APRNEWS: Haïti membre de l’Union Africaine, une occasion pour le panafricanisme de renaître

APRNEWS: Haïti membre de l’Union Africaine, une occasion pour le panafricanisme de renaître

Le 1er janvier 2025, Haïti célèbre le 220ᵉ anniversaire de son indépendance dans un contexte particulièrement difficile. Cette situation n’a pas laissé indifférents certains États africains, à l’image du Kenya, qui ont décidé de lui venir en aide.

Cette commémoration est une occasion unique pour l’Afrique, à travers l’Union africaine (UA), de réaffirmer solennellement sa solidarité envers cette république composée exclusivement d’Afrodescendants, en invitant son Premier ministre au prochain Sommet de l’UA des chefs d’État et de gouvernement.

L’Union africaine se doit d’admettre Haïti en tant qu’État membre, d’autant plus que cette volonté a été officiellement exprimée en janvier 2014 par le Premier ministre haïtien Laurent Salvador Lamothe. En effet, la résolution relative à la Diaspora – considérée comme la 6ᵉ région de l’Afrique – reconnaît comme Africain toute personne revendiquant son appartenance au continent. Étant donné qu’Haïti est le seul État au monde composé exclusivement de citoyens afrodescendants, il semble légitime que ce pays puisse introduire une requête auprès de l’UA et mobiliser la reconnaissance d’une majorité d’États membres en vue de son admission.

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 29 de l’Acte constitutif de l’UA ne stipule pas qu’un État membre doit nécessairement se situer sur le continent africain. Les rédacteurs de cet acte avaient probablement en tête ces territoires insulaires à travers le monde, géographiquement situés dans un continent donné mais juridiquement rattachés à des États appartenant à d’autres régions.

L’admission d’Haïti à l’Union africaine constituerait une avancée majeure après la reconnaissance de la diaspora en tant que 6ᵉ région. Ce serait aussi une marque de reconnaissance à l’égard de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui avait déclaré la période allant de Janvier 2015 à Décembre 2024 « Décennie Internationale des Personnes d’ascendance africaine ». Une telle décision serait enfin, un signal fort montrant que l’Afrique choisit résolument d’assumer ses responsabilités envers ses descendants, dont les ancêtres ont été arrachés à leur terre d’origine.

L’AMÉRIQUE SÉGRÉGATIONNISTE ET LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE D’HAÏTI

L’hostilité initiale des États-Unis

Au début du XXe siècle, dans une Amérique encore profondément marquée par le racisme et la ségrégation, la simple existence d’une République noire indépendante à sa « frontière » faisait figure de menace symbolique pour les tenants de la suprématie blanche. L’idée qu’« un peuple noir puisse se gouverner lui-même » contredisait l’idéologie ségrégationniste.

Intervention et occupation (1915-1934)

À partir de 1910, les Américains commencèrent à prendre des parts au capital de la Banque d’Haïti, réduisant d’autant la mainmise financière de la France. En 1915, prétextant l’instabilité politique, l’armée américaine débarqua en Haïti et occupa militairement le pays. Les États-Unis exigèrent, sous leur propre autorité, l’adoption d’une nouvelle constitution et le remboursement de la dette. Durant cette période d’occupation (1915-1934), de nombreux excès furent commis, suscitant l’indignation d’une partie de la communauté internationale.

Les troupes américaines ne se retirèrent qu’en 1934, sous la pression internationale, alors que le pays restait grevé par ses dettes et l’absence d’infrastructures de base.

DETTE MORALE ET RÉPARATIONS FINANCIÈRES

Le rôle de l’Afrique et sa part de responsabilité historique

Certes, la traite négrière n’aurait pas pu s’implanter à si grande échelle sans la participation de certains potentats africains, qui vendaient des prisonniers de guerre ou des populations vulnérables. Toutefois, la traite transatlantique mit en place un système d’exploitation et de déshumanisation totalement nouveau, à une échelle industrielle, qui différait largement des formes d’esclavage traditionnel préexistantes. Aujourd’hui, la diaspora africaine — reconnue comme la « 6ᵉ région » de l’Union africaine — rappelle la nécessité d’une prise de conscience partagée.

HAÏTI MEMBRE DE L’UNION AFRICAINE

La diaspora africaine, « 6ᵉ région » de l’UA

L’Union africaine a fait un pas significatif en reconnaissant sa diaspora comme la 6ᵉ région du continent. Les liens historiques entre Haïti et l’Afrique sont indéniables : c’est une terre peuplée presque exclusivement de descendants d’Africains, dotée d’une culture et de traditions qui puisent aux sources africaines.

Intégration et solidarité panafricaine

Pour de nombreux observateurs, il serait juste et symboliquement fort qu’Haïti puisse être membre de l’Union africaine. L’idée est d’aller au-delà de la simple commémoration historique, pour tendre vers une solidarité économique et diplomatique effective. Les États africains pourraient ainsi développer une coopération resserrée avec Haïti, y compris dans les domaines de l’éducation, de la santé, des infrastructures et de la promotion culturelle.

Une opportunité de réécriture de l’Histoire

L’Afrique et la diaspora partagent un destin qui, de toute évidence, a façonné leur conscience politique et culturelle. Le panafricanisme et la négritude trouvent en partie leur origine dans le combat des Noirs de la diaspora pour leur autodétermination. Préserver le lien avec Haïti, soutenir sa reconstruction et son développement, c’est aussi affirmer la volonté de tourner la page du passé colonial, sans pour autant oublier les dettes mémorielles et les injustices qui s’y rattachent.

CONCLUSION

Haïti, en tant que première République noire, demeure un symbole fort de la capacité d’autodétermination des peuples afrodescendants. L’Afrique, la France et les États-Unis portent, chacun à un degré différent, une part de responsabilité dans la situation actuelle de ce pays.

La France doit assumer sa dette morale — et, dans une certaine mesure, envisager des réparations sous forme d’investissements pour le développement.

Une enquête, validée par une quinzaine d’historiens et d’économistes, estime que les divers versements d’Haïti à la France — et aux banques privées impliquées — pourraient être évalués aujourd’hui à plus de 21 milliards de dollars.

Les États-Unis ne peuvent se dérober à l’examen critique de leur longue histoire d’ingérence, de ségrégation raciale et de discrimination à l’encontre des Noirs, y compris à travers l’occupation d’Haïti.

L’Afrique doit reconnaître sa part de responsabilité historique dans l’essor de la traite atlantique, tout en développant des mécanismes de coopération concrets à destination d’Haïti et des autres États de la diaspora.

Un rapprochement institutionnel d’Haïti avec l’Union africaine constituerait un signal politique et culturel fort, et contribuerait sans doute à renforcer la solidarité panafricaine. De fait, pour bien des observateurs, la place d’Haïti, » l’Afrique dans la Caraïbe « , n’est pas uniquement dans l’hémisphère occidental : elle est, aussi et surtout, au cœur de la « grande famille africaine », dont elle partage la mémoire et l’héritage.

 

Benoit S NGOM

Président de l’académie Diplomatique Africaine

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