APRNEWS: Le cri électrique des Ivoiriens face au prix de l’électricité en Côte d’Ivoire

APRNEWS: Le cri électrique des Ivoiriens face au prix de l’électricité en Côte d’Ivoire

Le 1er juillet 2023, le gouvernement ivoirien a procédé à une augmentation de 10 % du prix de l’électricité pour les abonnés à 15 ampères et plus et +15 % pour les abonnés moyenne et haute tension. Une véritable sanction pour les opérateurs économiques et donc pour le panier de la ménagère. En moins de 6 mois, soit le premier janvier 2024, une sanction globale de 10 % frappe tous les abonnés.

Malgré cette manne financière sortie des poches des citoyens pour garantir un service, il ne se passe aucun jour où il n’y a pas de coupure d’électricité. Les Ivoiriens payent à un prix élevé l’électricité pour se contenter de la belle étoile, des lampes torches et des lampes tempêtes. Selon les autorités, ces deux augmentations permettront de réduire une perte d’exploita- tion de près de 127 milliards de francs CFA. L’intention est certainement bonne de réduire la perte d’exploitation et se donner les moyens d’assurer la qualité du service et éviter les coupures intempestives dont les pertes in- duites passent en perte et profit sans indemnisation des victimes. Mais le gouvernement avait le choix entre réduire les dépenses et les marges de certains opérateurs du secteur électricité ou réduire les revenus et le pou- voir d’achat de toute une population. Examinons la faisabilité de la réduction des dépenses et les marges des opérateurs du secteur électricité.

Historique du secteur électricité en Côte d’Ivoire

En 1990, le secteur est en crise avec une dette qui s’élève à 120milliards de FCFA et des arriérés de consommation de 37 milliards de FCFA, soit trois ans de consommation d’électricité par l’État de Côte d’Ivoire, qui, soit dit en passant, consommait presque gratuitement l’électricité.

En 1990, l’État de Côte d’Ivoire confie par concession, sur 15 ans, la gestion de l’électricité à une société privée française: la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE). Le contrat de concession oblige la CIE à verser des redevances à l’État de Côte d’Ivoire et à prendre en charge les entretiens courants, tandis que la dette revenait à l’État, ainsi que les investissements lourds. La CIE met fin à la gratuité avec l’État de Côte d’Ivoire et équilibre les finances. L’opérateur français, actionnaire principal et bénéficiaire de la CIE, investit dans la production de gaz et des centrales thermiques selon des contrats de type BOT1 et take or pay2.

En 2010, la CIE faisait un chiffre d’affaires de 300 milliards de FCFA avec les deux tiers affectés au payement du gaz dont la production est contrôlée à plus de 50% par l’opérateur privé français selon un contrat de type «take or pay» indexant le prix du gaz tiré du sol ivoirien sur le cours mondial du pétrole. Par conséquent, le prix du gaz payé à l’opérateur augmente de pair avec la hausse du prix du pétrole sur le marché international. Ainsi le gaz, qui constituait 12 % du coût de l’électricité en 1996, coûtait en 2010 presque 70 %, soit les deux tiers du revenu du secteur, ce qui assure une montagne de bénéfices aux opérateurs gaziers au détriment de l’ensemble du secteur. Le paiement de la redevance et des taxes est devenu impossible et le secteur est encore déficitaire à la fin des 15 ans de contrat de concession. En 2005, le secteur enregistrait un endettement de 112.540.254.795,FCFA non loin de la situation de 1990. Le mode de paiement du secteur privilégie d’abord les opérateurs gaziers, les producteurs indépendants, ensuite la CIE et en dernier ressort l’État. La crise touche donc directement l’État tout en protégeant les gaziers et les producteurs indépendants. En 2005, alors que le pays est sous occupation de l’armée française et de l’ONUCI, le contrat est par la force des choses renouvelé pour 15 ans.

En 2010, sous le régime du président Laurent Gbagbo, une réforme est conduite pour déconnecter  le prix du gaz du marché international et opter pour un contrat de type «cost plus» qui prend en compte uniquement le coût de production du gaz et une marge bénéficiaire acceptable afin de réduire le poids du gaz sur le prix de l’électricité et éviter une augmentation des prix au consommateur.

La chute du régime du Président Laurent Gbagbo en avril 2011 n’a pas permis de conduire à terme ces réformes. En 2012, sous le régime du président Alassane Ouattara dit ADO, le Fonds monétaire revient à la charge :

« Le Fonds monétaire International a appelé le vendredi 11 mai 2012 à des réformes dans le secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire, à l’occasion du versement des 100 millions de dollars d’un prêt au pays, soit environ 50 milliards de FCFA. Le FMI a appelé à assurer l’avenir de la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE) par «de nouvelles mesures, y compris des hausses des tarifs»», rapporte le quotidien notre Voie dans sa livraison du 14 mai 2012. Exit la réforme du gouvernement Ake Ngbo (emprisonné pour crime économique).

