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Faouziath Sanoussi, la science de la bonne nutrition dans la peau

Aprnews - Faouziath Sanoussi, la science de la bonne nutrition dans la peau - Au féminin - Benin
Mardi, 24 novembre 2020

Faouziath Sanoussi, la science de la bonne nutrition dans la peau

Lutter contre la malnutrition en concevant des aliments pour enfants 100 % africains, c’est la mission que s’est assignée la jeune scientifique.

A l’intérieur du hangar, les cylindres et les blocs en inox flambant neufs sont bien silencieux. « Toute la chaîne de fabrication ne peut pas fonctionner en simultané. L’université n’a pas la capacité électrique suffisante pour un tel système », lâche Faouziath Sanoussi, en observant ses broyeur, mélangeur et séchoir à l’arrêt. La scientifique béninoise n’en est pas inquiète pour autant. Il ne s’agit là que d’un obstacle de plus sur sa route. Elle le surmontera !

A 31 ans, la docteure en agrobiodiversité et technologies alimentaires ne laisse rien perturber son ambition, celle de lutter contre la malnutrition infantile et de faire avancer les sciences alimentaires dans son pays.

Dans cet atelier de transformation au fond de l’université d’Abomey-Calavi, une fac où elle a fait ses classes, elle voit aujourd’hui son combat se matérialiser. « C’est ici que nous allons fabriquer nos snacks extrudés à base de mil », précise-t-elle d’un ton solennel, en ouvrant la gueule de son extrudeur.

Les yeux de la scientifique brillent face à cet appareil de cuisson novateur, rare au Bénin. Elle qui s’est battue pour réussir à le financer – 25 millions de francs CFA obtenus auprès d’une fondation brésilienne –, va enfin pouvoir industrialiser la production de ses biscuits pour enfants fabriqués à partir de produits locaux et capables de combattre la malnutrition.

Faouziath Sanoussi, docteure en agrobiodiversité et technologies alimentaires, dans son atelier de transformation d’aliments pour enfants 100 % africains, à Cotonou, en novembre 2020.

Révolutionner l’alimentation pour enfants

Ce projet lui a valu une distinction cette année puisqu’elle vient d’être choisie pour faire partie des jeunes talents récompensés par le Prix Afrique subsaharienne 2020 L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Les 15 000 euros de sa bourse lui permettront de transformer son hangar en un vrai centre d’excellence scientifique pour révolutionner rapidement toute l’alimentation pour enfants du Bénin.

Encore rare car onéreuse, « l’extrusion est une technique de cuisson à haute température qui conserve les éléments nutritifs des produits, contrairement à la cuisine traditionnelle au four ou à l’eau », souligne Mme Sanoussi. Une passionnée de nutrition qui a construit tout son parcours d’agronome autour du sujet dans un pays où 34 % des enfants souffrent encore de manière chronique de malnutrition ou de sous-nutrition.

C’est en travaillant sa thèse sur les farines infantiles, entre 2012 et 2016, que la scientifique mesure l’ampleur du problème. En étudiant la composition des bouillies que les Béninoises donnent quotidiennement à leurs enfants en bas âge, elle découvre qu’elles sont en réalité composées à 80 % d’eau. Pas de quoi couvrir les besoins d’un bébé, bien au contraire.

« C’est un facteur important de malnutrition et ça ne s’arrange pas quand l’enfant va à l’école »poursuit la biologiste forte du constat que « les jeunes écoliers consomment de plus en plus de snacks, de biscuits de blé importés dont on ne connaît ni la provenance ni les vertus diététiques. Paradoxalement, nous les Africains, consommons du blé importé alors que nous produisons du mil. Il faut changer tout ça ! », affirme-t-elle avec détermination.

