APRNEWS: Chronomètres inversés AES – CEDEAO

APRNEWS: Chronomètres inversés AES – CEDEAO

Le retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cédéao sera définitivement acté le 28 janvier 2025. A trois mois de cette échéance, quelle est la situation socio-économique dans ces pays? Quelle vision stratégique commune pourl’Alliance des Etats du Sahel ?

Le 28 janvier 2025, la sortie des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) devrait être définitivement actée. Le 28 janvier 2024, lorsqu’ils ont signifié leur décision « avec effet immédiat », les pouvoirs militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont-ils volontairement ignoré l’article 91 du Traité de la Cédéao qui dispose qu’une décision de retrait ne devient effective qu’un an après sa notification ? Depuis, le trio sécessionniste se comporte comme si ce départ était un fait acquis. Les trois régimes issus de coups d’Etat déploient leurs agendas politiques. Tout en clamant abusivement leur aversion envers la Cédéao, ils fontfi du fait que les fonctionnaires de leurs pays, affectés au sein de l’organisation régionale, y ont poursuivi leurs activités. Cette anomalie ne semble pas les troubler outre mesure.

LSI AFRICA

Alliance de vulnérabilités

Quelle est la situation économique du Niger, du Mali et du Burkina Faso à trois mois de leur sortie groupée de la Communauté ouest-africaine ? Si leur départ impacte logiquement les équilibres régionaux et la spécificité organisationnelle de la Cédéao, il n’entraînera pas pour autant un bouleversement majeur. L’AES représente 17% de la population de la Cédéao et son PIB ne pèse que 10 %. Considérés comme des entités à faible revenu au sein des quinzeEtats membres, les trois pays ont contribué, depuis cinq décennies, à la dynamique globale de développement de l’organisation, grâce aux mécanismes de l’intégration économique ; lesquels ont permis à la Cédéao d’être classée, en 2020, par les institutions de Bretton Woods comme «l’une des 20 premières économies du monde». Les exportations du Mali et du Burkina Faso vers les autres pays membres représentent à peine 2%. Quant au Niger, il affiche le PIB par habitant le plus bas etle taux de pauvreté le plus élevé de la région. Au regard du poids respectif réel de ces Etats dans l’organisation, leur nouvelle alliance apparaît davantage comme une addition de vulnérabilités qu’un acte de progression.

Dans leur désir de rupture organique avec la Cédéao, les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger devront négocier avec l’existant. Alors que plus d’un tiers (37%) de leurs importations provient de la Cédéao, le reste (63%) provient de l’extérieur, notamment de France, des Etats-Unis, de la Chine, de l’Inde ou encore de la Turquie. Lorsque leur départ de la Cédéao sera définitivement acté, ils devront composer avec cette articulation de leurs dépendances objectives, sans plus bénéficier des dispositifs favorables soutenus par l’ensemble communautaire régional. Parmi les éléments sensibles, la question énergétique. Il s’agira alors de remettre à plat les conditions de coopération entre eux et leurs grands fournisseurs de la région que sont le Nigéria, la Côte d’Ivoire, le Ghana ou encore le Sénégal. Leur auto-exclusion du Pool énergétique ouest-africain (WAPP), permettant de réduire le coût d’électricité, sera l’un des premiers défis à relever, dans un contexte où les populations sont confrontées à une pénurie récurrente et insupportable.

Sur le plan budgétaire et financier, les interrogations portent sur l’appartenance de ces trois pays à l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), corollaire monétaire de la Cédéao pour les Etats de la Zone franc et instrument majeur de la politique d’intégration financière et macroéconomique. Comment soutenir durablement la contradiction consistant à se retirer de la Cédéao, tout en se maintenant au sein de cette union monétaire ? Aux opinions sceptiques, les dirigeants de l’AES affirment «rester pour le moment» dans l’UEMOA en attendant de créer leur propre monnaie. L’ivresse des mirages ? Manifestement, les trois pays ont bien du mal à rompre le lien avec une institution qui demeure un précieux soutien aux trésoreries nationales. Cependant, les obligations souscrites auprès de l’UEMOA par les pays de l’AES sont désormais soumises à une prime de risque plus élevée, en raison, notamment, de l’instabilité de leur situation intérieure.

