APRNEWS: Pourquoi les soldats français quittent l’Afrique
À leur tour, le Sénégal et le Tchad demandent aux soldats français de quitter leur territoire, aspirant à d’autres formes de coopérations militaires avec Paris.
« Un camouflet pour Paris » ; « La France ne comprend plus l’Afrique » ; « Tchad et Sénégal refusent la Françafrique » La presse internationale fait ses choux gras de la demande ferme du Tchad de rompre ses accords de coopération en matière de Défense avec la France. L’annonce en a été faite, le 28 novembre 2024, par un communiqué du ministère tchadien des Affaires étrangères, quelques heures après le départ du ministre français Jean-Noël Barrot.
« Dans le climat de nouvelle guerre froide qui n’épargne pas l’Afrique, les partenaires d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain. Telle est la cruelle leçon qu’ont infligée à Paris les dirigeants des juntes malienne, burkinabè et nigérienne. »
« La France doit considérer désormais que le Tchad a grandi et mûri, que le Tchad est un Etat souverain et très jaloux de sa souveraineté », a précisé son homologue tchadien, Abderaman Koulamallah. Qui précise au quotidien Le Monde que cette décision a été « mûrement réfléchie ». De son côté, le chef de l’Etat, Mahamat Déby Itno, a tenu à préciser que la rupture annoncée « ne concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle ».
Coïncidence de dates, le même jour, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye confiait aux médias français son souhait de voir les soldats français quitter le territoire du Sénégal. Le Président a précisé qu’aucun calendrier de retrait n’était, pour l’heure, arrêté. Pour le Sénégal, il ne s’agit pas, en revanche, de dénoncer des accords de coopération militaire.
L’annonce du Sénégal n’a guère surpris, car le départ des troupes françaises était un engagement du parti présidentiel Pastef qui vient d’emporter les élections législatives. Celle du Tchad, soudaine, a davantage étonné, car le Tchad semblait tenir, jusque-là, à sa coopération militaire avec la France, considérée comme un allié sûr contre le djihadisme au Sahel. Il semble un peu tôt pour savoir si cette décision donne le signal d’un rapprochement avec les pays sahéliens ayant déjà rompu leurs liens militaires avec la France.
Une stratégie française altérée
« Ce n’est pas la première fois que la présence militaire française est remise en question dans ce pays », commente Francis Laloupo sur le site de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Le chercheur pointe avant tout des motifs issus de la politique intérieure tchadienne : « Le nouvel exécutif doit composer avec les différents courants politiques et d’opinions afin d’asseoir une certaine forme de légitimité. La question est d’assurer la continuité d’un système, tout en produisant des signes de rupture attestant d’une nouvelle forme de gouvernance. »
Dès lors, le geste du Tchad à l’égard de la France s’appuie sur deux arguments : « D’une part, une relecture du fondement et de la pertinence des accords militaires empreints de l’histoire coloniale, et d’autre part, la volonté affirmée du pays à diversifier ses partenariats. » En effet, depuis 2022, le Tchad recherche de nouveaux partenaires « stratégiques », tels que la Russie, la Turquie, les Émirats arabes unis, la Hongrie. À l’image de la démarche d’autres pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
Outre ce contexte politique, le chercheur de l’IRIS note l’« altération » de la stratégie française d’influence militaire dans le Sahel ces dernières années, la pression des opinions opposées au maintien des bases militaires françaises perçues comme un symbole néocolonial, ainsi que l’exacerbation des rivalités entre grandes puissances. Sans oublier les offensives de la Russie sur le continent.
Quoi qu’il en soit, « si le Tchad peut compter sur l’expertise de ses forces de défense pour affronter les menaces sécuritaires, les autorités ont bien conscience que la lutte contre les groupes armés non étatiques ne peut se mener de manière solitaire », poursuit Francis Laloupo. Qui considère que la décision tchadienne ne modifiera pas sensiblement la gestion de la situation sécuritaire dans le pays et chez ses voisins.
Reste que la France devra revoir les termes de sa coopération militaire, probablement davantage basée sur un soutien technique, logistique, ou sur des missions ponctuelles.
« Même si les dirigeants français le nient encore, les ruptures politiques consécutives à l’opération Barkhane mettront vraisemblablement un point final à la longue série des interventions militaires françaises en Afrique francophone », commentait de son côté Thierry Vircoulon, de l’IFRI (Institut français des relations internationales), quelques jours avant les annonces tchadiennes et sénégalaises.
« On n’imagine plus aujourd’hui un gouvernement français et un gouvernement africain s’accorder pour une nouvelle aventure militaire », en dehors de missions d’évacuations ponctuelles.
Une coopération devenue inutile en l’état
Pour les opinions publiques africaines, les opérations militaires franco-africaines incarnent l’héritage du « pré carré » militaire français et, pour les stratèges français, ne sont que des emprises inutiles. Dès lors, « à quoi sert d’avoir un dispositif militaire prépositionné ? », s’interroge le chercheur de l’IFRI. Qui considère que la France, désormais, se tourne davantage vers l’Indo-Pacifique et l’est de l’Europe.
« Au mieux, les bases peuvent retrouver une utilité pour des formations au profit de l’armée du pays hôte, voire de pays de la région, comme l’évoquait le président Emmanuel Macron dans son discours du 27 février 2023 », juge l’analyste qui observe : « Cette réutilisation des bases est d’ailleurs déjà en cours ». D’ailleurs, il n’y a guère de plan stratégique pour l’Afrique ni politique africaine de la France. À quoi bon, dès lors, maintenir une coopération militaire ?
Évoquant l’argument selon lequel le maintien de la coopération militaire française éviterait l’arrivée de concurrents géopolitiques, le chercheur indique que cela est contredit par l’évolution du paysage de la sécurité depuis vingt ans en Afrique. Les concurrents et les ennemis de la France se sont implantés alors que Paris multipliait les opérations et les formations. « Plus ou moins de coopération militaire française ne va pas changer la stratégie de la Turquie, d’Israël, des Émirats arabes unis, de la Russie ou de la Chine en Afrique, ni celle des gouvernements africains qui sont sortis du tête à tête avec Paris depuis longtemps et continuent à diversifier leurs partenariats sécuritaires. »
En outre, la relance de la coopération militaire a un coefficient de risque géopolitique élevé, déjà éprouvé au Sahel. Et le chercheur de lâcher : « Dans le climat de nouvelle guerre froide qui n’épargne pas l’Afrique, les partenaires d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain. Telle est la cruelle leçon qu’ont infligée à Paris les dirigeants des juntes malienne, burkinabè et nigérienne. »