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Un troisième confinement? Pourquoi l'acceptation des Français inquiète

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Vendredi, 29 janvier 2021

Un troisième confinement? Pourquoi l'acceptation des Français inquiète

Alors que le gouvernement tergiverse sur les modalités d'un troisième confinement, les Français y sont de moins en moins enclins. Un mouvement qui dépasse le cercle marginal des complotistes et anti-masques.

“Liberté, liberté, liberté”, scandaient ce mercredi après-midi le restaurateur Christophe Wilson, assiette de daube à la main, et ses clients, dans son établissement de Nice, le Poppies. Le patron, qui a fait ensuite un passage par la garde à vue -levée le 28 janvier dans la soirée-, avait décidé de braver les restrictions sanitaires et de rouvrir envers et contre tous. Le timing était parfait puisque c’est également ce 27 janvier que le gouvernement a confié, après un week-end de rumeurs, qu’il planchait sur trois scénarios possibles pour contenir le coronavirus et ses variants britanniques et sud-africains.

Si la piste la plus probable reste celle d’un troisième confinement, elle ne fait d’ores et déjà pas l’unanimité. Depuis plusieurs jours maintenant le hashtag “Je ne me confinerai pas” a été partagé des dizaines de milliers de fois sur Twitter. “Arnaque sanitaire”, “mesures liberticides”, “nécessaire désobéissance civile” sont autant d’arguments avancés pour refuser la mesure déjà anticipée depuis plusieurs semaines.

À première vue, ces réactions et ces partages de publications s’inscrivent dans la lignée de courants très droitiers, proches ou pas insensibles aux théories complotistes. “Cela va de groupuscules teintés politiquement, plutôt d’extrême droite, à un aréopage de mouvements complotistes. Des mécontentements et des indignations viennent aussi s’agréger autour de cette revendication, tout comme la mouvance anti-vaccins”, expliquait notamment au HuffPost Tristan Mendes-France sur le mouvement anti-masque.

Et de fait, alors que Check News, retrouve l’origine du hashtag “Je ne me confinerai pas” sur le site covido-sceptique “Bas les masques”, sur sa page Facebook, Christophe Wilson partage lui des vidéos d’Alexandra Henrion-Caude, la généticienne qui apparaît dans le film “Hold-Up”, largement tancée pour ses accumulations de fake news. 

Une baisse du consentement

En réalité, comme le montrent les études d’opinion et l’expliquent plusieurs sociologues, l’opposition à un troisième confinement ne peut plus simplement être expliquée par le prisme des sceptiques de la science. Selon un sondage de l’Ifop publié ce jeudi, seulement 47% des Français adhéreraient à la mesure. Un chiffre en baisse pas rapport à décembre et qui n’implique pas que les 53% autres soient forcément adhérents des théories complotistes. “Ces dernières existent, mais le récit ne prend pas dans l’ensemble de la population, elles restent cantonnées à des espaces de radicalité”, explique pour le HuffPost, Jocelyn Raude, enseignant en psychologie sociale à l’école des hautes études en santé publique de Rennes.

Pour le sociologue, il faut plutôt en revanche se pencher sur le coût de la crise pour expliquer cette frilosité. “Ce n’est pas un problème d’efficacité parce que les gens reconnaissent que c’est une mesure efficace, mais il y a une montée très forte de la ‘contrainte perçue’. Confinement après confinement, cette situation apparaît de plus en plus couteuse sur le plan matériel et psychologique. Par ailleurs ce qu’on observe c’est que si les personnes âgées continuent d’avoir peur de l’infection, chez les jeunes et les populations intermédiaires, ce qui vient désormais en premier, c’est la peur des effets socio-économiques de la pandémie”, détaille-t-il

Selon le sociologue, il y a eu depuis le premier confinement un glissement des normes sociales. Alors que ne pas respecter les gestes barrières et les consignes sanitaires était très mal perçu au printemps dernier, il y a désormais une tolérance plus grande vis-à-vis des “micro-transgressions”. “Les gens font leur propre bricolage, leur propre balance bénéfice-risque entre leur santé mentale et les enjeux de santé publique. Ils s’affranchissent en cela. C’est un comportement assez généralisé qui peut peut-être expliquer aussi pourquoi, malgré le couvre-feu, les données épidémiques ne sont pas plus encourageantes”, ajoute Jocelyn Raude.

