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Malte : la mobilisation grandit autour de 3 migrants accusés de terrorisme pour avoir refusé de retourner en Libye

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Vendredi, 5 novembre 2021

Malte : la mobilisation grandit autour de 3 migrants accusés de terrorisme pour avoir refusé de retourner en Libye

Les appels se multiplient pour obtenir la libération de trois migrants accusés d’avoir détourné un navire marchand en 2019. Surnommés les "El Hiblu 3", du nom du cargo, les migrants avaient obligé le capitaine du bateau à faire route sur Malte, alors que le navire avait reçu l'ordre de les ramener en Libye. Les trois accusés, adolescents au moment des faits, sont accusés de terrorisme.

Depuis deux ans, l’histoire des trois jeunes demandeurs d'asile, connus sous le nom d'"El Hiblu 3", fait les gros titres à Malte. Les trois hommes, deux Guinéens et un Ivoirien, sont accusés d'avoir détourné le navire marchand El Hiblu.

La scène s’est déroulée le 28 mars 2019. Le navire El Hiblu vient de secourir 108 migrants, dont 19 femmes et 12 enfants avant de recevoir l’ordre de les ramener en Libye, pourtant considéré comme un pays à risque. 

Mais l’équipage du navire semble ignorer ces consignes et entre dans les eaux maltaises. L’armée de la petite île décide alors d’intervenir. Elle comprend rapidement que les migrants à bord ont pris le contrôle du navire pour le forcer à mettre le cap sur l'Europe.

Des soldats finissent par monter sur le El Hiblu. Trois jeunes hommes, alors âgés de 15, 16 et 19 ans, sont aussitôt arrêtés, accusés d'avoir détourné le navire. Depuis, débarqués à Malte, ils doivent se présenter à la police une fois par jour en attendant l'issue de leur procès.

Selon la loi maltaise, ils encourent une peine pouvant aller jusqu'à 30 ans de prison. Leur cas est considéré comme une affaire de terrorisme. Les trois hommes ont plaidé "non coupable" et assurent avoir simplement agi comme traducteurs au nom des 108 personnes à bord, afin de convaincre l'équipage du navire de se diriger vers Malte.

Leurs auditions doivent se poursuivre pendant tout le mois de novembre. Les trois migrants sont aidés dans leur défense : des conseillers juridiques de l’Association des avocats européens démocrates (AED), qui regroupe des syndicats et des organisations d’avocats, soulignent que "les accords internationaux, dont l’Union européenne fait partie, affirment clairement que la Libye n’est pas un lieu sûr pour faire débarquer des réfugiés et migrants secourus en mer."

"Parodie de justice"

Amnesty international demande l’abandon des charges contre les trois accusés. En tout, plus d’une trentaine d’ONG, dont Alarm Phone, Sea-Eye, Sea-Watch, Pro Asyl et Leave NoOne Behind, ont rejoint la campagne de soutien aux El Hiblu 3.

A Malte, trois autres organisations locales estiment qu’il s’agit "d’une parodie de justice". Que "poursuivre une personne qui résiste à son retour dans un pays où elle risque de faire face à un réel de danger de mort" est absurde.

Toutes les ONG estiment que Malte cherche à continuer sa pratique des "pushbacks

" vers la Libye. Dans un communiqué commun relayé par le journal Times of Malta, elles affirment que la criminalisation des trois demandeurs d’asile "est une pièce de plus dans le puzzle de la tentative systématique d'opprimer les actes de solidarité et de dissidence aux frontières de l'Europe. Au lieu d'être poursuivis, les El Hiblu 3 devraient être célébrés pour leur action visant à empêcher le retour de 108 vies en danger en Libye. Leur emprisonnement et les poursuites constituent une profonde injustice."

Même l'ONU est intervenue dans cette affaire. L'agence internationale a rappelé dans une déclaration les problèmes de sécurité existant en Libye et demandé aux "autorités maltaises de reconsidérer les accusations de terrorisme portées contre trois adolescents."

