APRNEWS : Youssou N’Dour, ses albums ont traversé le temps
Il y a 30 ans, le chanteur sénégalais Youssou N’Dour cosignait avec Neneh Cherry l’un des succès commerciaux majeurs à l’actif d’un artiste du continent africain, satellisant du même coup son album The Guide (Wommat) emblématique de sa démarche d’ouverture.
Un peu plus de quatre minutes qui changent une carrière, une vie et dans une certaine mesure l’histoire moderne des musiques d’Afrique : Seven Seconds, dont les ventes estimées approcheraient 1,5 million d’exemplaires, appartient à ces œuvres touchées d’un coup de baguette magique par les fées et autres génies de la création. Youssou N’Dour, l’heureux élu, y voit « une fenêtre » qui s’est ouverte, et a permis à beaucoup de découvrir le reste de son répertoire. Le succès commercial de l’album The Guide (Wommat) paru en 1994 lui donne raison : double disque d’or en France, et des chiffres tout aussi impressionnants dans nombre de pays occidentaux.
Si la stratégie s’est révélée payante, c’est bien d’une envie profonde qu’elle résultait : « Artistiquement, on avait beaucoup de choses à présenter », souligne le fringant sexagénaire, qui rappelle « qu’à l’époque, on parlait beaucoup de world music ». Depuis le milieu des années 80, il en avait été à l’avant-garde : en témoignent en 1985 sa prestation à Bercy, vaste salle parisienne devenue aujourd’hui l’AccorArena, à l’invitation du chanteur français Jacques Higelin, puis sa collaboration avec Peter Gabriel un peu plus tard, ou encore celle avec le cinéaste Spike Lee, producteur exécutif de l’album Eyes Open en 1992.
Ouverture et enracinement
L’équipe présente sur ce dernier est en grande partie reconduite pour le suivant, qu’il s’agisse du directeur artistique, des musiciens, du coproducteur – le clavier français Jean-Philippe Rykiel, dont les sons programmés sur son Yamaha DX7 ont marqué en profondeur le mbalax. Leur credo ? « La même démarche : l’ouverture tout en gardant notre enracinement », résume Youssou N’Dour, avec trois décennies de recul. « À l’époque, il y avait de l’espace pour les instruments. Dans la musique actuelle, on laisse peu de place à l’improvisation parce que tout est formaté », regrette-t-il en pointant les exigences des diffuseurs : « Si vous amenez une chanson de plus de deux minutes et trente secondes, elle ne passera pas ! » Sur les quinze titres rassemblés sur The Guide (Wommat), un seul dure moins de quatre minutes.
Le titre de l’album fait référence à une fable, variante de celle connue sous le titre du Meunier, son fils et l’âne de Jean de la Fontaine ou The Horse, The Man and His Son mise en musique par le Nigérian Ebenezer Obey : « L’histoire d’un père dont le fils est sur un âne. Il le guide pendant qu’ils traversent de nombreuses situations, et c’est comme ça qu’il lui apprend comment se comporter », explique le lauréat 2013 du Polar Music Prize, persuadé que « la musique est d’abord une force pour faire passer des messages ».
Les chansons, une matière réutilisable
Si le duo avec Neneh Cherry sur le single phare a joué un rôle déterminant, leur association ne correspond en rien à ces rencontres calculées dont le show business se montre friand. Le contexte était même très éloigné : la chanteuse suédo-américaine était fan du Sénégalais, avec lequel elle avait fait connaissance dix ans auparavant, avant même de se lancer au micro !
Dans son chemin vers la musique occidentale, Youssou N’Dour revisite en wolof Chimes of Freedom, un des classiques du folk singer américain Bob Dylan, avec lequel il avait participé quelques années plus tôt à la tournée d’Amnesty International. La base musicale de cette chanson lui servira à nouveau l’année suivante pour Casamança qui figure sur sa cassette destinée au marché sénégalais Diapason + 95.
« J’aime bien les interprétations », confirme-t-il. Y compris avec ses propres morceaux, à l’image de Mame Bamba, un des titres clés du disque en hommage au fondateur du mouridisme Cheikh Ahmadou Bamba, dont il a enregistré en 2010 une version reggae pour l’album Dakar Kingston. « Mon rêve était d’aller enregistrer en Jamaïque et décliner mes compositions avec le regretté Tyrone Downie qui m’a beaucoup aidé à réaliser ce projet personnel », se souvient-il. « Quand une chanson est née, on en fait ce qu’on veut », considère la star sénégalaise. Une autre vision de la liberté, que The Guide (Wommat) continue d’exhaler.
Aprnews avec Rfi.fr