recroqueviller sur eux-mêmes, mais plutôt de donner aux africains une nouvelle conscience d’eux-mêmes, pas comme des victimes mais comme des acteurs ; pas seulement comme clients mais comme fournisseurs, dans le marché international des idées pour définir le futur de l’humanité. Là est toute la substance du discours de Thiam. Devrait-on y lire un désir irrépressible de positionnement politique ?

En vérité, Tidjane fait peur.

Jean Clotaire Tétiali