APRNEWS: Le gouvernement français peine à coordonner une politique africaine
Les divisions entre la gauche, la droite et le centre font que le gouvernement français n’est pas en mesure d’offrir une politique unitaire dans ses relations avec l’Afrique.
Le 28 novembre 2024, tandis que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, achevait une visite diplomatique au Tchad, le gouvernement tchadien a brusquement annoncé qu’il « mettait fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la République française ».
Le même jour, le président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a déclaré à la presse française qu’« il n’y aura bientôt plus de soldats français » dans son pays. « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain, et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain », a-t-il déclaré.
Les nouveaux dirigeants africains n’ont souvent pas de liens historiques avec la France, ce qui signifie qu’il n’a jamais été aussi important de forger de nouveaux liens interpersonnels, en particulier au niveau politique.
L’influence de la France en Afrique depuis la fin de l’ère coloniale – un système résumé par l’expression « Françafrique » – est de plus en plus contestée. Les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont conduit à des régimes militaires profondément sceptiques quant aux intentions de la France.
Plutôt que de coordonner une réponse politique efficace à ces défis, la France est embourbée dans l’incertitude politique intérieure. Le Premier ministre choisi par le président Emmanuel Macron, Michel Barnier, a été contraint de quitter ses fonctions au après un vote de défiance provoqué par des différends budgétaires. Il est remplacé, depuis le 13 décembre, par François Bayrou, un centriste de 73 ans.
Cependant, un parlement français divisé rend beaucoup plus difficile l’élaboration d’une politique efficace à l’égard de l’Afrique, en particulier à une époque où les vieilles hypothèses sont remises en question.
L’approche de Macron
Depuis son entrée en fonction en 2017, le président Macron a cherché à refondre la relation de la France avec l’Afrique pour une nouvelle ère.
S’exprimant à l’Université de Ouagadougou au début de son premier mandat, il a souligné qu’il n’était pas là pour dicter la politique africaine de la France, mais pour reconnaître l’Afrique comme un partenaire. Cet effort s’est notamment traduit par une ouverture à la discussion sur le douloureux héritage du colonialisme, même si les excuses officielles n’ont pas été suffisantes en Algérie et ailleurs.
« Je suis issu d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous ne venons pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire. »
L’action d’Emmanuel Macron s’est également caractérisée par des tentatives de renforcement des liens commerciaux. Lors du sommet Afrique-France de 2021 à Montpellier, le président français promettait des investissements importants pour soutenir les entreprises et les jeunes pousses africaines, en particulier dans les domaines de l’innovation et de l’entrepreneuriat.
Fin octobre 2024, le président Macron a été reçu en grande pompe au Maroc, l’un des partenaires les plus proches de la France sur le continent. Il a signé des accords d’une valeur de 10 milliards d’euros dans des secteurs tels que l’énergie et les infrastructures. Des accords ont été conclus avec le constructeur ferroviaire français Alstom et les géants de l’énergie Engie et TotalEnergies. Le président français s’est également engagé à soutenir la voie suivie par le Maroc dans le dossier du Sahara occidental et a insisté sur le fait que la France investirait dans ce territoire.
Toutefois, si Emmanuel Macron a tenu à montrer l’importance de la France pour l’Afrique, il n’est plus la force politique irrésistible qu’il était auparavant. Le parlement français est presque également divisé entre les blocs d’extrême droite, de gauche et de centre-droit, ce qui signifie qu’il est difficile de trouver un accord sur la politique africaine.
Alseny Thiam, chercheur associé au Strategic Think Tank on Security in the Sahel et à l’Institute for European Perspective and Security, affirme que les querelles politiques en France compliquent les efforts d’Emmanuel Macron pour réaffirmer l’influence de la France. « Cette tension au sein du gouvernement français en fait une quasi-cohabitation », explique le chercheur, en référence à un terme utilisé en France lorsque le président et le premier ministre sont issus de camps politiques opposés.
