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Quels vins buvaient les grands de ce monde?

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Lundi, 4 janvier 2021

Quels vins buvaient les grands de ce monde?

Patrice de Moncan, auteur de livres historiques consacrés à Paris, et Debra Finerman, écrivaine américaine et journaliste, diplômée du Wine & Spirit Education Trust au Château de Pommard ont exploré documents, archives et récits intimes pour inventorier ce qu'il y avait dans les verres de Jeanne d'Arc, de Rabelais, de Léonard de Vinci, de Louis XIV, de Napoléon Ier, de Thomas Jefferson, président des États-Unis, de Louis Pasteur, de Winston Churchill, de la reine Elizabeth II, de Charles de Gaulle, de Curnonsky, de Jacques Chirac et d'Emmanuel Macron.

Ce sont de sérieux œnophiles, des connaisseurs aux papilles savantes dotés d'une vraie générosité à table. Cet ouvrage illustré d'une notable clarté met en lumière des choix de bouteilles, de flacons rares aux effluves envoûtantes qui suscitent désir et envie. «Un bon vin, c'est du génie», disait Charles Baudelaire.

Jeanne d'Arc (1412-1431)

Dans le récit authentique de Maître Favier, parent de l'évêque Pierre Cauchon, Jeanne aurait versé dans le verre de Charles VII lors de son couronnement le vrai breuvage du Roy de France: les vins des campagnes situées entre Épernay et Reims, le champagne de couleur rouge. Ce vin des coteaux champenois sera pendant des siècles le breuvage des sacres royaux à Reims. Le rituel va perdurer jusqu'au couronnement de Charles V en 1364.

François Rabelais (1494-1553)

La famille de l'écrivain humaniste et médecin était propriétaire d'un vignoble à Chinon, Le Clos de l'Écho. «Boire est le propre de l'homme, du vin bon et frais et près de 200.000 bouteilles éclusées, c'est ce qu'il y a de plus civilisé au monde», d'après les écrits de l'auteur de Pantagruel et du Traité du bon usage du vin (1532). Le personnage de Rabelais a beaucoup contribué à l'essor du Chinon blanc et rouge.

William Shakespeare (1564-1616)

À l'époque de la reine Elizabeth I on boit du Sock, un vin doux fortifiant apparenté au brandy, une sorte de Jerez qui apparaît dans La Mégère apprivoisée. Tout comme le Madère cité dans Richard III du grand Will.

Louis XIV (1638-1715)

Le Roi-Soleil a eu une réelle dilection pour le vin des Riceys, un rosé au goût de cerise dont la récolte viticole est réservée pour la table royale. Ce vin de Champagne tranquille est non pétillant, c'est ce qui fait sa rareté: une AOC pour connaisseurs qui le recherchent pour leurs caves. L'histoire raconte aussi que Louis XIV buvait du rouge de Bourgogne de la région de Nuits-Saint-Georges prescrit par Fagon, son médecin, dont le nom a été donné à une rue de la fameuse commune viticole bourguignonne.

Léonard de Vinci (1452-1519)

Le grand peintre de la Renaissance, génie universel, nomme le vin «la divine liqueur de raisin». Le duc de Milan, Ludovico Sforza, lui offre un vignoble en guise de rémunération du fameux tableau La Cène. Hélas, la vigne incluse dans le cru de San Vittore a été détruite en 1943. En 2015, un groupe d'œnologues locaux a entrepris de replanter quelques hectares du terroir italien. Que deviendra le vin de Léonard dans les années à venir?

Bonaparte n'a pas 20 ans quand il découvre en Bourgogne le cru de Chambertin. Ce sera la vin de sa vie qu'il boit coupé d'eau et chambré: une demi-bouteille par repas. Il s'en fait servir à la guerre en Russie où son aide de camp le conserve sur sa poitrine à bonne température. L'empereur s'est lié d'amitié avec Claude Moët, son compagnon à l'école de Brienne. Le champagne Moët & Chandon produit un brut impérial distribué dans cent pays. La haute figure de l'empereur a accompagné la formidable réussite de la marque d'Épernay dont la qualité est constante en dépit de la quantité des vins à bulles produits chaque année.

Thomas Jefferson (1743-1826)

Futur président des États-Unis de 1801 à 1809, ce grand Américain arrive en France comme ministre plénipotentiaire et visite les principales régions viticoles: les Côtes du Rhône, la Provence, le Languedoc… Mais c'est à Bordeaux que cet excellent dégustateur entreprend de classer les plus grands crus: Margaux, Latour, Haut-Brion et Lafite, les seconds Rauzan-Ségla, Las Cases, Gruaud Larose et Kirwan.

C'est le premier expert du monde de la dive bouteille, un goûteur de génie et un acheteur sur place de centaines de caisses du Château d'Yquem en particulier. Le classement de Julien et celui de 1855 sont bien postérieurs au splendide travail d'analyse de Thomas Jefferson qui a laissé son nom dans l'histoire.

Le pionnier de la microbiologie qui a découvert le vaccin contre la rage reçoit de Napoléon III la commande d'une étude sur les maladies des vins effectuée à partir des vins d'Arbois, sa région natale. En 1866, il publie son ouvrage et, plus tard, il tombe malade et c'est le champagne glacé qui le guérit. «Le vin est un breuvage sain. Un repas sans vin est un jour sans soleil.» La vigne de Pasteur, Le Clos des Rosières à Arbois, est la propriété de l'Académie des Sciences: 2.000 bouteilles produites par an.

