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APRNEWS:Une méthode forte critiquée au Salvador

APRNEWS- PHOTO FOURNIE PAR LA PRÉSIDENCE DU SALVADOR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Cette photo publiée par la présidence du Salvador montre des dizaines de détenus dans une immense prison construite à Tecoluca, à 74 km de la capitale San Salvador.
Vendredi, 11 août 2023

APRNEWS:Une méthode forte critiquée au Salvador

APRNEWS- Trafics, agressions, menaces, extorsion : les puissants gangs de rue font régner la terreur au Salvador depuis des années. Le président actuel, le populaire Nayib Bukele, a proclamé l’état d’exception en mars 2022 et déclaré la « guerre » aux groupes criminels. Mais les arrestations de masse et une nouvelle loi visant à permettre des mégaprocès soulèvent des inquiétudes.

APRNEWS- Mesures inédites

Depuis près d’un an et demi, 72 000 personnes ont été arrêtées en lien avec la lutte contre les gangs dans ce pays de 6,3 millions d’habitants. 

Cette semaine, le Salvador a augmenté d’un cran la pression sur les gangs : des milliers de militaires et policiers ont été déployés mardi pour boucler le département de Cabañas, où ils soupçonnaient la présence de criminels appartenant à un groupe organisé. 

Si les forces de l’ordre ont déjà encerclé des villes pour cerner des suspects, le siège d’un département complet restait une mesure inédite. Elle s’ajoute à une nouvelle loi adoptée la semaine dernière pour pouvoir juger jusqu’à 900 accusés dans un même procès criminel – faisant craindre pour les droits à une défense juste des accusés. 

« Je pense que la guerre de Bukele contre les gangs atteint de nouveaux sommets, commente Christine Wade, professeure du Washington College. Il y a de sérieuses raisons de s’inquiéter non seulement de l’encerclement de Cabañas, mais de cette législation qui approuve les procès de masse. Elle est vraiment inquiétante du point de vue des droits de la personne. »

Contexte criminel

Le président Nayib Bukele a durci le ton avec les gangs après le meurtre de 87 personnes en quelques jours en mars 2022. 

Les gangs rivaux MS-13 et Barrio 18 sont les groupes criminels les plus importants au Salvador. 

« La vie quotidienne de tellement de gens est affectée par les gangs, que ce soit parce qu’ils doivent payer des frais d’extorsion ou parce qu’ils ont peur que leurs fils ou leurs filles soient réclamés par les gangs, recrutés comme membres ou forcées de devenir des “petites amies”, explique Ellen Moodie, professeure agrégée à l’Université de l’Illinois Urbana-Champaign. Dans la vie de tous les jours, la présence des gangs est omniprésente et les gens se sentent impuissants face à eux. » 

La population, en général, soutient donc la méthode forte adoptée par le gouvernement. 

Même si Mme Moodie comprend cet appui, il ne s’agit pas d’une solution « durable », déplore cette spécialiste du pays. 

« Ça ne résout pas les questions fondamentales », note-t-elle. La pauvreté, les inégalités sociales, le sentiment d’impuissance, le désir d’appartenir à une « famille » de substitution ou d’obtenir un statut sont autant de raisons qui ont favorisé l’allégeance aux gangs dans ce pays secoué par une guerre civile de 1979 à 1992. 

Popularité 

La méthode forte de Bukele est particulièrement populaire et pourrait lui permettre de remporter un nouveau mandat en février prochain – des analystes estiment d’ailleurs que sa lutte a des visées électoralistes. 

Le politicien de 42 ans jouit aussi d’une grande renommée au-delà des frontières du pays et ses tactiques pourraient faire des émules.

« La décomposition sociale, la situation économique… tout ça fait qu’il y a une montée assez forte de la criminalité en Amérique latine », souligne Diego Osorio, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand. Il craint une exportation de la « méthode Bukele » – avec un important effritement des droits de la personne en contrepartie d’un durcissement envers les gangs. 

D’autant que les groupes criminels sont incontournables, explique-t-il. 

Au point que les politiciens négocient avec ces gangs, selon le département américain du Trésor. Un rapport de décembre 2021, notamment, faisait état de tractations entre le gouvernement salvadorien et les gangs MS-13 et Barrio 18 pour une diminution des violences en échange d’incitatifs financiers, mais aussi pour un appui politique. Le président Bukele a toujours nié que de telles négociations aient eu lieu entre son administration et les groupes criminels. 

« [Les présidents salvadoriens] ont toujours essayé l’approche de la négociation, affirme M. Osorio. Ils ne vont pas le reconnaître. » Mais des « pactes » auraient permis une diminution de la criminalité, ajoute le chercheur. 

Inquiétudes

L’état d’exception permet actuellement de suspendre certains droits et rend possibles les arrestations sans mandat. Des organismes ont sonné l’alarme sur des allégations d’abus, de torture, de disparitions forcées. 

« Une chose qui nous préoccupe, moi et les autres personnes qui suivons de près la situation au Salvador, c’est que, oui, les gens peuvent avoir le sentiment que les rues sont plus sûres, mais l’état d’exception ne peut pas durer pour toujours, souligne Mneesha Gellman, professeure agrégée au College Emerson. Qu’est-ce qui arrive après, quand des gens qui viennent de passer à travers tout ce processus retournent dans les collectivités sans ressources pour les aider ? » 

La spécialiste du Salvador et des systèmes carcéraux souligne aussi la violence des prisons salvadoriennes, où « les gangs règnent de plusieurs façons ». La nouvelle mégaprison, conçue pour 40 000 personnes, n’a rien pour la rassurer. « Cette super prison renforce une dynamique qui existait déjà », dit-elle.

APRNEWS avec AFP