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Maroc-Algérie : le patrimoine culturel, nouveau champ de bataille

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Vendredi, 12 novembre 2021

Maroc-Algérie : le patrimoine culturel, nouveau champ de bataille

Tarik Ibn Ziyad, Ibn Khaldoun, couscous, musique gnawa, malhoun, caftan… Le regain de tensions politiques entre Rabat et Alger a ravivé la dispute autour de la paternité de certains des éléments phares du patrimoine culturel commun aux deux pays.

De la guerre diplomatique à la guerre culturelle, il n’y a parfois qu’un pas… que n’ont pas manqué de franchir les internautes algériens et marocains. Parallèlement à l’escalade des tensions entre leurs pays respectifs, ceux-ci s’affrontent depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux à grands coups de polémiques autour de l’origine d’éléments culturels communs. Couscous, tajine, caftan, gnawa… tout y passe, jusqu’à la nationalité de personnages historiques tels que Tarik Ibn Ziyad ou Ibn Khaldoun.

« On voit fleurir sur le web plusieurs mouvements qui ont fait de cette appropriation de différents volets culturels leur fonds de commerce, en s’attachant uniquement à la dimension fétichiste », souligne le politologue Rachid Achachi. Côté marocain, on peut citer notamment les Moorish, qui publient régulièrement des articles sur leur site consacré à l’histoire du patrimoine du Royaume, qu’il soit matériel ou immatériel, et qui disposent d’une large audience, en particulier sur les réseaux sociaux.

Côté algérien, si aucun groupe ne dispose d’une popularité comparable à celle des Moorish, on trouve de très nombreux internautes dont les posts tournent quasi systématiquement autour de la défense de l’identité algérienne, attaquée selon eux par son voisin de l’Ouest.

Tentative de récupération

« Tout le patrimoine algérien a été volé par le Maroc : le caftan, le couscous, les tajines… Tout cela a des buts politiques néo-colonialistes. On est deux peuples différents. Nous avons notre histoire, notre patrimoine. Merci de ne pas nous le voler », écrit ainsi un twitto qui se fait appeler « La Perle d’Alger ».

La prolifération de ce type de contenus ces derniers mois laisse à penser qu’il y aurait une tentative de récupération des questions identitaires. « Il va de soi que la vraie identité ne réside ni dans le couscous ni dans le caftan, mais dans les valeurs structurantes de l’imaginaire d’un peuple », rappelle Achachi.

« Dans le cas de l’Algérie, tout en maintenant un niveau de tensions diplomatiques et martiales élevé, on cherche un nouveau front, culturel cette fois. Cela montre que ce pays a épuisé tous les mécanismes dont il disposait : fermeture des frontières, rupture des relations diplomatiques, annulation du renouvellement du pipeline qui alimentait l’Espagne… Il ne reste plus que le fétichisme culturel et identitaire pour alimenter un roman national en manque de grandeur et exciter les ardeurs nationalistes du peuple », se désole le chercheur.

Un point de vue partagé par Nabil Mouline, historien et politologue, chercheur au CNRS et enseignant à Sciences-Po et à l’EHESS. « La montée en puissance des tensions entre Rabat et Alger durant ces derniers mois a poussé les autorités algériennes à recourir à une nouvelle arme : les symboles », nous explique-t-il. « Le déficit de profondeur historique qui caractérise le processus de construction nationale doublé d’un déficit de tradition a conduit les dirigeants de ce pays à vouloir les (ré)inventer afin de combler ce besoin, quitte à prendre des libertés avec les réalités factuelles, à réclamer la paternité exclusive de certains biens culturels communs ou tout simplement à s’approprier une partie du patrimoine immatériel du voisin de l’Ouest ».

Aprnews avec Jeuneafrique