Le Premier ministre a élu le champagne Pol-Roger dès 1906, c'est son vin quotidien. Il en boit même sur le champ de bataille, on le voit aux côtés d'Odette Pol-Roger qui lui expédie des caisses de brut à la moustille perlante. Pour la marque familiale d'Épernay, Sir Winston a été un constant promoteur des vins champenois et les Pol-Roger s'en sont félicités. Mieux, en 1984, la maison met sur le marché la Grande Cuvée Winston Churchill d'excellente réputation. Elle fait un tabac en Grande-Bretagne dans la haute restauration et à la table d'Elizabeth II. Pas facile à trouver en France.

Pour le choix et le service des vins au cours des dîners et banquets officiels, Sa Majesté s'en remet au master cellar, au chef de cave qui fait déboucher les flacons des vins français de très bonne provenance. C'est le wine merchant de Londres, Berry Brothers & Rudd, qui recommande les crus prêts à boire, à point. L'ordre des flacons, champagnes, vins blancs, rouges, vins de dessert sont inscrits sur les menus en face des plats. Tout cela est très classique, la reine préside le repas où l'on sert le champagne. Lequel?

Au palais de Buckingham, le choix du champagne repose sur la règle des fournisseurs de la reine choisis par son secrétariat privé qui agit en connaissance de cause. La reine dispose d'un centaine de purveyors of the queen pour sa garde-robe, ses bijoux, ses parfums, ses bagues, ses voitures et ses champagnes que l'on sert à table. Huit marques sont conseillées, pas plus: Moët & Chandon, Krug, Mumm, Clicquot, Lanson, Pol-Roger, Roederer, Charles Heidsieck. Selon la qualité des vins et leur apogée, le master cellar sélectionne le champagne prêt à boire. Il est inscrit sur les menus officiels.

Charles de Gaulle (1890-1970)

D'après les auteurs du livre cité, le général de brigade fait servir du beaujolais à la Boisserie, sa maison de campagne à Colombey-les-Deux-Églises achetée en viager. Charles de Gaulle boit du champagne Drappier dont la maison, les bâtiments et le cuvier sont situés à Urville, un village viticole distant d'une dizaine de kilomètres de chez lui. De sa fenêtre, le grand Charles aperçoit les vignes Drappier.

C'est le colonel de Bonneval qui procède aux commandes et au règlement financier. Le champagne est proposé au dessert, à l'apéritif c'est du muscat avant de passer à table. Jamais le champagne Drappier ne fut servi à l'Élysée, l'intendant et le sommelier n'en n'ont pas reçu l'ordre. Depuis, Michel Drappier a lancé une cuvée Charles de Gaulle pour le cinquantième anniversaire de sa disparition. Coupait-il de grands crus de Bordeaux genre Haut-Brion d'eau fraîche comme Napoléon son Chambertin? Des historiens l'ont rapporté. Le champagne est servi au dessert.

Charles de Gaulle.

Curnonsky (1872-1956)

Élu prince des gastronomes en 1927 par 5.000 gourmets et grands chefs, l'écrivain de table, auteur d'un «guide de la France gastronomique» (vingt-huit volumes publiés) a distingué cinq vins blancs comme étant les meilleurs du monde. Ce sont le Château d'Yquem, le Montrachet, le Château Chalon (Jura), le Château Grillet (Rhône Nord) et la Coulée de Serrant (Anjou). Hélas, pas de Dom Pérignon, de Cristal ni de Krug. Le vin de Champagne n'est pas encore à la mode.

Jacques Chirac (1932-2019)

«On l'a vu boire de la bière pour la soif, mais il appréciait les vins de Bordeaux», indique Jean-François Janoueix, à la tête d'une dizaine de crus girondins. Le président a indiqué dans les années 1980 que la cave de l'Élysée recelait pour 250.000 euros de bons flacons. Lors d'un dîner amical, Il a invité des compagnons qui remarquent sur la cheminée une bouteille de Beychevelle et une de Palmer qui tentaient l'un des convives. Il s'en ouvrit au président qui resta fidèle à sa bière étrangère.

Emmanuel Macron (1977-)

À l'Élysée, le président fait servir des vins aux deux repas. Il s'y connaît en œnologie: «Un repas doit être arrosé, pas seulement pour la soif.» Lors d'une dégustation à l'aveugle filmée pour le magazine Terre de Vins, il a identifié deux flacons: un Entre-Deux Mers blanc 2015 et un rosé de Vignelaure 2015.

Dans ses préférences, le président retient des Bordeaux bien nés comme le Château Chasse-Spleen, Duhart-Milon, Roc de Cambes. Aussi, le Bandol rouge jugé excellent et les vins de Corse.

«Une table sans vin est triste, le vin égaye le repas et c'est ce qui révèle un plat. Les plus grands crus de la France viticole dont le Château Latour, Dom Pérignon qui appartient à Talleyrand en 1802 sont offerts à l'Élysée, prêts à savourer et décantés. Tant que je serai président, il n'y aura pas d'amendement pour durcir la loi Évin.»

Slate.fr