Selon le rapport du séminaire organisé par les experts ivoiriens sous l’égide du gouvernement en novembre 2012 dont le thème était défis et enjeux du secteur de l’énergie en côte d’ivoire: mesures d’urgence et plans à moyen et long termes, le constat était sans équivoque : « si la situation électrique de la Côte d’Ivoire peut paraître enviable en comparaison avec la plupart des pays de la sous-région, il n’en demeure pas moins que depuis maintenant plus de deux décennies, elle est confrontée à des difficultés qui ont progressivement entraîné un déséquilibre financier… Au nombre de ces difficultés figurent le coût trop élevé du gaz dont dépend aux deux tiers l’électricité produite ».

La recommandation des experts ivoiriens était sans appel : « renégocier à la baisse le prix du gaz naturel (gaz sec/gaz associé)». Nos courageux experts ne se sont pas arrêtés là, ils ont même fixé le montant annuel de réduction du coût du gaz :127 milliardsde FCFA par an dont 100 milliards avec Bouygues, contre un déficit annuel du secteur de 63 mil- liards de FCFA ! Les experts ivoiriens contredisaient le FMI qui a recommandé une augmenta- tion des tarifs de l’électricité le 12 mai 2012. Jusqu’aujourd’hui, le secteur vit au rythme des recommandations du FMI contre l’avis des experts ivoiriens.

Les recettes du secteur électricité et leur répartition en 2022

Pour une puissance installée de 2 548 MW à fin décembre 2022 et une production brute de 12 148 GWh dont 76,4 % d’origine thermique et 23,6 % d’origine hydraulique, la recette globale du secteur électricité s’élève, à fin 2022, à 800,2 mil- liards de FCFA dont 657,5 milliards de francs CFA pour les ventes nationales et 91,2mil- liards pour les ventes à l’export. Les dépenses à couvrir par les recettes se répartissent comme suit :

– 211,2 milliards de FCFA pour les charges éligibles de la CIE et sa marge fixée en 2020, à 6,14 % des charges éligibles ;

– 355,4 milliards pour le secteur gaz (310,6milliards dont plus de 90 % à Bouygues) et conbustible liquide (44,8 milliards FCFA dont 44,1 milliards HVO et HFO) ; – 279,1 milliards de FCFA pour les IPP et autres privés dont (Azito 3 103,7 milliards FCFA, CIPREL 4 64,4 milliards FCFA, Côte d’Ivoire Énergie 47,5mil- liards FCFA Soubré).

La prise en compte de l’ensemble des produits et des charges fait ressortir un déséquilibre de 127 milliards de FCFA justifiant la nécessité d’un redressement.

Analyse de la rémunération des acteurs du secteur électricité

La rémunération de l’exploitant CIE se chiffre à 211,2 milliards de francs CFA en 2022 contre 195,7 milliards en 2021. Cette hausse de 7,9 %, soit 15,5 mil- liards de FCFA, se décompose comme suit: 10milliards de francs liés à la rémunération de la CIE, conformément à l’exécution de ses tâches, selon son contrat d’affermage et 5,5 mil- liards de FCFA d’inflation sur ces tâches.

L’augmentation de la rémunération de la CIE s’explique comme suit : avant 2020, la rémunération de la CIE était basée sur la méthode des prix plafonds fixés selon l’énergie vendue. Avec la nouvelle convention État-CIE de 2020, le mécanisme de rémunération de l’exploitant a été modifié. Il se fonde désormais sur des coûts «éligibles» majorés d’une marge fixée à 6,14 % par seg- ment d’activités. La modification du mode de rémunération explique la hausse constatée. Ce qui, avec la situation financière précaire du secteur, contribue à fragiliser la capacité du secteur à assurer l’équilibre financier. Qui assure le contrôle des dépenses éligibles? Pourquoi 6,14% de marge et non 1, 2, 3 % comme si les actionnaires de la CIE faisaient un placement obligataire et non un investissement au risque et péril de l’investisseur ? Le prix du gaz est fixé par rapport à l’évolution du prix du gaz sur le marché international et révisé trimestriellement en fonction de l’évolution du prix des facteurs de production. Le prix unitaire du gaz varie de 2,5 dollars USD par million de BTU5 chez le fournisseur CNR, à 6 dollars par mil- lion de BTU chez le fournisseur Bouygues.

