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Togo : L'afrique doit transformer son capital humain

Photo d'illustration - Didier Acouetey - Africsearch
Mardi, 24 décembre 2019

Togo : L'afrique doit transformer son capital humain

Entretien avec Hichem Ben Yaïche 

Comment définissez-vous votre action, professionnellement et personnellement ? J’ai presque envie de vous demander : dans quelle planète êtes-vous ? 

L’action d’AfricSearch, et celle des PME, est comme une épine dorsale de la transformation de l’Afrique, et ce, pour trois raisons. La première, c’est que vous n’avez pas de développement sans ressources humaines. Et nous répondons à cette problématique des ressources humaines. En second lieu, vous n’avez pas de développement sans formation et sans système éducatif performant. Là encore, à travers notre observation, nous contribuons à structurer le système éducatif. 

Enfin, vous n’avez pas de développement sans un secteur privé profitable qui construit les opportunités économiques du pays, en particulier les PME qui, bien souvent, constituent 80 % à 90 % du secteur privé. En ce sens, notre action est structurante, dans la mesure où elle sert de base à tout ce qui se fait en matière de politique de développement et de politique sociale. Malheureusement, depuis les indépendances, ces éléments ont été beaucoup trop sous-estimés en Afrique. 

Ces problématiques sont évoquées depuis des décennies, et l’évolution, même si elle va parfois dans le bon sens, est toujours trop lente, jamais dans le bon tempo… 

J’ai pour ma part le sentiment que l’Afrique et les dirigeants africains se développent, malgré tout, au même rythme que les autres. Le problème est que nous n’avons eu que trop rarement de véritables schémas de politiques de développement, conçus et mis en oeuvre par des Africains, avec des ressources correspondant aux besoins. Si vous comparez avec la trajectoire des pays asiatiques ou de certains pays d’Amérique latine, effectivement, ces pays ont réussi leur transformation en décidant de suivre leur voie, nonobstant les recommandations des bailleurs de fonds. Les Africains se développent « par procuration », en reprenant les slogans du narratif dicté par ces bailleurs de fonds tels que Africa Rising, la Nouvelle frontière, etc., et passent trop souvent à côté des éléments structurants de transformation de nos pays. 

On leur envoie un courrier en leur disant ce qu’ils doivent faire, qui est ensuite transmis aux populations, sans que nous n’ayons jamais réellement pris notre destinée en mains en tenant compte des exigences de transformations structurelles qui s’imposaient à nous. Rappelez-vous les plans d’ajustements structurels qui avaient été imposés aux Africains et que nos dirigeants avaient signés sous la promesse de subsides en contrepartie : ces plans ont détruit les systèmes éducatifs ! Ils ont détruit les filières, les systèmes sociaux et de santé ! Lors des assemblées générales de la BAD en Corée, les Coréens – à commencer par l’ancien président de la Banque mondiale, lui-même coréen – nous ont fait à nouveau la leçon en nous expliquant que nous ne devions pas compter sur les institutions internationales pour nous aider à développer notre éducation ou notre système de santé. 

Nous devons arrêter de penser que la Banque mondiale, le FMI et les autres bailleurs internationaux sont là pour formuler nos politiques comme une sorte de vade-mecum de notre développement. L’échec de notre développement vient de ce que les politiques africaines n’ont jamais été conçues par les Africains, pour les Africains, pour changer réellement les structures économiques africaines, mais suggérées par d’autres en échange d’une aide hypothétique… 

La situation est-elle rattrapable ? Est-on à la hauteur des défis ? 

Les défis sont gigantesques ! Le continent comptera 2 milliards de personnes en 2050, dont 60 % auront moins de 25 ans. C’est considérable ! Et honnêtement, aujourd’hui, il faut bien reconnaître que les dirigeants ne sont pas à la hauteur de ces défis. Nos dirigeants n’ont pas la capacité d’aborder 

ces ruptures avec les règles de fonctionnement et les sacrifices qui s’imposent aux populations… et aux dirigeants qui doivent donner l’exemple. Mais le défi peut être relevé, à certaines conditions. La première est celle de la gouvernance publique. Il ne peut y avoir de développement sans un minimum de gouvernance. Certains pays – je ne les citerai pas –, n’arrivent pas, à longueur d’années, à gérer les ressources publiques, ce qui constitue le coeur même de la notion de gouvernance : la manière dont vous allouez et dont vous gérez vos ressources est un prérequis. 

La deuxième condition est celle de la définition des priorités. Tout d’abord, le système éducatif doit être fixé. Aujourd’hui, plus de 60 % des Africains interrompent leur scolarité avant même la fin de l’école primaire. Moins de 10 % accèdent à l’enseignement supérieur. Une masse considérable d’Africains, n’est ni éduquée ni formée.

Bien entendu tout le monde n’a pas vocation à étudier à l’université, mais lorsque vous avez une masse aussi importante d’individus qui sort aussi précocement du système éducatif, vous n’avez pas grand-chose à lui proposer. Car pour eux, la formation professionnelle est aussi inexistante ! À peine 2 % y accèdent. Le défi ne pourra pas être relevé tant que nous ne serons pas en mesure de permettre aux jeunes d’apprendre un métier. 

Certains pays présentent-ils un début d’espoir et de faisabilité ? 

Effectivement, certains pays comme le Rwanda donnent aujourd’hui une leçon à l’Afrique en matière de développement. C’est un pays assez petit, avec un système politique relativement fermé, mais dont les transformations structurelles en cours apportent la preuve qu’on peut y arriver. Le modèle pourrait être transposable ailleurs, avec quelques règles de base. D’abord, la gouvernance publique est au coeur de sa stratégie. Un dollar est un dollar.

Ce n’est pas comme ailleurs, où l’on annonce que l’on affecte dix dollars, pour en engager finalement un seul ! La gestion des ressources publiques est essentielle. Deuxièmement, le Rwanda mise massivement, aujourd’hui, sur le système éducatif. De grandes écoles s’y installent, et y constituent un hub qui offre des garanties de stabilité. Il s’agit d’une tendance lourde. Le système politique représente un élément structurant du miracle rwandais, sous réserve que l’avenir continue d’être bien géré.

Certes, mais l’Afrique se pose-t-elle les bonnes questions, pour tout ce qui touche à son développement économique et social ? 

Non, je ne le crois pas. Je peux vous donner des exemples : en ce qui concerne le secteur privé, tout le monde organise des forums d’investissements pour attirer les investisseurs internationaux. Lorsque vous regardez l’épargne intérieure africaine de ces dernières années, et les obligations émises par les États qui, bien souvent, ont été massivement sursouscrites par l’épargne domestique, il y a de quoi s’interroger : pourquoi ne pas mobiliser l’épargne domestique pour nos investissements ?

Et comment y parvenir, pour assurer notre développement, au lieu de s’endetter en dollars, en euros, avec les problèmes de change que cela se pose ? Pourquoi toujours solliciter les investisseurs internationaux ? Autre exemple, s’agissant du secteur informel, dont tout le monde considère qu’il s’agit du véritable drame de l’Afrique, qu’il faut le supprimer, etc. Mais ce secteur informel joue le rôle d’une soupape de sécurité ! C’est le secteur qui absorbe le plus de main-d’oeuvre en Afrique, et qui s’adapte le mieux aux changements de l’économie.