Réalité de la gestion du pouvoir d’Etat

Depuis l’annonce de leur retrait de la Cédéao, les régimes de l’AES doivent faire face à la réalité de la gestion du budget de l’Etat à laquelle ils étaient fort peu préparés. Alors que l’organisation régionale a levé toutes les sanctions liées aux coups d’Etat, les nouveaux pouvoirs militaires du Sahel ont été confrontés à la réduction des financements extérieurs. Le Mali a été exclu des programmes du Fonds monétaire international (FMI) et le Burkina Faso a dû prendre acte de l’arrêt, à son détriment, de l’appui budgétaire de la Banque mondiale. Tout comme le Niger qui, depuis le coup d’Etat de juillet 2023, accuse, en plus, une réduction de près de 8% du financement extérieur du développement.

Face aux difficultés d’accès à des financements soutenables, ces pays se sont trouvés contraints de recourir à des transactions particulièrement coûteuses. Ainsi, fin avril 2024, le Niger a procédé à la levée de 733 millions de dollars pour apurer ses dettes. Les taux pratiqués sur cette opération ont défrayé la chronique. Selon des experts, cette initiative des autorités nigériennes « risque d’aggraver un peu plus encore la situation du pays ». Sauf à compter sur l’exploitation laborieuse du pétrole, fortement supervisée par la Chine.

Début septembre 2024, la Banque mondiale a opéré un timide et prudent retour dans ce pays sinistré. Elle a consenti, en faveur du Niger, au financement de quinze projets nationaux et douze projets régionaux pour un montant de 4,24 milliards de dollars (prêts et dons). Plusieurs secteurs sont concernés : l’éducation, la santé, les transports, l’eau, l’assainissement, l’agriculture, la gestion des catastrophes naturelles et même la bonne gouvernance. Ce retour détonne avecles déclamations oiseuses de « souveraineté » et la volonté isolationniste d’une junte militaire rattrapée par la réalité de la gestion du pouvoir d’Etat.

Dividendes des coups d’Etat

En attendant, au Mali, tout comme au Niger et au Burkina Faso, la situation générale n’incite guère à l’optimisme. Paupérisation galopante, crise énergétique, gestion carentielle des catastrophesnaturelles et des risques environnementaux… Le tout, dans un contexte marqué par des atteintes aux droits humains, un recul historique de la liberté d’expression, une diplomatie aventureuse ainsi qu’une incertitude pesante sur l’horizon des transitions politiques et des agendas électoraux. Mis à part les slogans, la désignation d’ennemis extérieurs et les incantations « souverainistes », difficile de percevoir aujourd’hui, chez les tenants de l’AES, une vision stratégique pertinente et une réelle inclination à construire les voies nécessaires au rétablissement d’une gouvernance orthodoxe.

Après le 28 janvier 2025, la Cédéao survivra-t-elle au départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger ? Oui, évidemment. Reste à déplorer l’impact politique de cette situation nouvelle, notamment à cause du coup porté au processus d’intégration régionale qui constitue, depuis 1975, la marque distinctive du projet. Les sécessionnistes ont-ils suffisamment pesé les conséquences de leur décision ? D’évidence, non. Au-delà d’un mouvement d’humeur, il leur aurait certainement été utile de prendre le temps nécessaire d’évaluer les conséquences immédiates de leur retrait de cette organisation, certes imparfaite, mais historiquement indispensable. Nul besoin de rappeler qu’en se retirant de la Cédéao, «avec effet immédiat», l’objectif des trois juntes était, non pas de construire rationnellement un nouveau pôle géostratégique, mais simplement de se soustraire aux exigences et règlements de la Communauté régionale, afin de faire prospérer les hypothétiques dividendes de leurs coups d’Etat.

Par Francis Laloupo
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