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Tidjane Thiam fait-il peur ?

Aprnews - Tidjane Thiam fait-il peur ? - Actualité - Abidjan - Cote d'Ivoire- Jean Clotaire Tétiali​
Jeudi, 13 août 2020

Tidjane Thiam fait-il peur ?

Depuis le dernier message de Tidjane Thiam à ses compatriotes ivoiriens, on assiste à une levée de bois verts pour dénoncer « une sortie trop calculée du banquier et des velléités de positionnement politique ».

Les plus extrêmes de ses détracteurs voient dans ce message « de l’opportunisme politique ». Aussi, se posent-ils, de façon récurrente, la question de savoir « en quelle qualité le polytechnicien s’est adressé à la nation le 07 août dernier » ?  Ils n’hésitent pas, en outre, à brandir l’argument simpliste et réducteur de « la longue absence de ce dernier du pays et, surtout, de son éloignement physique du terrain de la lutte ». Enfin, les contempteurs de Thiam concluent même, sans exposer suffisamment les fondements de leur certitude, à « un manque d’intérêt du polytechnicien pour la Côte d’ivoire ».

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En vérité, toutes ces rhétoriques de l’injure facile et de la diabolisation rendent plausibles deux hypothèses :

-D’abord, s’agit-il, face à une dictature hors d’atteinte, d’un appel désespéré à Tidjane Thiam dont personne ne peut raisonnablement douter de la qualité des relations dans l’univers de la finance internationale et dans celui des grands décideurs de ce monde ?

-Ou encore, assistons-nous là à un combat d’avant-garde de politiciens frileux contre une personnalité dont l’intervention dans le microcosme politique national changerait indubitablement et substantiellement la donne ?

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Il convient immédiatement de rappeler, à ceux qui cherchent Tidjane sur le terrain de la lutte physique, que le combat politique est multiforme. Il n’est pas réductible au militantisme actif, aux cotisations, ni à la présence physique aux différentes réunions ou marches de protestation du parti, moins encore aux interventions intempestives et inutilement tonitruantes dans la presse. Le terrain physique n’est pas le seul théâtre de l’action. Mieux que tout, la discrétion peut aussi conférer à l’œuvre politique toute son efficacité persuasive. Alors, que sait-on, des missions que Tidjane Thiam s’est assignées par rapport à toute cette embrouille politique ivoirienne, que savons-nous de sa mélodie sécrète ? Lui reproche-t-on d’être un homme de peu de mots ? Devrait-il crier son appartenance à une formation politique, clamer son engagement, sa démarche, son approche de la lutte, sa vision du combat ? Ceci n’est pas nécessaire.

Et puis, la vérité, c’est que Tidjane Thiam, n’a pas été si absent que cela en Côte d’ivoire. On se rappelle bien qu’après des études qui lui ouvraient les portes de grandes entreprises internationales, telles que McKinsey, Goldman Sachs, avec des conditions financières sans commune mesure, le jeune polytechnicien de 31 ans a fait le choix de revenir en Côte d’ivoire en 1993, année de toutes les incertitudes après la mort d’Houphouët Boigny, avec une transition politique des plus aléatoires et une dévaluation considérable du franc CFA. Par ailleurs, ses actes citoyens s’étendent à l’infini avec, notamment, les douze piliers de l’éléphant d’Afrique dont l’actuel troisième pont et bien d’autres conceptions d’envergure dont certains politiques s’offrent, éhontément et sans douleur morale, la paternité aujourd’hui.

Thiam a dû, en 1999, sous la menace de fusils, partir de ce pays où la valeur d’une personne, comme aujourd’hui encore, se mesure à sa dextérité à manipuler des armes. Ce pays où prévaut désormais une morale à géométrie variable : Il y a ceux qui peuvent impunément enfreindre la loi, violer même la norme fondamentale et les autres qui ont l’obligation de la respecter ; ce pseudo-Etat où la force fait droit.

Peut-on, cependant, feindre d’ignorer les nombreuses réalisations à l’actif de Tidjane Thiam (14 lycées construits sur financement Bad en 1994, des milliers de classes d’écoles primaires) et, surtout, le lancement des premiers BOOT en Afrique sub-saharienne (l’Aéroport d’Abidjan, Ciprel I et II, la centrale thermique d’Azito) ?

