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Le premier trou noir découvert est plus massif qu'on ne le pensait

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Vendredi, 19 février 2021

Le premier trou noir découvert est plus massif qu'on ne le pensait

Cygnus X1 a été le premier trou noir stellaire découvert grâce à ses émissions de rayons X et pendant un temps il était le plus proche connu de l'Humanité dans la Voie lactée. De nouvelles évaluations de sa masse, de sa distance et de sa vitesse de rotation surprennent et remettent en question nos idées sur l'évolution des étoiles massives génitrices de ce type de trou noir.

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Lorsqu'une étoile s'effondre gravitationnellement après avoir épuisé son carburant nucléaire et qu'elle contient encore plusieurs masses solaires malgré les vents stellaires violents en fin de vie qui ont éjecté une partie non négligeable de sa masse initiale, l'espace-temps à l'intérieur de cette étoile devient dynamique et ressemble beaucoup à celui de l'Univers observable lors du Big Bang. La grande différence étant bien sûr que dans le premier cas l'espace est en contraction alors que dans le second il est en expansion.

L'effondrement de l'étoile va conduire sa matière à passer sous la surface de l'horizon des événements du trou noir de masse équivalente à celle de l'étoile, ce qui veut dire en fait que l'étoile devient un trou noir. Au début des années 1960, deux équipes de chercheurs, états-unienne et russe, ont montré sur ordinateur que la formation de cet horizon était tout à fait crédible en se basant uniquement sur les lois de la physique connues de l'époque. Par contre, ces simulations numériques et d'autres calculs analytiques ne permettaient pas vraiment de savoir ce qui se passait en fin d'effondrement gravitationnel.

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Les trous noirs, des laboratoires pour la physique fondamentale

C'est le prix Nobel Roger Penrose qui va finalement démontrer en 1965 que si l'on croit aux équations de la théorie de la relativité générale, un point de densité infinie et de courbure de l'espace-temps qui l'est tout autant, doit apparaître une singularité de l'espace-temps et ce contrairement aux calculs de deux physiciens russes légendaires qui affirmaient le contraire, Evgeny Lifshitz et Isaak Khalatnikov.

Toutefois, des effets quantiques et une nouvelle physique de la matière et des forces devaient intervenir et étaient susceptibles de changer la donne. Or, tout comme l'effondrement d'une étoile en trou noir est en quelque sorte l'inverse de l'expansion de l'Univers observable au moment du Big Bang, une singularité gravitationnelle devait apparaître au tout début de l'existence du cosmos ou justement être évitée. Probablement en raison des lois d'une théorie quantique de la gravitation capable de décrire ce que John Wheeler, l'inventeur du mot trou noir, a appelé l'écume de l’espace-temps et qui fait l'objet du dernier ouvrage de Jean-Pierre Luminet.

Dès la fin des années 1960, le programme à mener pour comprendre l'origine de l'Univers et jeter une nouvelle lumière sur celle de l'Homme et sa place dans la Nature était donc clair, il fallait étudier la physique des trous noirs et comprendre l'état final de l'effondrement de la matière-espace-temps, pour  reprendre le titre du célèbre cours de relativité générale d'Hermann Weyl.

Mais, en préambule à ce programme se posait naturellement une question. Ils existent vraiment ces trous noirs ?

Un premier élément de réponse est arrivé au cours de l'année 1971 où des observations rendues possibles par l'essor de la radioastronomie et de l'astronomie X ont commencé à accréditer l'idée que l'astre compact dépassant la masse limite autorisée par l'existence d'une étoile à neutrons, et qui était en orbite autour d'une étoile supergéante bleue dans la Voie lactée en direction de la Constellation du Cygne, pouvait être un trou noir. La source X détectée, et par extension le trou noir et même le système binaire le contenant, fut appelée Cygnus X1.

Aujourd'hui, l'essor de l'astronomie gravitationnelle avec Ligo et Virgo, les observations des mouvements de certaines étoiles proches de la source radio Sgr A* au cœur de la Voie lactée, et également l'image de M87* révélée par la collaboration Event Horizon Telescope, ont très fortement accrédité l'existence des trous noirs qui peuvent donc servir de laboratoire pour percer les secrets les plus fondamentaux du cosmos et remonter à son arkhè.

Cygnus X1 étant l'un des plus proches trous noirs connus (le record à ce jour étant détenu par HR 6819), son étude s'est poursuivie et, en fait, elle s'est révélée surprenante déjà pour l'astrophysique et pour la théorie de la formation des trous noirs stellaires, comme Futura l'expliquait déjà dans le précédent article ci-dessous.

Aujourd'hui, une équipe internationale d'astrophysiciens vient de publier un article dans le célèbre journal Science qu'accompagnent deux autres publications dans The Astrophysical Journal et qui remettent en cause, en cascade, non seulement notre connaissance de Cygnus X1 mais aussi nos modèles de la formation des trous noirs stellaires et de l'évolution des étoiles dans la Voie lactée au moins.