Selon le rapport du séminaire organisé par les experts ivoiriens sous l’égide du gouvernement en novembre 2012, une réduc- tion du coût du gaz de 127 mil- liards de FCFA par an, dont 100milliards avec les frères Bouygues est possible. Il suffit de renégocier le mode de calcul du prix du gaz pour juguler un dé- ficit de 127milliards de FCFA comme l’avaient recommandé les experts ivoiriens.

Il apparaît clairement qu’une décision courageuse peut éviter la double peine infligée aux ivoi- riens à travers deux augmentations en moins de 6 mois. L’État ivoirien est-il suffisamment souverain pour être à l’écoute de ses experts et non à l’écoute des intérêts de Bouygues et de leurs experts du FMI? toute la problématique de la douleur des Ivoiriens réside donc, dans l’absence totale de souveraine effet, il est difficile de comprendre que les consommateurs doivent payer 47,5 milliards de FCFA à Côte d’Ivoire Energie pour le barrage de Soubré qui a fait l’objet d’un accord de financement à taux concessionnel de la part du gouvernement chinois. Cette absurdité fait du prix du kWh du barrage de Soubré (34,7 FCFA/KWH) l’un des prix les plus élevé au monde, beaucoup plus que le prix du kWh des centrales thermiques de CIPREL (19.34 FCFA/KWH) et d’Azito 6 (27,13 FCFA/KWH).

Le gouvernement tente-t-il de maquiller les comptes publics et de cacher le volume de la dette publique en pourcentage d’un PIB qui est lui-même surestimé par des statistiques sur les investissements directs étrangers désapprouvés, une fois n’est pas coutume, par le FMI ? « La saisie de l’IDE (investissement direct étranger) dans les statistiques de balance des paiements disponibles est médiocre.» (Rapport 2015 du FMI).

En plus, l’énergie contractuelle payée aux producteurs d’électricité selon des contrats de type Take or Pay puissance, est supérieur au prix de l’énergie effectivement livrée au réseau, ce qui contribue au déséquilibre financier du secteur.Tout se passe comme si les consommateurs

payaient le prix d’une chambre d’hôtel de 2 étoiles au prix d’une chambre d’hôtel de 5 étoiles. Ce surcoût correspond à l’écart constaté entre le prix contractuel et le coût moyen calculé à par- tir des quantités d’énergie effectivement livrées. Il est estimé à 25,48 milliards de FCFA en 2022 contre 16,19 milliards de FCFA en 2021.

Tous ces chiffres démontrent une seule chose. La réduction des dé- penses du secteur est possible pour absorber le déficit en lieu et place de la double peine de l’augmentation du prix de l’électricité.

Ce qui se passe dans le secteur de l’électricité est identique à ce qui se passe dans tous les secteurs stratégiques de l’économie où le monopole public a fait place au monopole d’une minorité de multinationales dont les immenses fortunes amassées en puisant dans les poches et le pa- nier de la ménagère, s’évadent du pays (cacao, téléphonie, inter- net, port, aéroport, banque, etc.). Ce n’est donc pas surprenant que la croissance économique soit incapable de réduire la pauvreté et le chômage.

Seul un État souverain engagé pour une souveraineté économique et à l’écoute de ses experts peut assurer le bien-être de son peuple.

«La souveraineté appartient au peuple, aucun individu et aucune section du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice », 

conclut la Constitution du 23 juillet 2000 en son article 31.

1. Les contrats de type Bot (Build- Operate-Transfer) sont des accords de partenariat public-privé où une entre- prise privée finance, construit, et exploite une infrastructure pour une période dé- terminée avant de la transférer à l’état ou à une entité publique. Ces contrats sont couramment utilisés pour des pro- jets d’infrastructure tels que des routes, des ponts, des centrales électriques, et des systèmes de traitement des eaux.

2. Les clauses «take or Pay» sont des dispositions contractuelles couramment utilisées dans les contrats de fourni- ture d’énergie et de matières premières. Elles obligent l’acheteur à payer pour une quantité minimale de produit, qu’il en prenne livraison ou non.

3. Importante centrale thermique de production d’électricité située à Abidjan.

4. CIPrEL (Compagnie Ivoirienne de Production d’électricité) est une importante entreprise de production d’électricité en Côte d’Ivoire.

5. British Thermal Unit, unités thermiques britanniques, unité fréquemment employée pour mesurer la puissance des appareils de climatisation, en particulier ceux de petite puissance (inférieure à 30 kW).

6. Importante centrale thermique de production d’électricité située à Abidjan.

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