Vous êtes ici

Back to top

Vient-on d’assister à l’accord géopolitique le plus important de l’année 2018 ?

apr-news/ Vient-on d’assister à l’accord géopolitique le plus important de l’année 2018 ?
Mercredi, 15 août 2018

Vient-on d’assister à l’accord géopolitique le plus important de l’année 2018 ?

APRNEWS- Le conflit sur le statut de la mer Caspienne qui dure depuis deux décennies, la plus grande réserve d’eau du monde, s’est terminé dimanche dernier lorsque cinq Etats riverains (Russie, Iran, Turkménistan, Kazakhstan et Azerbaïdjan) ont accepté de lui donner un statut juridique spécial – il ne s’agit plus d’une mer, ni d’un lac.

Avant que l’accord final ne soit rendu public, la BBC a écrit que tous les États du littoral auront la liberté d’accès au-delà de leurs eaux territoriales, mais que les ressources naturelles seront divisées. La Russie, pour sa part, a garanti une présence militaire dans tout le bassin et n’acceptera aucune force de l’OTAN dans la mer Caspienne.

Les compagnies énergétiques russes peuvent exploiter les 50 milliards de barils de pétrole de la mer Caspienne et ses 8,4 trillions de mètres cubes de réserves de gaz naturel, le Turkménistan peut enfin envisager de relier son gaz au projet commun turco-azeri TANAP par un pipeline traversant la mer Caspienne, tandis que l’Iran a accru l’approvisionnement énergétique de ses plus grandes villes du nord du pays (Téhéran, Tabriz et Mashhad) – toutefois, l’Iran se place aussi sous la protection des navires russes.

Cette controverse nous amène à nous demander dans quelle mesure les sanctions américaines ont rendu l’Iran suffisamment vulnérable pour accepter ce qu’il a toujours évité – et dans quelle mesure ces sanctions américaines ont servi les intérêts de l’OTAN.

Si les fonds marins, riches en pétrole et en gaz, sont divisés, cela signifie plus de richesse et d’énergie pour la région. De 1970 jusqu’à la dissolution de l’Union soviétique (URSS) en 1991, la mer Caspienne a été divisée en sous-secteurs pour l’Azerbaïdjan, la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan – toutes des républiques constitutives de l’URSS. La division a été mise en œuvre sur la base de la ligne médiane internationalement acceptée.

Après la dissolution de l’Union soviétique, le nouvel ordre nécessitait une nouvelle réglementation. 

La question était de savoir si la mer Caspienne était une mer ou un lac ? Si elle était considérée comme une mer, elle devrait être couverte par le droit maritime international, à savoir le Droit de la mer des Nations Unies. Mais si elle est définie comme un lac, elle pourrait être divisée également entre les cinq pays. Le conflit appelé « lac ou mer » a tourné autour de la souveraineté des Etats, mais a également touché à des questions globales clés – exploitation des réserves de pétrole et de gaz dans le bassin de la mer Caspienne, liberté d’accès, droit de construire au-delà des eaux territoriales, accès à la pêche et (dernier mais non des moindres) gestion de la pollution maritime.

L’Agence International de l’Energie a conclu dans World Energy Outlook (WEO) 2017 que l’énergie marine a un avenir prometteur. Aujourd’hui, plus d’un quart de l’approvisionnement en pétrole et en gaz est produit en mer, et va bientôt s’étendre au-delà des sources traditionnelles pour englober les énergies renouvelables et plus encore. Les réserves d’hydrocarbures en mer Caspienne sont d’environ 50 milliards de barils d’équivalent pétrole (soit un tiers des réserves totales de pétrole de l’Irak) et 8,4 trillions de mètres cubes de gaz (presque l’équivalent de la totalité des réserves avérées de gaz des États-Unis). Comme si ces quantités n’étaient pas suffisantes pour rééquilibrer les équations de la demande énergétique eurasienne, l’accord permettra également au Turkménistan de construire le gazoduc transcaspien, reliant les ressources du Turkménistan au projet commun turco-azéri TANAP, et à l’Europe – ce qui pourrait facilement devenir un contre-poids à l’activité croissante du GNL (Gaz Naturel Liquéfié) en Europe.

Même si nous n’avons toujours pas de détails précis et complets sur l’accord, l’Iran semble avoir gagné beaucoup moins que ses voisins, car il a la frontière la plus petite sur la mer Caspienne. Du point de vue énergétique, l’Iran serait un marché naturel pour le pétrole et le gaz du bassin de la mer Caspienne, car les grandes villes iraniennes (Téhéran, Tabriz et Mashhad) sont plus proches de la mer Caspienne qu’elles ne le sont des grands gisements pétroliers et gaziers iraniens. L’achat d’énergie de la mer Caspienne permettrait également à l’Iran d’exporter davantage de pétrole et de gaz, faisant du pays une voie de transit entre le bassin de la mer Caspienne et les marchés mondiaux. 

Par exemple, pour le Turkménistan (qui aimerait vendre du gaz au Pakistan), l’Iran offre une géographie pratique. L’Iran pourrait percevoir des redevances pour des accords de trocs ou pour la mise en place d’un itinéraire de transit et justifier son commerce avec la Turquie et le Turkménistan, car l’accord de troc est autorisé en vertu de la loi sur les sanctions Iran-Libye (ILSA, ou loi D’Amato).

Si les eaux de surface sont d’usage courant, tous les États riverains y auront accès au-delà de leurs eaux territoriales. Concrètement, cela représente une présence russe de plus en plus engagée dans le bassin. Cette présence réduit également toute place pour l’OTAN, car il semble entendu que seuls les cinq États riverains auront droit à une présence militaire dans la mer Caspienne. Étant donné que la Russie a déjà utilisé ses navires de guerre dans la mer Caspienne pour lancer des attaques de missiles sur des cibles en Syrie, cette présence russe accrue pourrait se transformer en une menace pour la sécurité de l’Iran.

De nombreuses questions peuvent maintenant être posées sur ce que Téhéran aurait pu recevoir dans l’échange, mais c’est déjà une preuve de ce qui aurait pu pousser l’Iran à trouver un accord dans sa position vulnérable face à l’augmentation des sanctions américaines. Étant donné que le résultat de ces sanctions semble être l’acceptation par l’Iran d’un accord caspien qui permet à la Russie de placer des navires de guerre à ses frontières, de retirer l’OTAN de l’équation du bassin caspien et d’augmenter les approvisionnements énergétiques non occidentaux (eux-mêmes directement ou indirectement dans la sphère d’influence géopolitique de la Russie), on peut se demander quels intérêts ces sanctions ont réellement servis ?