De son coté, le ministre maltais de l’Intérieur reste inflexible. Il continue à prôner la nécessité de renforcer la coopération avec les autorités libyennes, bien que le pays soit connu pour ses graves violations des droits de l'homme.

"Je rêvais simplement de liberté"

Le plus jeune des trois accusés, qui a aujourd’hui 17 ans, a déclaré au Times of Malta n'avoir jamais imaginé pouvoir se retrouver dans une telle situation. "Je rêvais simplement de liberté. Désormais j'ai peur d'être emprisonné pour le reste de ma vie. Pour l'instant, ni mon corps, ni mon esprit ne sont libres."

"La dernière fois que j'ai ressenti de la joie, c'est lorsque mes pieds ont foulé la terre ferme, après avoir été secouru en mer. Mais je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait sur cette terre", raconte le jeune homme. Il estime avoir l'impression d'être utilisé comme une "arme" politique dans une bataille injuste.

Les trois accusés disent également craindre un procès inéquitable. Celui-ci a débuté il y a deux ans, mais les personnes secourues n'ont été entendues par le juge que très récemment.

"La police et l'équipage du bateau ont été entendus aussitôt le bateau à quai. La raison qui a poussé les procureurs à attendre deux ans avant d’entendre une personne secourue ayant échappé à la torture, au viol et à l'esclavage en Libye reste un mystère", estiment les ONG.

Malte sur le banc des accusés

Le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (CERE) a par ailleurs publié un rapport accusant "les autorités (maltaises) et l’armée maltaise d'actions de sabotage, de longs délais de réponse et de non-assistance dans leurs zone de secours et de recherche en mer." Le rapport cite une série de cas récents dans lesquels les autorités de Malte ont tardé à répondre à des appels de détresse lancés par des migrants en mer.

Récemment, plusieurs personnalités ont rejoint le mouvement de soutien aux trois migrants : l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, le défenseur des droits de l’homme letton Nils Muižnieks, ou encore Régine Psaila, directrice de l’association des médias africains à Malte.

"Lorsque quelqu’un comme Achille Mbembe fait une déclaration, l’impact est énorme. Cela va porter l’affaire à un tout autre niveau", explique Régine Psaila au Times of Malta. "La commission est la voix des sans-voix, c’est le cinquième pouvoir pour représenter les opprimés."

Des méthodes répandues dans toute l'UE

Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme assurent que les pratiques d'intimidation de la part de pays européens se déroulent un peu partout en UE.

En Italie notamment, plusieurs ONG se retrouvent accusées d'avoir "aidé et encouragé l'immigration illégale" pour avoir secouru en mer des personnes en détresse. 

L’affaire des El Hiblu 3 rappelle l’histoire d’un migrant somalien condamné en Grèce en mai 2021 pour trafic d’être humains. Cet homme de 27 ans avait pris place, le 2 décembre 2020, dans un canot pneumatique depuis les côtes turques avec 33 autres personnes. L'embarcation avait pris la direction des îles grecques, mais s'est trouvés en difficulté peu de temps après son départ.

Mohamad H., "sans expérience de la navigation" avait alors tenté d'empêcher un naufrage et avait pris le contrôle du canot pour "sauver la vie de tout le monde", selon l'ONG Bordeline Europe. Le bateau avait finalement chaviré près de l'île de Lesbos. Deux femmes n'avaient pas survécu.

Pour ce geste, Mohamad H. est actuellement en prison. Il a été condamné à 142 ans de réclusion pour trafic d'êtres humains

Dans une interview au New York Times, François Crépeau, expert en droit international et ancien haut fonctionnaire des Nations unies, explique que "la criminalisation des migrants comme moyen de dissuasion est une stratégie qui existe depuis longtemps. La dernière étape est ce que nous avons vu en Grèce récemment, à savoir un nombre obscène d'années de prison pour des personnes qui essaient de sauver leur vie et de protéger leur famille."

Aprnews avec Infomigrants