Ses biscuits, un concentré de Bénin

Décrite par ses proches comme « méthodique » et « travailleuse », Mme Sanoussi est aussi une scientifique optimiste. Là où certains verraient un obstacle, elle préfère y voir une opportunité à saisir pour changer l’avenir. Le faible développement du Bénin comme généralement du reste de l’Afrique ? « C’est une chance pour changer notre modèle alimentaire. Contrairement à l’Europe, il n’est pas trop tard. Ici, le fast-food et les aliments “ready to eat” commencent à se développer pour nous inculquer cette nouvelle culture. Saisissons cette occasion pour nous reconnecter à nos racines en créant des produits locaux prêts à consommer et bons pour la santé de nos enfants »précise-t-elle.

Ses biscuits, eux, sont un concentré de Bénin. Du mil pour les glucides, de la poudre de moringa pour les protéines et de la pulpe de baobab pour la vitamine C. La recette fonctionne et, en 2021, il lui restera à démarcher les industriels pour produire en grande quantité ces fameux snacks nouvelle génération.

« Les projets de chercheurs ont tendance à s’arrêter au stade de la démarche intellectuelle, sans se concrétiser. Il faut créer plus de ponts entre les intellectuels et les industriels. Notre développement endogène en dépend », analyse la jeune femme, la main posée sur son ventre rond.

Enceinte de son deuxième enfant, Faouziath Sanoussi conjugue depuis trois ans son rôle de mère avec son métier de chercheuse, dans un pays où les femmes sont encore sous-représentées dans le secteur des sciences. Stigmatisées aussi. Comme lors de cette conférence au Nigeria où un confrère lui demande : « Que fais-tu là, loin de ton bébé ? Tu es une sorcière. Ton rôle est d’être mère », raconte-elle, se souvenant du moindre de ces mots prononcés, avant de regretter : « En Afrique, dès qu’une femme devient mère, la société voudrait qu’elle ne fasse que ça de sa vie. »

« Elle a beaucoup de potentiel »

Ce regard stigmatisant, la trentenaire le combat au quotidien sur le terrain des biotechnologies alimentaires, une bataille qu’elle mène pour faire avancer la science béninoise mais aussi la société. « Je veux être un modèle pour ma fille et lui faire comprendre qu’une femme est un être complet, capable de réfléchir et de travailler tout comme les hommes. Si elle peut comprendre qu’elle est capable de réaliser ses rêves, elle pourra lever toutes les barrières sur son chemin. »

Chez les Sanoussi, la force de caractère comme les sciences alimentaires sont une affaire de famille. Faouziath tient tout ça de son père, un agronome « qui s’est fait tout seul » et s’est battu pour donner la meilleure éducation à ses six enfants, répétant sans cesse à ses cinq filles que les hommes ne valent pas mieux qu’elles. Depuis, quatre sur cinq sont devenues scientifiques.

D’ailleurs, à l’université d’Abomey-Calavi, Faouziath Sanoussi forge l’admiration de l’un des doyens, son mentor aussi, le professeur Joseph Hounhouigan. Ingénieur en technologies alimentaires, M. Hounhouigan n’a pas bougé de l’université depuis qu’il l’a formée il y a plus de trente-cinq ans. Des thésards, il en a vu passer, mais des comme elle très peu.

« Je me demande comment elle arrive à concilier tout ça. Elle est parmi les chercheurs les plus productifs que j’ai vus. Elle a beaucoup de potentiel », confie-t-il, un œil bienveillant sur sa protégée. Respect du maître oblige, l’un des rares experts béninois de l’extrusion, Faouziath Sanoussi écoute, les yeux baissés.

A la faculté de sciences, les femmes ne sont que 25 % à étudier, et moins de 10 % à enseigner. « On sent que les mentalités changent et ça se répercute sur les résultats scientifiques. les femmes comme Mme Sanoussi font avancer la science », se réjouit M. Hounhouigan. Le mois dernier, le professeur est parti à la retraite la conscience tranquille, sûr que la relève scientifique était assurée. Faouziath Sanoussi, elle aussi, en est sûre : ses petits biscuits vont montrer qu’au Bénin, la science se conjugue aussi au féminin.