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APRNEWS : CEDEAO - Le choix de la désescalade

APRNEWS - : CEDEAO - Le choix de la désescalade
Samedi, 2 mars 2024

APRNEWS : CEDEAO - Le choix de la désescalade

APRNEWS - La récente décision d’une levée des sanctions imposées aux régimes issus de coups d’Etat en Afrique de l’Ouest constitue-t-elle réellement une reculade de la Cédéao ? Décryptage des conclusions de l’institution régionale, au-delà des apparences.

APRNEWS - Au cours du week-end du 24 février, à l’issue d’un sommet extraordinaire à Abuja, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a décidé la levée d'une grande partie des sanctions contre le Niger, le Mali et la Guinée, trois pays dirigés par des régimes issus de putschs militaires.On note, dans cette liste, l’absence du Burkina Faso, également sous sanctions. 

Le cas le plus commenté a été celui du Niger. La levée des sanctions « avec effet immédiat, essentiellement pour raison humanitaire », tout en marquant la pleine reconnaissance du pouvoir militaire de Niamey, pulvérise les menaces d’une intervention militaire, brandies fin juillet 2023 par l’institution régionale à l’encontre de la junte nigérienne. Par ailleurs, la Cédéao a choisi de ne plus conditionner la levée des sanctions à la libération du désormais « ancien » président toujours séquestré, avec son épouse, par une junte qui, pour d’obscures raisons, semble sérieusement redouter les prises de parole de Mohamed Bazoum en liberté. A cet égard, selon le communiqué final du sommet d’Abuja, « la Cédéao réitère son engagement à maintenir le dialogue avec le gouvernement du Niger, dans l’objectif d’obtenir la libération du Président Mohamed Bazoum ». 

Des conclusions embarrassantes pour les juntes

Même si, comme le précise l’organisation, « des sanctions individuelles et politiques restent en place », la levée des mesures économiques est perçue comme un revirement de position envers ces pouvoirs militaires. Au sein des opinions, la décision a été invariablement interprétée comme une « reculade », un exercice désespéré de « survie », ou encore l’ultime démonstration du « discrédit » de la Cédéao. Nombreux sont ceux qui ont déploré un aveu de faiblesse face aux audaces des trois pays coalisés de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Mali, Niger, Burkina Faso) qui ont notifié récemment leur décision de se retirer de la Cédéao. D’autant que, dans le communiqué final du sommet extraordinaire d’Abuja, les dirigeants ouest-africains ont invité ces pays frondeurs à reconsidérer leur décision. Mais, au-delà des apparences, s’agit-il réellement de la fin de toutes choses ? Doit-on en conclure que la position ainsi adoptée constitue une normalisation des prises de pouvoir par la force, et un permis de perpétrer des putschs en toutes saisons et tous lieux ? A ce propos, le communiqué final de la Conférence des Etats membres rappelle, sans équivoque, « le principe de la tolérance zéro de la Cédéao pour la prise de pouvoir par des voies anticonstitutionnelles tel qu’inscrit dans les protocoles de la Cédéao, la Charte de l’Union africaine et d’autres instruments internationaux. »  

A y regarder de plus près, les décisions prises par la Cédéao pourraient s’avérer bien plus embarrassantes pour les juntes qu’il n’y paraît. Alors que les coalisés de l’AES espéraient une confrontation – politique et dialectique – avec l’organisation régionale, cette dernière aura fait le choix d’une stratégie de dédramatisation et de désamorçage d’une crise ainsi vidée de son essence. Pour tenter de légitimer leur pouvoir et justifier leur départ de la Cédéao, les juntes se sont essentiellement appuyées sur la conflictualité établie contre l’institution. Ainsi est-elle désignée comme un instrument d’agression des peuples, auteur de sanctions qualifiées d’« injustes, inhumaines, iniques, illégales ». Des épithètes qui, tout en occultant la raison et la source de ces sanctions, rythment, depuis des mois, les discours etles rengaines volontiers roublardes des putschistes du Sahel. 

Sauvegarde des attributs des souverainetés

Les pays de l’AES souhaitaient installer un clivage conflictuel entre eux et la Cédéao. Face à la tourmente, cette dernière a choisi de recourir aux vertus de la politique, de la négociation et du compromis. En décidant la levée des sanctions et en rappelant sa disposition à « maintenir le dialogue » avec les acteurs concernés, la Communauté régionalea posé un geste d’apaisement. Elle a également fait montre d’un pragmatisme assumé, en reconnaissant que le départ du Mali, Niger et Burkina Faso priveraitl’institution de ses capacités initiales, sans pour autant remettre en cause sa raison d’être. Dans ses conclusions, elle a indiqué, en plusieurs points, « les conséquences d’un retrait pour les trois pays, et pour la Cédéao, en tant que groupe », en détaillant lesrépercussions sur les plans politique, socio-économique, financier, sécuritaire et diplomatique…

Plutôt qu’une « reculade », la Cédéao a posé un acte de responsabilité, invitant les juntes frondeuses à assumer la leur. Reste à savoir si le cadre ainsi posé par la Communauté régionale pourrait s’accorder avec l’agenda et les plans des régimes militaires concernés. Quelles réponses pourraient-ils apporter aux décisions de la Cédéao, alors même qu’ils estiment qu’ils se sont déjà affranchis de cette organisation ? Quand l’on sait que les trois pays désignés sont toujours considérés comme membres – jusqu’à l’expiration du délai d’un an consécutif à la notification de leur retrait -, vont-ils accepter de continuer à observer les règles de la Communauté, et donc en appliquer les recommandations ? Le cas échéant, qu’en serait-il alors, notamment, du respect des calendriers de transition auquel ils avaient consenti ? A propos du Niger, le communiqué final du sommet d’Abuja insiste sur le fait que la Conférence des chefs d’Etat « note qu’aucun plan de transition n’a été élaboré par le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) qui dirige le pays ». En tout cas, on peut s’étonner qu’à l’heure où nous publions ces lignes, aucune réponse officiellen’a été formulée par les dirigeants de l’AES aux conclusions du sommet d’Abuja. D’évidence, la balle est à présent dans leur camp. 

Nombre de reproches faits à la Cédéao sont justifiés.A cet égard, la mise en place d’un calendrier de réformes et d’une mise à jour des principes fondamentaux relèvent de l’urgence. Toutefois, à ceux qui souhaitent imprudemment la disparition de la Cédéao, il convient de rappeler que la construction d’un ensemble régional n’est pas un chemin bordé de roses. A l’heure où le continent africain redevient le théâtre des rivalités de diverses puissances, le morcellement des régions seraient profitables à certains intérêts occultes. Le renforcement des grands ensembles solidaires constitue, plus que jamais, un enjeu vital et une digue salvatrice pour la sauvegarde des attributs des souverainetés.

Par nature, la Cédéao est un outil dont l’existence procède d’une logique historique. Sa construction se fonde sur l’adhésion, la participation et les attentes des populations. La raison d’être de cette copropriété ne saurait donc se réduire aux humeurs et péripéties périodiques. Tout en exigeant de l’institution de surmonter ses contradictions initiales et historiques, la légitime et nécessaire critique des dirigeants actuels et de leur passif ne doit pas détourner l’attention du projet de destination. Les recompositions géopolitiques, en cours à l’échelle mondiale, commandent de consolider les acquis plutôt que de les distraire. N’enterrons pas trop vite la Cédéao. Cette œuvre dépasse les acteurs et lescontingences de l’actualité.

Francis LALOUPO, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.