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APRNEWS: Un coup d'État qui secoue la France

APRNEWS- Un coup d'État qui secoue la France
Samedi, 26 août 2023

APRNEWS: Un coup d'État qui secoue la France

APRNEWS- Un mois jour pour jour après le coup d’État au Niger, la situation reste confuse en Afrique de l’Ouest. Une intervention armée était toujours envisagée cette semaine par les pays voisins pour rétablir l’ordre à Niamey, mais ce scénario divise. La France, en arrière-scène, voit lui échapper une autre de ses anciennes colonies, alors que son influence continue de fondre dans cette région du continent africain. Le point sur le Sahel et la Françafrique.

APRNEWS - Le Sahel et après ? Le coup d’État à Niamey est un nouveau coup dur pour l’influence française en Afrique

Un mois après le putsch, quelle est la situation au Niger ?

Calme, mais confuse. Calme parce que le tout s’est fait de façon très simple, sans effusion de sang. Confuse parce qu’on ne sait toujours pas quels sont les tenants et aboutissants de cette crise politique. Difficile, en outre, de prédire comment tout cela va évoluer. Le nouveau régime a décidé vendredi d’expulser l’ambassadeur de France au Niger, lui donnant 48 heures pour partir, et l’on évoque toujours la possibilité d’une intervention militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Ce coup d’État a fait couler beaucoup d’encre. Comment expliquer cette agitation politique et médiatique internationale, moins visible à la suite d’autres putschs ? 

Parce que personne ne l’avait vu venir. Parce que les motivations du général putschiste, Abdourahamane Tiani, restent floues. Parce que la France et les États-Unis ont des bases militaires dans le pays. Et parce que le Niger était jusqu’ici considéré comme une incarnation de la réussite démocratique en Afrique (avec l’élection du président Mohamed Bazoum en 2021), ce qui n’était pas le cas en Guinée, au Mali ou au Burkina Faso, où des coups d’État ont eu lieu ces dernières années.

Pour les pays membres de la CEDEAO, il y a aussi la crainte d’un effet domino. « Les chefs d’État civils élus craignent une contagion des coups d’État militaire. Ils se disent qu’il faut stopper ça à tout prix », explique le journaliste Rémi Carayol, spécialiste du Sahel et auteur du livre Le mirage sahélien. 

On évoque justement la possibilité d’une intervention militaire de la CEDEAO pour rétablir l’« ordre constitutionnel » au Niger. Ce scénario est-il crédible ? 

Ce scénario semble assez improbable, tant sur le plan politique qu’opérationnel. Il y a des puissances non négligeables qui s’opposent à cette intervention, comme l’Algérie, qui joue un rôle important dans la sous-région, ainsi que les États-Unis, qui ont une base militaire dans le pays. Les 15 pays de la CEDEAO n’y sont pas tous favorables, par ailleurs.

C’est aussi une opération très délicate à mener. L’ancien président Bazoum est toujours détenu à Niamey.

Et une partie de la population soutient les putschistes. Si les soldats de la CEDEAO pénètrent en territoire nigérien, il y a un risque de mobilisation et de résistance. La situation peut déraper et devenir catastrophique. 

« Cela peut déstabiliser la région et ouvrir un conflit compliqué avec des pays qui n’en ont pas les moyens », résume l’historien Amzat Boukari-Yabara.

Militant panafricaniste, M. Boukari-Yabara juge en outre cette option complètement « absurde ».

Selon lui, ce n’est pas une intervention militaire au Niger qui empêchera des coups d’État dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Si vous voulez arrêter les coups d’État, il faut jouer sur les éléments à l’origine des coups d’État et non pas envoyer des forces militaires pour déloger des putschistes.

Amzat Boukari-Yabara, historien

Ce coup d’État est-il un coup dur pour la France ? 

Oui. La France misait beaucoup sur ce pays pour sa nouvelle stratégie au Sahel. Forcée de quitter le Mali et le Burkina Faso en 2022 et 2023, elle avait envoyé le gros de ses troupes au Niger (environ 1500 soldats) afin de poursuivre sa lutte contre les groupes djihadistes dans la région.

Or, le nouveau régime dénonce les accords militaires conclus avec Paris et rajoute à l’humiliation en exigeant le départ de l’ambassadeur français.

Pour la France, c’est la perte d’un allié géostratégique important. Et un camouflet anticolonialiste de plus.

Est-ce donc la fin de l’influence française en Afrique ?

Le système de la « Françafrique » est loin d’être à terre. Des pays comme le Gabon, la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Sénégal, le Congo-Brazzaville et Djibouti sont toujours fidèles à la France.

Ce sont des implantations anciennes, durables, où se mêlent intérêts économiques, politiques et militaires.

Mais il est vrai que la France est en train de perdre pied dans certaines de ses anciennes colonies. Au Mali, au Burkina Faso, en République centrafricaine, le sentiment antifrançais est de plus en plus palpable.

On brûle des drapeaux, on manifeste devant les ambassades, on réclame la Russie.

La jeunesse rejette le paternalisme postcolonial de la France. Et Paris ne dispose plus de complicité avec les élites de ces pays, dont les militaires, qui souhaitent changer d’alliances.

D’où ce putsch au Niger, que Paris n’avait absolument pas vu venir. 

C’est une sorte d’effet boomerang. La France n’a pas vu l’Afrique se mondialiser.

Elle a sous-estimé ce néo-souverainisme chez les jeunes Africains.

C’est indéniablement une période historique que nous vivons là.

Antoine Glaser, journaliste et coauteur du Piège africain de Macron

Globalement, à qui profite ce recul français en Afrique ? 

Sur le plan économique, il y a longtemps que la France a perdu sa domination. 

La Chine s’est déjà taillé la part du lion, avec 20 % des relations commerciales sur le continent (contre seulement 4 % pour la France).

La Russie gruge petit à petit par le truchement du groupe Wagner, quoiqu’on ne sache pas ce qu’il adviendra de cette milice en Afrique après la mort de son chef Evguéni Prigojine.

La Turquie y est très active, notamment au Niger, où elle construit l’aéroport de Niamey. 

Sur le plan de l’influence diplomatique, la France a aussi perdu du terrain. Ses anciennes colonies ne la soutiennent plus systématiquement à l’ONU. On l’a vu lors du vote pour la résolution contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, quand le Togo et la Guinée ont préféré s’abstenir.

« Les chefs d’État africains ont conscience qu’ils peuvent jouer la carte du non-alignement. Ils vont de plus en plus là où leurs propres intérêts les guident », résume Rémi Carayol. 

Emmanuel Macron a bien tenté de réinventer les relations entre Paris et l’Afrique. Mais son approche – « infantilisante » selon Amzat Boukari-Yabara – a eu peu d’effet. Ce qui, finalement, ne surprend pas Antoine Glaser : « Il y a un sociologue flamand qui a écrit : tout passe, sauf le passé. C’est comme ça. On ne tourne pas la page si facilement… »