APRNEWS: Le risque d’ingérence étrangère dans les élections présidentielles en Côte d’Ivoire

APRNEWS: Le risque d’ingérence étrangère dans les élections présidentielles en Côte d’Ivoire

Les élections présidentielles en Côte d'Ivoire en octobre 2025 sont entachées de tensions et d'incertitudes politiques, notamment en raison de la candidature contestée d'Alassane Ouattara pour un troisième mandat. Les élections passées ont été marquées par des troubles, y compris des violences post-électorales en 2010. Les divisions politiques persistent, avec Ouattara en lice face à une opposition fragmentée, dont des figures telles que Laurent Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan. Le paysage politique ivoirien est complexe, avec des partis en désaccord sur les candidatures et des préoccupations croissantes concernant l'ingérence étrangère, notamment le retrait des forces françaises de la région.

Des tensions planent sur le scrutin
Le 25 octobre 2025, les électeurs de Côte d’Ivoire se rendront aux urnes pour élire leur prochain président lors d’une élection à fort enjeu, marquée par les controverses passées et l’incertitude politique persistante. Un point de discorde clé reste la candidature potentielle d’Alassane Ouattara, qui dirige le pays depuis 2010 et qui effectue actuellement son troisième mandat malgré la constitution ivoirienne limitant la présidence à deux. La Commission électorale indépendante, dirigée par Ibrahim Coulibaly-Kuibiert, joue un rôle crucial pour garantir l’intégrité du vote, en compilant et en révisant les listes électorales, ainsi qu’en gérant les élections à l’échelle nationale.
L’histoire électorale récente de la Côte d’Ivoire a été marquée par des troubles. La course présidentielle de 2010, un moment décisif dans la trajectoire politique du pays, a vu Ouattara défier le président sortant Laurent Gbagbo. Bien que Ouattara ait obtenu 54 % des voix, Gbagbo a contesté les résultats, déclenchant une crise post-électorale qui a fait plus de 3 000 morts parmi les civils dans de violents affrontements entre partisans rivaux. Une intervention militaire a conduit à l’arrestation de Gbagbo et à sa condamnation à vingt ans d’emprisonnement par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité. En 2015, le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, a boycotté le vote, affirmant que le processus était truqué, facilitant ainsi la réélection de Ouattara. En 2020, la mort soudaine d’Amadou Gon Coulibaly, le candidat désigné du parti au pouvoir, a incité Ouattara à briguer un troisième mandat controversé. L’élection, qui s’est déroulée dans un climat de tensions accrues, a été marquée par de vastes perturbations, la fermeture de bureaux de vote et un faible taux de participation.
Alors que la Côte d’Ivoire se prépare à un nouveau test électoral, la question de la réconciliation nationale, promise depuis longtemps mais jamais pleinement réalisée, est devenue centrale dans le discours politique. Avec les tensions persistantes des élections passées et les inquiétudes croissantes concernant la stabilité politique, le scrutin de 2025 devrait être l’un des plus décisifs de l’histoire récente du pays.

Un paysage politique fragmenté
Alors que l’élection de 2010 comportait quatorze candidats au premier tour, le vote de cette année devrait voir environ la moitié de ce nombre, bien que cette réduction ne signale pas nécessairement un paysage politique plus clair. À moins d’un an de l’élection, les candidats déclarés et potentiels se disputent un poste dans ce qui s’annonce comme une bataille aux enjeux élevés.
Le président sortant Ouattara, au pouvoir depuis 2010, reste le candidat préféré du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) au pouvoir, confirmant qu’il est prêt à continuer à servir son pays. Cependant, les partis d’opposition s’opposent fermement à la perspective de sa réélection, arguant qu’un quatrième mandat serait inconstitutionnel. Parmi les principales figures de l’opposition figure l’ancien président Gbagbo, qui se présente sous la bannière du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). Bien qu’acquitté par la CPI et gracié par Ouattara, Gbagbo n’a pas bénéficié d’une amnistie totale pour son rôle dans les violences postélectorales de 2010, ce qui le rend inéligible à se présenter.
Un sort similaire a été réservé à Charles Blé Goudé, ancien ministre sous Gbagbo et chef du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP). Malgré son acquittement par la CPI, Blé Goudé reste condamné en Côte d’Ivoire, ce qui l’empêche de se présenter aux élections. Un autre nom bien connu de la politique ivoirienne est l’ancienne Première dame Simone Ehivet Gbagbo, qui se présente sous la bannière du Mouvement des générations capables (MGC), qu’elle a fondé en 2022. De son côté, Pascal Affi N’Guessan, leader du FPI, axe sa campagne sur la gouvernance, la réduction de la pauvreté et le renforcement des liens avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette opposition fragmentée suscite des inquiétudes, car les multiples candidats de gauche du PPA-CI, DU FPI, DU MGC et du COJEP pourraient affaiblir sa capacité à défier efficacement le RHDP.
Les tensions ne se limitent pas aux partis de gauche. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) est aux prises avec des divisions internes autour de son candidat. L’ancien CEO du Credit Suisse, TidjaneThiam, a été nommé candidat officiel du parti. Jean-Louis Billon, ancien ministre du Commerce et membre influent du PDCI-RDA, a rejeté cette nomination et a déclaré sa propre candidature, critiquant Thiam comme étant déconnecté.