L’embrouillamini migratoire
Alseny Thiam estime que cette situation a eu un impact négatif sur les relations diplomatiques et la politique intérieure de la France.
C’est peut-être dans le domaine de l’immigration que cette situation est la plus confuse.
Le ministre des Affaires étrangères insiste pourtant sur le fait que les relations de la France avec l’Afrique « ne se limitent pas aux questions de mobilité et de migration ». Expliquant : « Nous travaillons à reconstruire nos relations avec les pays africains, en y intégrant la coopération économique, culturelle et de la société civile, y compris avec ceux qui sont basés en France…. Si nous abordons la question de l’immigration irrégulière avec nos partenaires africains, ce n’est qu’un sujet parmi d’autres. »
Pourtant, son collègue conservateur Bruno Retailleau, qui a été ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Barnier, est resté concentré sur la question de la réduction de l’immigration. Il a appelé à des politiques visant à freiner l’immigration, y compris des accords visant à réduire les flux migratoires par le biais d’accords et de partenariats avec les pays d’origine et de transit africains.
Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Institut français des affaires internationales et stratégiques, affirme que la confusion politique au sein du gouvernement a rendu plus difficile la venue d’Africains en France, qui est pourtant un moteur important du renforcement des relations politiques et économiques.
« La question des visas, qui relève du ministère de l’intérieur et non des affaires étrangères, est particulièrement sensible. Elle risque d’aggraver des relations déjà tendues. Alors qu’un nouveau projet de loi sur l’immigration est susceptible d’occuper le devant de la scène en janvier en France, cette question est d’autant plus pressante. Elle est profondément stigmatisante et risque d’être exploitée politiquement du côté africain. »
Au Sénégal, par exemple, « les rendez-vous pour les visas ont été confiés à des agences externes, ce qui entraîne des frais inabordables de 600 à 800 euros. Cela mine non seulement la confiance, mais aussi l’accessibilité de la France pour les étudiants et les professionnels africains… Le rôle de la diplomatie culturelle dans ce paysage changeant reste d’actualité. Elle continue à tisser des liens », ajoute Caroline Roussy.
Contradictions sur la colonisation
Les nouveaux dirigeants africains n’ont souvent pas de liens historiques avec la France, ce qui signifie qu’il n’a jamais été aussi important de forger de nouveaux liens interpersonnels, en particulier au niveau politique.
« Les élites africaines actuelles, comme Assimi Goïta au Mali ou Ibrahim Traoré au Burkina Faso, n’ont pas étudié en France et n’ont pas entretenu de relations avec leurs homologues français. C’est une nouvelle phase où l’influence historique de la France est remise en question, créant un vide où d’autres puissances peuvent intervenir », explique-t-elle.
La migration n’est pas le seul domaine dans lequel l’administration a eu du mal à coordonner ses messages. Les tentatives du président Macron d’afficher sa contrition pour l’héritage colonial de la France en Afrique ont été mises à mal lorsque Bruno Retailleau a pris la parole publiquement, peu avant son entrée en fonction, pour fournir une évaluation plus optimiste de l’empire.
« La colonisation a été, bien sûr, une période sombre, mais c’était aussi une belle période, avec des mains bienveillantes », a-t-il déclaré.
Le ministre de l’Intérieur avait déjà critiqué les politiques africaines de Macron avant de rejoindre le gouvernement, lorsqu’il a reproché au Président de ne pas avoir su faire face à la montée du « sentiment anti-français » dans la région, soulignant le rejet par le Maroc de l’aide française lors des tremblements de terre de 2023 et la série de coups d’État militaires au Sahel.
La nomination du centriste Bayrou contribuera-t-elle à donner plus de cohérence à l’élaboration des politiques africaines ? Les nominations ministérielles, notamment le maintien ou non des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, contribueront, ces prochaines heures, à clarifier la situation.