Au-delà, il n’est pas vain de rappeler que toute la Côte d’ivoire a éprouvé la légitime fierté de voir un de ses fils, Tidjane Thiam, premier noir de l’histoire à être admis comme CEO du FTSE, (Indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées cotées à la Bourse de Londres).

Devrait-on omettre de rappeler que Tidjane Thiam a été l’un des membres influents de la Commission Blair qui a conduit les accords de Glen Eagles dans le cadre de la lutte contre l'apartheid. Peut-on oublier que c’est la campagne qu’il a menée avec les irlandais Bob Geldof et Paul David Hewson dit Bono qui a consacré les remises de dettes dont la Côte d’ivoire a tiré largement profit ? Conseiller de plusieurs chefs d’Etat africains, créateur, avec d’autres sommités mondiales, de l’Africa Progress Panel, Thiam a travaillé, dix années durant avec Kofi Annan, à produire un rapport annuel sur l’état financier et social de l’Afrique, aidant ainsi les pays du continent à la décision. Les médias londoniens, américains, ghanéens et français s’en sont largement fait l’échos.

Ces vérités devraient assigner au silence ceux qui lancent péremptoire : « Tidjane Thiam se tourne afin vers son pays parce que viré du Crédit suisse ». Est-il besoin de dire que l’ex-patron de la banque helvétique perçoit toujours, selon le quotidien « The Financial », son traitement. La presse française nous rapporte aussi que l’ivoirien a réfusé le poste de ministre des finances de la France que lui proposait Emmanuel Macron. Existe-t-il meilleure preuve d’attachement à son pays ? Ne serait-il pas superflu de préciser que Thiam vient d’être nommé administrateur et Président du comité d’audit de Kering, un des groupes aux marques les plus prestigieuses au monde ? Notons également que, pour sa part, Donald Trump, soutient le « New York Times », ne s’est jamais trompé sur la mesure de Thiam. Bref ! On comprend aisément que le message de Tidjane à ses compatriotes ne peut, raisonnablement, pas être perçu comme « l’appel de pied d’un opportuniste, attendant que le pouvoir lui tombe entre les mains ».

En réalité, ce message se veut, tel que le dit Tidjane lui-même, « un appel au dialogue, un encouragement à trouver dans nos valeurs éternelles de paix, d’union et de tolérance, la force et la détermination nécessaires pour relever les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. » Il ne s’agit, ni plus, ni moins que d’une exhortation, précise-t-il encore, « à bâtir une Côte d’ivoire réconciliée et fraternelle pour tous », à construire ce pays par une mécanique qui n’exclut pas, ni n’excommunie, mais qui tolère, rassemble et fédère. Cela semble pourtant bien correspondre à la sagesse d’Houphouët Boigny dont certains politiques se réclament faussement aujourd’hui. Thiam nous rappelle que tout Etat est porté par une dialectique qu’il essaie de résoudre plus ou moins durablement entre unité et diversité. Les communautarismes nous font sombrer dans la psychorigidité. Nous devons appréhender nos différences comme une source de richesse humaine et adopter une nouvelle approche des réalités du monde ». Maintenant, ce message s’assimile-t-il à un discours à la nation, ou est-il autre chose ? Il faut abandonner ce débat, au risque de philosopher inutilement car, établir les limites entre une adresse à la nation, un discours adressé en toute liberté à des concitoyens dont on comprend et partage la douleur et un message fait sur les réseaux sociaux en direction d’une cible lambda, comme on en voit chaque jour en Côte d’ivoire, n’est pas une sinécure.

Cela dit, cette incitation à l’écoute et au dialogue cadre bien avec notre situation politique actuelle où un parti veut en imposer aux autres par la force physique. Entendons que la masse d’un peuple soumis incarne une force immensément plus grande que celle du tyran le plus sanguinaire. Allons donc au dialogue ! Cela nous éviterait bien des désagréments. Voilà ce que semble vouloir dire Tidjane Thiam.

Jean Clotaire Tétiali​