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Un trou noir de Kerr presque extrême

Comme l'explique la vidéo ci-dessus, les chercheurs ont commencé par remesurer la distance du système binaire au Système solaire en mobilisant le réseau mondial de radiotélescopes du Very Long Baseline Array (VLBA). Il s'agit d'une dizaine d'instruments espacés par des milliers de kilomètres et dont on peut combiner les observations pour avoir virtuellement l'équivalent d'un radiotélescope géant de la taille de la Terre. On peut alors former des images avec une résolution inédite, en l'occurrence c'est équivalent à pouvoir distinguer des détails de la taille de 10 centimètres sur la Lune à partir de la Terre avec un instrument dans le visible.

La méthode utilisée derrière la nouvelle détermination de la distance de Cygnus X1 est celle de la parallaxe géométrique. Comme le montre la vidéo, en observant sur la voûte céleste un astre à deux points opposés et donc environ six mois d'intervalle depuis la Terre, on constate que sa position a changé et l'angle entre les deux visées différentes, combiné à la mesure de la taille de l'orbite terrestre, permet avec un raisonnement de trigonométrie élémentaire de déterminer la distance de l'astre.

Dans le cas de Cygnus X1, la valeur déterminée est maintenant de 7.200 années-lumière. C'est environ 20 % plus loin que ce que l'on pensait.

Connaissant la luminosité apparente de la supergéante bleue, on peut alors remonter à sa valeur intrinsèque puis à la taille et donc la masse de l'étoile connaissant sa température. En combinant ces mesures avec celles des mouvements de l'étoile induits par l'attraction du trou noir (la méthode est analogue à celle des vitesses radiales avec les exoplanètes), on dérive indirectement de nouvelles estimations de la masse de l'étoile et du trou noir dans un premier temps.

Il apparaît maintenant que Cygnus X1 est deux fois plus massif que ce que l'on pensait et qu'il contiendrait donc 21 masses solaires. Sa rotation sur lui-même est également nettement plus rapide au point d'être proche de la valeur maximale autorisée, la vitesse de la lumière, de sorte que l'astre compact devrait être un trou noir de Kerr presque extrême.

Tout cela pose problème...

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Des vents stellaires surestimés pour les supergéantes bleues ?

En effet, on pense que les trous noirs stellaires se forment à l'occasion de l'explosion de supernovae SN II, par effondrement gravitationnel d'une étoile de plus de 8/10 masses solaires. Une partie de la masse de l'étoile est soufflée au loin par l'explosion, de sorte que le trou noir résultant, à moins qu'il ne soit le produit d'un effondrement sans passer par la case supernova (ce qui est possible), ne possède qu'une fraction de la masse initiale de l'étoile.

Pire, une étoile massive possède des vents stellaires puissants de sorte que certaines de ces étoiles perdent l'équivalent de la masse de la Terre chaque jour. Au final, on ne devrait trouver que rarement des trous noirs stellaires dépassant la dizaine de masses solaires et de fait, si l'on excepte ceux découverts avec des ondes gravitationnelles et qui avaient déjà surpris les astrophysiciens, Cygnus X-1 est le plus massif identifié à ce jour.

La théorie de l'intensité des vents stellaires la fait dépendre non seulement de la masse d'une étoile mais de son contenu en atome de fer. La quantité présente influe sur ce que l'on appelle l'opacité d'une étoile, c'est-à-dire la capacité de ses couches à transmettre le rayonnement produit en leur cœur et aussi la capacité de ce rayonnement à exercer une pression sur le plasma constituant l'étoile au point de le souffler.

En se basant sur les abondances de fer dans les étoiles de la Voie lactée et sur la théorie précédente, on en déduit qu'avant d'atteindre le stade de supernova, les étoiles massives devraient avoir perdu tellement de matière que la majorité des trous noirs stellaires formés ne devraient contenir que quelques masses solaires.

De même que les masses des trous noirs dans le système binaire de la fameuse source d’ondes gravitationnelles GW150914 avaient surpris, respectivement 29 et 36 masses solaires, mais ils n'étaient pas dans la Voie lactée, celle de Cygnus X-1 aujourd'hui laisse penser que les étoiles massives de notre Galaxie ne perdent pas autant de masse qu'on le croyait. Il va falloir revoir notre copie à ce sujet.

La masse de la supergéante bleue étant aussi réévaluée à 40 masses solaires, elle devrait finir sa vie en donnant un trou noir et au final Cygnus X-1 devrait devenir un exemple des trous noirs binaires détectés par Ligo et Virgo. Toutefois, ceux-ci tournent nettement plus lentement sur eux-mêmes que dans le cas de celui actuellement observé, ce qui donne un argument de plus pour se tourner vers des scénarios un peu exotiques pour former des trous noirs binaires massifs.

Futura-sciences