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APRNEWS:Des milliers de Soudanais déracinés

APRNEWS- PHOTO NADIA LESDOS, COLLABORATION SPÉCIALE- Comme de nombreuses mères, Lobna Daniel a dû laisser son mari derrière elle à cause du prix du ticket de bus.
Dimanche, 13 août 2023

APRNEWS:Des milliers de Soudanais déracinés

APRNEWS- (Le Caire, Égypte) Le 15 avril, une guerre a éclaté au Soudan. Pour les 279 000 déplacés qui sont parvenus à franchir la frontière égyptienne s’ouvre un quotidien de citoyens de seconde zone, sans revenus, et ponctué de racisme.

APRNEWS-À une quarantaine de minutes de métro du centre du Caire, dans la banlieue d’Al Marj, la terre battue remplace le bitume. Une fois passé le tumulte du marché posté en haut de la station, le calme règne en cette brûlante matinée d’août.

Un imposant tas de sable bloque l’entrée d’une énième tour de briques à l’obscure cage d’escalier jonchée de détritus. 

Enroulée dans un toub soudanais traditionnel (une robe qui couvre également la tête), Rose Abass perd son chaleureux sourire. « Cette zone est très dangereuse. Le propriétaire nous a conseillé de verrouiller la porte en permanence à cause des cambriolages et de ne pas laisser les enfants jouer en bas, car ils peuvent disparaître »expose cette ex-réceptionniste. Elle fait partie des quelque 279 000 personnes qui ont traversé la frontière égyptienne pour échapper à la guerre ravageant le pays des deux Nil depuis le 15 avril. Mais la vie des rescapés est rude dans leur deuxième nation hôte, derrière le Tchad. 

Jet d’eau et insultes racistes 

Le racisme est omniprésent. « Les Égyptiens parlent très mal à nos enfants. Quand l’électricité est coupée et que nous allons nous rafraîchir dehors, les voisins nous jettent de l’eau dessus pour que nous partions », témoigne Sima Ismail, depuis un autre quartier cairote défavorisé. « Ces Soudanais sont tellement noirs qu’on ne les voit pas », a ruminé, un soir, le chauffeur de bus en ramenant Mina Abdelkarim chez elle. 

Une goutte comparée au flot de comportements xénophobes qui obstrue le nouveau quotidien de cette ancienne étudiante en génie médical. 

Les Égyptiens nous répètent que nous sommes noirs et que nous devons rentrer au Soudan. Même si on nous vole ou on nous tue, nous n’avons plus de gouvernement pour nous protéger. Les Égyptiens s’en servent contre nous…

Mina Abdelkarim, réfugiée soudanaise en Égypte

Active au sein d’un comité de résistance de Khartoum, une des antennes prodémocratie qui sont réparties sur tout le territoire soudanais, Mina Abdelkarim a longtemps cru faire plier les généraux qui, après avoir été écartés du pouvoir par la rue en 2019, sont revenus par la force deux ans plus tard. Les troupes nationales se battent désormais contre leurs ex-alliés des Forces de soutien rapide (FSR) dans les moindres recoins de la capitale. Le bilan provisoire est de 3900 morts, selon l’ONG ACLED. 

Certains envisagent de retourner au Soudan

En sécurité dans une zone résidentielle aisée du Caire, Mina Abdelkarim est l’une des rares réfugiées à avoir trouvé un emploi. « Je voulais inventer des équipements médicaux pour faciliter la vie des personnes souffrantes, je suis opératrice téléphonique », tempère-t-elle. Depuis son coquet salon proche des rives du Nil, Maria* est prête à accepter n’importe quelle tâche. « Nous n’avons pas le luxe de choisir », se résigne cette mère au foyer. Son mari, Shenouda*, a perdu ses trois commerces, pillés par les FSR et d’autres bandits opportunistes. Les économies du couple s’épuisent, alors Shenouda n’exclut pas de retourner au Soudan. En attendant, leurs quatre fillettes ne sont plus scolarisées. 

Les sœurs Razan et Reham Daoud, respectivement nutritionniste et chirurgienne, sont privées, elles aussi, de revenus. Elles espèrent que les autorités médicales des deux pays parviennent vite à un accord pour leur permettre d’exercer leur profession en Égypte. Un peu penaudes, elles ont quitté un soir leur étroit studio pour se faire enregistrer auprès des Nations unies afin d’obtenir chacune 450 livres égyptiennes par mois (19,50 $ CAN). « Dans la file, nous avons croisé de nombreuses connaissances. Tous les Soudanais ont besoin d’aide », constate l’aînée, Razan Daoud. Les FSR ont dévalisé l’appartement que ces sœurs partageaient avec leurs parents à Omdurman, la ville voisine de Khartoum. Ces derniers doivent encore économiser pour les rejoindre.

L’ombre du trafic d’êtres humains

Les prix des billets de bus ont en effet explosé. Le 10 juin, les autorités égyptiennes ont en outre durci les conditions d’accès, mettant fin à l’exonération de visas pour les enfants, les femmes et les hommes de plus de 50 ans. Après deux mois à tenter d’obtenir le fameux sésame, Samia* et ses sept enfants ont remis leur vie entre les mains de passeurs. « Nous étions 30 passagers à bord d’un camion. Une épaisse corde nous liait les uns aux autres. Soudain, le chauffeur nous a ordonné de descendre au milieu du désert. Nous avons dû terminer à pied, sans eau ni nourriture », se remémore péniblement la mère. Hébergée dans un logement dénué de meubles, la quadragénaire s’éclipse de la pièce principale recouverte de fines couvertures en guise de matelas pour confier, à voix basse, que les trafiquants l’ont agressée sexuellement.

De retour sous le toit de Rose Abass, sa sœur, Randa, explique s’être vu promettre un poste de gouvernante.

Mais en arrivant sur place, l’employeuse m’a fait passer des tests sanguins. Je me suis enfuie, car elle tentait vraisemblablement de voler mes organes.

Randa Abass, réfugiée soudanaise en Égypte

Ce type de marché clandestin est répandu en Égypte. Dépassée par ce chaos, la grand-mère de la maisonnée, Nafisa Altusha, n’a qu’une envie : « Dès que la guerre s’arrêtera, je rentrerai directement au Soudan. » 

* Prénoms fictifs pour préserver l’anonymat par mesure de sécurité