Les nouveaux gilets jaunes?

Cette notion d’acceptabilité est évidemment scrutée de près par le pouvoir qui multiplie depuis ce week-end les prises de paroles pour préparer le terrain et faire de la pédagogie sur les risques des nouveaux variants. Une façon de temporiser alors qu’à différents endroits de la planète, les restrictions sanitaires ont donné lieu à des scènes de pillages ou d’émeutes. Des mobilisations violentes, comme celles qui sont survenues en Allemagne ou aux Pays-Bas sont-elles possibles en France? ”Ce qui s’est passé à Eindhoven était plutôt le fait de jeunes qui sont exclus et de ce qu’on appelle la “biblebelt”, des protestants ultraconservateurs. En Allemagne, c’est le fait de l’extrême droite et aux États-Unis, ce sont des complotistes hors de contrôle”, rappelle le sociologue et professeur émérite à l’université de Bordeaux, François Dubet, pour le HuffPost. “Des mouvements qui n’ont pas du tout la même intensité en France et qui n’y ont pas de prise majeure”, ajoute le directeur délégué d’Harris Interactive.

Les deux spécialistes n’écartent en revanche pas complètement l’éclatement de “poches” de transgression, imprévisibles et épisodiques qui se mueraient en réaction à l’incertitude ambiante. L’étincelle donnerait plutôt alors lieu à des mobilisations sur le mode des gilets jaunes. 

“Il y a eu des formes assez classiques de grèves et de manifestations dans le monde enseignant ou hospitalier, mais on voit bien que des choses étranges se passent. Des explosifs commencent à s’accumuler parce qu’il n’y pas d’horizon et tout cela peut être amené à exploser sur un mode gilets jaunes. Je pense par exemple aux restaurateurs et aux étudiants, qui pour l’instant sont assommés, mais qui pourraient se réveiller en décidant d’occuper une université. On peut imaginer des mouvements très hétérogènes sans de coordination particulière”, détaille au HuffPost le sociologue François Dubet. 

Jean-Daniel Lévy abonde et tempère: “Pour le moment, on ne trouve pas dans la critique des masques ou du confinement une volonté d’adopter absolument un comportement “séditieux”. Et en parallèle, on voit plutôt des Français qui sont résignés, mais l’étincelle pourrait partir d’un profond sentiment d’injustice comme c’était le cas pour les gilets jaunes”.

Un test le 1er février

En la matière, le mouvement du 1er février lancé par le restaurateur du Doubs, Stéphane Turillon, permettra de savoir à quel point l’allumette est grattée chez certains. Sur les réseaux sociaux, il a appelé les restaurateurs à ouvrir leur établissement le 1er février, en respectant le protocole sanitaire. 

L’appel à la mobilisation qui s’inscrit plutôt dans un modèle corporatiste semble avoir pris puisque ce sont désormais plusieurs dizaines de milliers de personnes qui participent à des groupes appelant les restaurateurs à la désobéissance  le 1er février.

Une mobilisation qui n’est pas du tout du goût de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. “L’UMIH ne soutient pas du tout ces mouvements. À Nice, quand on voit sur les images qu’il ne respecte pas le protocole sanitaire, c’est insultant par rapport à tout le travail fait là-dessus. Ce ne sont pas des gens majoritaires, et je pense qu’ils veulent surtout passer à la télévision. Il ne faut pas oublier que les établissements qui ouvriront perdront l’ensemble de leurs aides, ne seront plus éligibles au fonds de solidarité et devront rembourser leur chômage partiel”, rappelle Franck Delvau, président de l’UMIH en Île-de-France, contacté par Le HuffPost.