APRNEWS: Un système d’extradition biaisé ?
Malgré la demande d’extradition d’Atul et Rajesh Gupta, impliqués dans une vague de corruption durant la présidence de Jacob Zuma, ils demeurent loin de l’Afrique du Sud.
La « Ligue de justice d’Afrique du Sud », dirigée par la nouvelle ministre de la justice et du développement constitutionnel du gouvernement d’unité nationale (GNU), Thembi Simelane (ANC), et son nouveau vice-ministre Andries Nel (Alliance démocratique), pourrait bien être le groupe d’élus le plus exaspéré du pays.
La tâche de récupérer des milliards de dollars pour le Trésor public, présumés volés par la « capture de l’État », la fraude et le blanchiment d’argent sous le régime de Jacob Zula, a été confiée à un groupe d’experts.
L’Afrique du Sud se bat en fait au nom du continent et de l’ensemble des pays du Sud. Son succès sera leur succès. La perception, à juste titre, est que les dispositions du GAFI sont disproportionnées par rapport aux pays en développement.
Shamila Batohi, directrice nationale des poursuites publiques, respectée au niveau international et au tempérament fougueux, fait partie de ce groupe de travail.
Après l’émission d’une notice rouge d’Interpol pour la détention des deux frères en mars 2022 et leur sanction par les départements du Trésor des États-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que par l’UE, pour des accusations de blanchiment d’argent, on aurait pu penser que l’extradition des Gupta de leur refuge de Dubaï pour faire face à un cas prima facieserait une simple formalité.
Il n’en est rien. L’année dernière, une demande d’extradition a été rejetée par un tribunal de Dubaï pour des motifs tout à fait contestables, mais les « fugitifs » ont réapparu dans des juridictions où l’on prétend que leurs gains mal acquis leur ont permis d’obtenir des privilèges spéciaux.
Fin mai, les frères ont refait surface dans l’Uttarakhand, dans le nord de l’Inde, où ils avaient été arrêtés par la police locale pour des accusations liées à des contrats de construction locaux.
Une fois de plus, les espoirs du ministère de la justice ont été ravivés, après qu’une demande similaire ait été adressée aux autorités indiennes pour l’extradition des frères Gupta vers l’Afrique du Sud. Hélas, dans leurs discours au parlement du Cap en juillet, la ministre Simelane et son adjoint n’ont pu qu’exprimer leur frustration. Il n’y a eu aucune mise à jour sur l’extradition ou sur l’état d’avancement d’une nouvelle demande auprès des autorités des Émirats arabes unis.
Le rôle du GAFI
Il n’est guère surprenant que les Émirats arabes unis aient refusé de coopérer avec Pretoria pour que les Gupta soient inculpés. Les deux parties ont commencé à négocier l’accord d’extradition en février 2010 et celui-ci a finalement été signé en septembre 2018.
Alors que le parlement sud-africain a ratifié le traité deux mois plus tard, en novembre 2018, il a fallu près de trois ans aux Émirats arabes unis pour faire de même. Le nouveau ministre des affaires internationales, Ronald Lamola, a publiquement qualifié la position des Émirats arabes unis de « non coopérative ».
Les Émirats arabes unis et l’Afrique du Sud sont tous deux membres du Groupe d’action financière (GAFI), l’organisation intergouvernementale mandatée par le G7 pour élaborer des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Le GAFI travaille en étroite collaboration avec l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain. Pourtant, le GAFI a jugé bon de retirer les Émirats arabes unis de sa liste grise, apparemment arbitraire, en février 2024, alors que l’Afrique du Sud reste fermement ancrée dans sa stigmatisation et ses conséquences.
Le fait de figurer sur la liste grise signifie que « les juridictions font l’objet d’une surveillance accrue » en ce qui concerne leurs progrès dans la mise en œuvre des 67 actions recommandées, conçues pour renforcer les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT).
Un simulacre de fair-play
Tout en se moquant du retrait des Émirats arabes unis de la liste grise, Pretoria a jusqu’au 31 janvier 2025 pour remédier aux huit domaines d’insuffisances stratégiques identifiés par le GAFI.
L’Afrique du Sud se bat en fait au nom du continent et de l’ensemble des pays du Sud. Son succès sera leur succès. La perception, à juste titre, est que les dispositions du GAFI sont disproportionnées par rapport aux pays en développement. Douze États d’Afrique subsaharienne figurent actuellement sur la liste grise, l’Ouganda et les Émirats arabes unis en ayant été retirés en février, et la Turquie en ayant été retirée en juillet.
Il est temps que le GAFI, comme les institutions de Bretton Woods d’après-guerre, soit fondamentalement réformé, ce pour quoi les présidents Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) et William Ruto (Kenya) ont fait campagne avec diligence.
Une perception exagérée du risque
Une tendance notable au sein du GAFI et de l’OFAC est la sanction écrasante de personnes, d’organisations et de pays perçus comme antagonistes aux intérêts de la politique étrangère et de la sécurité des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Il s’agit notamment de : La Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela et même le Zimbabwe.
C’est d’autant plus étrange que l’ancien vice-ministre britannique des affaires étrangères, Andrew Mitchell, a averti en mai que « 40 % de l’argent sale dans le monde, y compris dans les pays du Sud, passe par Londres, les territoires britanniques d’outre-mer et les dépendances de la Couronne ».
La résolution des problèmes liés au GAFI s’inscrit dans le cadre d’une lutte plus large et universelle contre la corruption, la criminalité, la mainmise de l’État et l’affaiblissement délibéré des institutions chargées de faire respecter la loi et l’ordre.
Les conséquences pour les pays du Sud sont une perception exagérée du risque de crédit, que les agences de notation ne sont que trop disposées à perpétuer, et l’augmentation du coût du financement des prêts et des primes d’assurance liées au commerce et à l’industrie.
Malgré les faux départs et les échecs dans son engagement avec ses homologues des Émirats arabes unis, le procureur Batohi reste déterminé à faire avancer l’extradition des Guptas, que ce soit des Émirats arabes unis ou de l’Inde.