Un climat instable propice aux ingérences étrangères
C’est dans ce contexte incertain, alors que l’électorat est encore marqué par les violences électorales passées et qu’une liste de candidats est incertaine, que l’électorat ivoirien devra choisir son futur président pour les cinq prochaines années. Pendant ce temps, dans toute l’Afrique subsaharienne, une vague croissante de souveraineté panafricaine remodèle les alliances régionales et remet en question l’influence étrangère traditionnelle. Le retrait des forces françaises du 43e bataillon d’infanterie de marine à Port-Bouët marque une nouvelle étape dans le déclin de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest et intervient quelques mois seulement après des retraits similaires du Sénégal et du Tchad. Auparavant, le Niger, le Burkina Faso et le Mali, aujourd’hui membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), avaient ordonné le retrait des forces militaires françaises engagées dans la lutte contre le terrorisme régional depuis plus de dix ans.

L’Alliance des États du Sahel : un regain d’enthousiasme panafricain
Formé en 2023, l’AES est un pacte de défense mutuelle prônant la souveraineté, le panafricanisme et les idéaux anticoloniaux. Le bloc s’est positionné comme une alternative à la CEDEAO, une organisation de quinze membres qui comprend la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Sénégal et le Bénin. En janvier 2024, l’AES s’est officiellement séparée de la CEDEAO, creusant le fossé entre les deux organismes régionaux. Les pays de l’AES se sont positionnés comme les leaders de ce mouvement panafricaniste généralisé, rejetant non seulement la présence française mais, plus généralement, l’idée d’une prédation économique étrangère dont les pays africains ont trop longtemps souffert. En août 2024, le président burkinabè Ibrahima Traoré a rejeté un prêt du FMI, affirmant que « l’Afrique n’a pas besoin des institutions financières internationales pour se développer ». Présente au Mali depuis 1976, TotalEnergies a récemment perdu son contrat au profit d’un nouveau partenariat entre la société malienne Coly Energy et la société béninoise Bénin Petrol SA.

La Russie en quête d’influence stratégique
Pour certains observateurs, cette volonté croissante de s’éloigner de l’influence occidentale en Afrique est le résultat de vastes campagnes de manipulation et de désinformation orchestrées par des puissances comme la Russie et la Chine. Si l’existence et l’impact de ces campagnes de désinformation restent sujets à débat, elles posent la question de l’ampleur de ces ingérences en période électorale. Deux pays européens ont récemment été confrontés à ce type d’abus. En Géorgie, le parti pro-russe et eurosceptique « Rêve géorgien » a été accusé d’achat de voix et d’intimidation des électeurs lors des élections nationales de 2024. De même, en Roumanie, des acteurs russes ont été accusés de soutenir le candidat d’extrême droite Călin Georgescu dans la course à la présidentielle de 2024.
Un rapport récent du Centre d’études stratégiques en Afrique souligne l’implication croissante de la Russie dans les processus électoraux africains, les scores démocratiques de trente et un pays africains ayant diminué au cours des cinq dernières années. L’analyse révèle que la Côte d’Ivoire a déjà été ciblée par les campagnes de désinformation russes, notamment en soutien à Gbagbo. Dans un contexte où le PPA-CI peine à s’imposer sur la scène politique ivoirienne (victoire de deux communes sur 201 et aucune région sur trente et une aux élections locales de 2023), l’hypothèse d’un rapprochement avec la Russie interroge sur les stratégies d’influence à l’œuvre. Les intérêts des deux parties semblent converger.
L’influence de la Russie en Afrique s’est étendue grâce à la coopération militaire et économique, en particulier avec l’AES. Par l’intermédiaire d’Africa Corp (anciennement Wagner Group), la Russie fournit des équipements militaires, des formations et des services de sécurité à ces pays. En janvier 2025, les pays de l’AES ont signé un accord sur les télécommunications et les satellites de télédétection avec la Russie visant à renforcer la surveillance des frontières et le suivi des catastrophes. Pour sa part, Gbagbo a été un critique virulent de la CEDEAO, l’accusant de promouvoir les intérêts français en Afrique de l’Ouest. Dans une interview accordée à AFO Media, il a exprimé sa volonté de normaliser les relations avec les États de l’AES s’il revenait au pouvoir. Alors que certains analystes y voient une continuation de sa rivalité de longue date avec Ouattara, d’autres voient le soutien potentiel de la Russie à Gbagbo comme une décision stratégique pour accroître sa présence en Côte d’Ivoire et dans la région de l’Afrique de l’Ouest au sens large.

