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Côte d'Ivoire : Un marché du travail en trompe-l'œil

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Mercredi, 26 septembre 2018

Côte d'Ivoire : Un marché du travail en trompe-l'œil

APRNEWS- Les bons chiffres de l'économie ivoirienne ne sauraient cacher une réalité liée aux problèmes de la qualification des employés face à un travail : celle de l'adéquation des salaires. 

Nos travaux montrent que les travailleurs surqualifiés, dont un bon nombre ont un BTS, un DEUG ou un DUT, sont les plus exposés à gagner de petits salaires par rapport à certains emplois, même si avec l'expérience et l'âge, l'écart de salaire avec les personnes qualifiées pour le poste diminue. Plus le travailleur surqualifié vieillit, plus il a de l'expérience dans son emploi. Il augmente sa productivité marginale dans l'entreprise et par suite son salaire. Pour rappel, la surqualification est la distinction qui peut être observée entre le niveau de qualification du travailleur et la qualification requise par le poste d'emploi qu'il occupe.

Surqualification et rendement salarial

Freeman, en 1976, est l'un des premiers économistes à avoir manifesté, à la fin des années 1970, de l'intérêt pour ce phénomène à travers l'étude sur les baby-boomers sur le marché du travail aux États-Unis. Selon lui, l'augmentation de l'offre de travailleurs hautement qualifiés s'est réalisée pendant la période durant laquelle la demande des travailleurs qualifiés était en baisse, forçant les diplômés hautement qualifiés à accepter des emplois qui nécessitaient des qualifications de niveau plus faible que les leurs. La surqualification a des implications en termes de salaire. Cette dimension du phénomène est étroitement liée à la littérature économique sur les rendements de l'éducation des diplômés. Selon Gary Becker, le rendement salarial est en corrélation avec la durée de la formation du diplômé. Le salaire étant fixé par les conditions de la concurrence, il mesure la productivité de l'individu.

La situation en Côte d'Ivoire

Le gouvernement ivoirien, dans un contexte de pénurie de travailleurs qualifiés a augmenté les dépenses globales d'éducation sur la période 2006-2014, passant de 579 505 millions de FCFA à 1 230 843 millions de FCFA (source : ministère du Budget, ENV 2008 et ENV 2015) afin de soutenir le développement de la Côte d'Ivoire. Mais le taux de surqualification, qui est de 29,69 % sur le marché du travail et de 30,68 % pour les diplômés du supérieur, montre un déphasage entre les investissements consentis dans l'éducation et les besoins du marché du travail. À diplôme égal, le diplômé qui accepte un emploi dont les exigences de qualification sont inférieures à son niveau de qualification subit un écart de salaire par rapport à son confrère qui est dans un emploi dont les exigences de qualification sont égales au niveau de qualification.

En effet, selon une enquête réalisée par le Centre de recherche microéconomique du développement (CREMIDE) en 2018 sur les diplômés en Côte d'Ivoire, le salaire moyen d'un travailleur qualifié est de 237 465 FCFA. Par contre, celui du surqualifié est de 149 630 FCFA. On observe un écart de salaire d'environ 90 000 FCFA. Pour les travailleurs qui occupent des emplois à plein temps, les qualifiés gagnent en moyenne 239 217 FCFA alors que les surqualifiés gagnent 154 227 FCFA. Quant aux travailleurs en temps partiel, les qualifiés gagnent 219 877 FCFA et les surqualifiés gagnent 138 072 FCFA. Pour les travailleurs de niveau d'enseignement supérieur, les qualifiés gagnent en moyenne 244 549 FCFA alors que les surqualifiés gagnent en moyenne 152 293 FCFA soit un écart d'environ 90 000 FCFA. Cet état de fait nous montre qu'il est irrationnel pour un diplômé du supérieur d'accepter un emploi qui exige un niveau de qualification inférieur au sien, car il risque de perdre 90 000 FCFA de salaire.

Pourquoi ces écarts de salaire ? Deux pistes

Pour expliquer les écarts de salaires entre les qualifiés et les surqualifiés, l'on a utilisé la méthode de décomposition d'Oaxaca-Blinder (1973) repris par Ben Jann (2008). Les résultats obtenus nous montrent que l'écart de salaire entre les travailleurs qualifiés et surqualifiés est expliqué en majorité (53,65 %) par les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs. L'obtention d'un diplôme de BTS/DEUG/DUT explique l'écart de salaire. Cela veut dire que les diplômés de BTS/DEUG/DUT qui acceptent un emploi de niveau de qualification inférieur auront un salaire plus bas que ceux qui acceptent seulement un emploi de niveau BTS/DEUG/DUT. En plus du diplôme BTS/DEUG/DUT, les travailleurs en accord verbal avec leurs employeurs risquent d'avoir un salaire inférieur aux travailleurs qualifiés de même niveau qu'eux, travaillant chez le même employeur, s'ils occupent des emplois qui exigent des niveaux de qualification inférieurs au sien. La part non expliquée de l'écart de salaire (46,35 %) est due à la discrimination des employeurs envers les surqualifiés. Cette discrimination diminue cependant avec l'âge du travailleur surqualifié. Mais augmente avec les travailleurs qui ont un diplôme du supérieur surtout le diplôme de BTS/DEUG/DUT.

Par ailleurs, les employeurs qui ont une entreprise de petite taille ont un comportement discriminatoire plus fort envers les travailleurs surqualifiés du point du salaire que les employeurs possédant des entreprises de grande taille. Il n'est donc pas conseillé pour un diplômé qui veut s'insérer dans une entreprise de petite taille d'accepter un emploi qui exige un niveau de qualification inférieur au sien.

* Andoh Regis Yapo est doctorant, économiste du travail, assistant chercheur au Centre de recherche microéconomique du développement (CREMIDE) de l'université Alassane Ouattara de Bouaké.

Avec AFP