Vous êtes ici

Back to top

Russie : Qui est Arkadi Babtchenko, le journaliste dont l'assassinat a été mis en scène ?

apr-news/ Qui est Arkadi Babtchenko
Jeudi, 31 mai 2018

Russie : Qui est Arkadi Babtchenko, le journaliste dont l'assassinat a été mis en scène ?

APRNEWS- Ancien soldat pendant les guerres de Tchétchénie, il est devenu un correspondant de guerre réputé, auteur d'un livre de référence sur ces deux conflits meurtriers. Critique virulent de Vladimir Poutine et des guerres en Ukraine et en Syrie, réfugié à Kiev depuis plusieurs mois, il est passé pour mort pendant 24 heures.

Soldat, écrivain, correspondant de guerre, journaliste d'opposition... La vie d'Arkadi Babtchenko n'a pas manqué de rebondissements, mais c'est un nouveau chapitre rocambolesque qui s'est ouvert ces dernières heures: la mise en scène de son propre assassinat, qu'il a souvent dit craindre. Après être passé pour mort pendant moins de 24 heures, le journaliste est apparu à la surprise générale devant les caméras aux côtés des services de sécurité ukrainiens, qui ont assuré avoir trompé la presse et le public pour déjouer un assassinat commandité selon eux par la Russie.

Arkadi Babtchenko, 41 ans, se dit en danger depuis plusieurs mois. En quittant la Russie en février 2017, le journaliste très critique envers Vladimir Poutine dénonçait une «campagne effroyable» de «harcèlement» à son égard après qu'il eut publié un post Facebook polémique sur le crash d'un avion militaire russe en route vers la Syrie, fin 2016. Passé d'abord par la République tchèque puis par Israël avant de s'installer à Kiev comme d'autres journalistes russes d'opposition, le quadragénaire, reconnaissable à son crâne dégarni, sa barbe de trois jours et son éternel sourire sur les photos, disait avoir reçu des «milliers» de menaces.

Guerres de Tchétchénie

En Russie, Arkadi Babtchenko s'est d'abord fait connaître grâce à ses récits crus des deux sanglantes guerres de Tchétchénie, où il a participé en tant que soldat, jeune conscrit de 18 ans pour la première (1994-1996), volontaire pour la seconde (1999-2000). Dans un livre publié en France sous le nom de La couleur de la guerre, il raconte sans fard son expérience: la violence, les atrocités, l'alcoolisme, la faim, la corruption.

Après avoir quitté l'armée et un diplôme en droit international en poche, il commence à travailler comme correspondant de guerre pour des médias russes, dont le prestigieux journal Novaïa Gazeta, pour lequel il couvre le conflit-éclair entre la Russie et la Géorgie en 2008. Il couvre également, dans des articles remarqués en Ukraine, le soulèvement pro-européen du Maïdan à Kiev à l'hiver 2014, puis le conflit avec les séparatistes prorusses dans l'est de ce pays, où il dénonce le rôle de la Russie, appuyant la thèse de Kiev et des Occidentaux selon laquelle elle soutient militairement les rebelles, ce que Moscou a toujours démenti.

Résolument opposé à la politique du Kremlin, il fait entendre sa voix en critiquant régulièrement l'intervention à partir de 2015 de l'armée russe en Syrie, jusqu'au texte polémique qu'il diffuse sur les réseaux sociaux. Le 25 décembre 2016, 64 membres du très prestigieux Ensemble Alexandrov des Chœurs de l'Armée rouge mourraient dans un accident d'avion au-dessus de la Méditerranée près de Sotchi, suscitant une vive émotion en Russie. Mais dans une publication sur Facebook, Arkadi Babtchenko avait alors estimé qu'il n'avait pour eux «ni sympathie, ni pitié». 

Dans Le Guardian, qui qualifie aujourd'hui le journaliste de «courageux, controversé et contradicteur», ce dernier s'était défendu en déclarant qu'il souhaitait seulement rappeler que «la Russie bombardait indistinctement Alep». Ce message, dans lequel il qualifiait son pays d'«agresseur», lui avait valu un torrent de menaces et une pétition exigeant qu'il soit déchu de sa nationalité et expulsé. «Pour certains, exprimer cela sur Facebook, c'était un manque de patriotisme. Et ça a commencé», expliquait-il alors dans le quotidien britannique.

«Chanceux»

Disant à plusieurs reprises craindre pour sa vie, il quitte la Russie en 2017 avec sa famille. «Si quelqu'un jure de vous tuer, faites-lui confiance», écrit-il sur Facebook. «Arkadi connaissait la guerre, y ayant pris part, mais il y était toujours farouchement opposé. Voilà peut-être la raison de son départ de Russie: une haine farouche envers la guerre et ceux qui l'organisent», estime dans un éditorial paru au moment où les journalistes le pensaient mort, la rédaction du journal d'opposition russe Novaïa Gazeta, auquel il avait longtemps collaboré. «Totalement direct, totalement honnête. Un véritable artiste, un écrivain pour lequel il était plus important de se positionner que de simplement décrire ce qu'il se passe», expliquaient alors ses collègues, avant de poursuivre: «C'est le talent qui le portait vers l'avant. Le talent lui dictait les textes qu'il publiait».

En Ukraine, Arkadi Babtchenko animait depuis un an une émission sur la chaîne de télévision privée ATR, porte-voix de la communauté des Tatars de Crimée, fermée l'an dernier par les autorités dans cette péninsule annexée par Moscou en 2014. Le jour de sa «fausse mort» mardi, il relatait sur Facebook un épisode survenu il y a tout juste quatre ans: un général ukrainien lui refuse le droit de grimper à bord d'un hélicoptère au début de la guerre avec les séparatistes dans l'Est, en 2014. 

L'hélicoptère a ensuite été abattu, faisant 14 morts. «J'ai été chanceux», écrivait-il. «J'ai promis de mourir à 96 ans, après avoir dansé sur la tombe de Poutine (...), et je vais essayer de le faire», a écrit mercredi soir le critique du Kremlin, dans son premier message sur Twitter après sa réapparition en public.

Source : Le Figaro