La Chine : un partenaire économique clé
La Chine a consolidé sa position d’acteur majeur dans la région, devenant en 2023 le plus grand partenaire commercial de la Côte d’Ivoire, avec un commerce bilatéral atteignant 5,28 milliards de dollars, soit une augmentation de 21 % par rapport à l’année précédente. Pékin entretient également des liens étroits avec les pays de l’AES. En juin 2024, le colonel Assimi Goita, chef de l’État malien, a souligné les bienfaits de l’AES, qui a permis à ses membres « de s’éloigner des partenariats de façade et inefficaces vers des partenaires sincères » comme la Russie et la Chine. Quelques mois plus tard, il déclarait même que le Mali partageait « les mêmes principes et valeurs que la République populaire de Chine, à savoir le respect de la souveraineté de nos États, la défense des intérêts de nos peuples, la non-ingérence dans les affaires intérieures, mais surtout le refus de la manipulation liée aux questions des droits de l’homme ».
L’influence de la Chine s’étend à des secteurs stratégiques tels que l’énergie et les infrastructures. Au Niger, la China National Petroleum Corporation exploite le champ pétrolifère d’Agadem, le plus grand d’Afrique. Dans un contexte de préoccupations croissantes en matière de sécurité, le Niger a également chargé la Chine de protéger ses actifs énergétiques. Le retour potentiel de Gbagbo au pouvoir pourrait éloigner davantage la Côte d’Ivoire des alliances occidentales, en particulier avec la France et les États-Unis, compte tenu du soutien de Paris à Ouattara pendant la crise postélectorale de 2010.

La France, un partenaire historique contesté
La France entretient des liens historiques et économiques de longue date avec la Côte d’Ivoire, qu’elle a héritée de l’époque coloniale. Sur le plan commercial, la France reste le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). En 2023, la Côte d’Ivoire représentait 38 % de l’ensemble des exportations françaises vers l’UEMOA tout en étant le premier exportateur de la région vers la France.
Cependant, ces liens économiques ne protègent pas la France des critiques croissantes de l’opinion publique ivoirienne. La rétrocession du camp militaire de Port-Bouët, perçue par certains comme un symbole de souveraineté nationale (et par d’autres comme un accord gagnant-gagnant entre la Côte d’Ivoire et la France), intervient à un moment où la rhétorique anti-française gagne du terrain en Afrique francophone. Comme le notait le journaliste Alain Foka dans une analyse de mai 2023, les jeunes générations nées après l’indépendance s’interrogent sur l’influence économique et militaire que la France continue d’exercer sur ses anciennes colonies, considérée comme prédatrice plutôt que bénéfique.
D’autre part, les analystes suggèrent que la coopération militaire entre Paris et Abidjan est loin d’être terminée. Le politologue Seidik Aba prédit que Ouattara, tout en mettant officiellement fin à la présence militaire directe de la France, pourrait poursuivre un modèle de collaboration différent, en se concentrant sur des programmes de formation et le partage de renseignements plutôt que sur le déploiement de troupes sur le sol ivoirien. Billon pourrait également être considéré comme un candidat dont l’élection pourrait stabiliser les relations entre la France et la Côte d’Ivoire. Homme d’affaires de premier plan et ancien ministre du Commerce, Billon dirigeait la Société immobilière et financière de la Côte Africaine (SIFCA), l’une des plus grandes entreprises agro-industrielles de Côte d’Ivoire, fondée par son père en 1964. Les liens financiers de SIFCA avec la France sont importants. Au cours de la décennie écoulée, Société Générale et Proparco (filiale de l’Agence française de développement) ont investi 85 millions d’euros dans les projets de développement de SIFCA. Le leadership de Billon dans l’agriculture et l’industrie le positionne comme une figure pro-entreprises avec de solides connexions internationales, en particulier en France, au Sénégal et au Nigeria. Cependant, Billon n’est pas encore candidat officiel de son parti, le PDCI-RDA, qui est actuellement présidé par Thiam.
Thiam entretient des liens de longue date avec la France et les institutions financières internationales. Dans une interview accordée en 2009 à l’Institut Montaigne, il déclarait que « la France vivra. La France continuera de briller. Ma France est une idée, et les idées ne meurent jamais. Diplômé de l’École polytechnique des Mines de Paris, l’ancien dirigeant du Crédit Suisse entretient des relations étroites avec les milieux financiers français et anglo-saxons. Plus récemment, Thiam a suggéré un financement international pour la commission électorale de la Côte d’Ivoire afin de faciliter la mise à jour des listes électorales.

Les États-Unis et Israël : déclin de l’influence ou changement stratégique ?
L’orientation de la politique étrangère américaine en Afrique sous la deuxième administration du président Donald Trump reste incertaine. Alhaji Bouba Nouhou de l’Université Michel de Montaigne à Bordeaux suggère que cela pourrait ouvrir la voie à des puissances émergentes comme l’Iran pour approfondir leur implication dans les pays de l’AES, en particulier dans la coopération technologique et de défense.
Allié de longue date des États-Unis, Israël joue également un rôle stratégique en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire étant un partenaire clé de Tel-Aviv. En octobre 2024, un accord a été signé pour la vente d’un patrouilleur fabriqué par Israel Shipyard. Un accord-cadre lie également les deux pays, permettant à l’Ivoirienne d’accéder à l’expertise israélienne en matière de cybersécurité, d’agriculture et de gestion de l’eau.
Nonobstant ce qui précède, Israël a annoncé une réduction de ses exportations militaires vers la Côte d’Ivoire, dans le but d’empêcher que ses armes ne soient utilisées dans d’éventuelles violences liées aux élections. Une réélection de Ouattara pourrait être favorable à Washington et à Tel Aviv, renforçant l’influence occidentale dans la région contre les intérêts russes, chinois et iraniens.

Un scrutin décisif
La perspective d’une ingérence étrangère dans l’élection présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire reste une question sensible. À ce jour, il n’y a pas eu d’efforts confirmés pour manipuler ou déstabiliser le processus électoral, ce qui rend prématurées les allégations d’une telle ingérence. Bien que les acteurs internationaux puissent avoir des intérêts stratégiques dans le pays, réduire l’élection à un simple champ de bataille pour une influence extérieure risque de simplifier à l’excès le paysage politique complexe de l’Ivoir, son autonomie électorale et la capacité des candidats à mener des campagnes indépendantes sans propagande ouverte. Une approche pragmatique et fondée sur des preuves est cruciale pour résoudre le problème, en évitant les théories du complot et la diabolisation généralisée de l’un ou l’autre camp. Si une ingérence étrangère devait apparaître dans les élections en Côte d’Ivoire, son véritable impact ne deviendra clair qu’une fois que les faits et la dynamique électorale se seront déroulés.
Cela dit, l’ingérence électorale n’est pas une préoccupation théorique. L’année dernière, les États-Unis ont fait face à des tentatives d’influence de la part de l’Iran lors de leurs élections de 2024, tandis que le Canada a condamné l’ingérence chinoise visant son propre processus électoral, rappelant brutalement que de tels risques sont réels.
Dans ce contexte fragile, assurer la stabilité et la souveraineté sont les mots d’ordre d’une nation qui aspire à la réconciliation nationale, qui porte encore les cicatrices des crises passées et l’espoir d’un avenir meilleur. Carrefour stratégique de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire est à la fois partie prenante et actrice de cette dynamique. L’issue de cette élection pourrait redéfinir ses relations avec ses partenaires internationaux et influencer l’équilibre des rapports de force dans la région.
En 2025, la Côte d’Ivoire ne se contentera pas de nommer un nouveau dirigeant, mais elle fera également un choix décisif sur la voie démocratique qu’elle souhaite emprunter. Entre les préoccupations sécuritaires, les transformations économiques et les tensions politiques, cette élection sera un moment déterminant, qui révélera à la fois les progrès accomplis et les défis à venir.

Source  www.fpri.org

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