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Pour Dr Sali Bakari "les tchadiens se regardent en élément appartenant à des communautés "

Aprnews - Idriss Deby Itno - Dr Sali Bakari - Entretien - Actualité - Tchad
Mercredi, 7 juillet 2021

Pour Dr Sali Bakari "les tchadiens se regardent en élément appartenant à des communautés "

ENTRETIEN- Après le décès du maréchal Idriss Deby Itno, les Tchadiens s’accordent sur l’organisation urgente d’un dialogue inclusif pour décider de la destinée du Tchad. Dr Sali Bakari, historien, spécialiste de la paix et de la sécurité dans le bassin du Lac Tchad analyse la nature et l’importance d’une telle assise.

Depuis quelque temps, surtout après la mort du président Idriss Deby, la majorité des forces vives de la nation appellent à l’organisation d’un dialogue national inclusif. Pourquoi un tel engouement ?

C’est un engouement qui s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, nous sommes dans une phase transitoire et les Tchadiens d’une manière générale savent que la transition est là juste pour une certaine période avec ses trois objectifs : gérer les affaires courantes ; organiser un cadre de dialogue et organiser des élections. Tous les Tchadiens sont conscients que le pays traverse une crise et l’on pense que le forum peut être un cadre idéal pour discuter des problèmes et proposer des solutions devant faire face à ces problèmes.

Ce besoin pressant de dialogue n’est-t-il pas révélateur des déchirures profondes entre les Tchadiens ?

Déchirure c’est parce que nous sommes un pays qui a connu la guerre. Il y a des conflits à toutes les échelles de la société tchadienne. Nous sommes un pays qui a connu la crise qui remonte aux années antérieures et dont la dernière date d’avril 2021. Ça veut dire que le Tchad n’a connu que la crise durant toute sa trajectoire et durant toute sa dynamique politique. C’est un pays en situation de post-conflit et ce genre de pays porte toujours les germes de la conflictualité. Donc au lieu de déchirure, je préfère parler des facteurs de la conflictualité que si on ne les résout pas, ils peuvent être générateurs d’une nouvelle crise.

Quels seraient les axes et points prioritaires sur lesquels il faudrait dialoguer ?

Il y en a beaucoup. D’abord la question de l’armée nationale tchadienne. L’armée constitue 30 à 40% du budget de l’Etat tchadien. Et cela s’explique par un impératif de paix et de sécurité. Les officiels vous diront qu’au nom de la défense des institutions de l’Etat, nous sommes obligés de nous armer, nous sommes obligés d’affecter des sommes colossales à l’armée. Alors, pour quelqu’un qui n’est pas du système, il ne comprend pas. Pour les intellectuels ou pour la société civile, ils ont un autre discours. Pour eux, c’est l’école, l’éducation, la santé, les infrastructures. A ce niveau, il y a un dilemme qui se pose : est-ce qu’il faut s’armer ? est-ce qu’il faut se développer ? donc la question de l’armée est importante, la question de la justice, le mandat du futur président, les conflits agriculteurs-éleveurs…franchement les axes, il y en a beaucoup.

Le dialogue au Tchad se fait toujours entre les élites et les résolutions qui en découlent ne prennent généralement pas corps. Quel modèle de dialogue pour déboucher sur des résolutions concrètes et applicables ?

Je ne pense pas que le problème soit orienté sur le modèle de dialogue. C’est peut-être le profil des gens qui prendront part à ce dialogue qui est intéressant. Il faut que les participants à ce dialogue soient des gens qui seront à la hauteur des questions qui seront abordées. C’est vrai, le CMT, les partis politiques, la société civile vont apporter leurs représentants mais il faut que les représentants de ces pôles soient des personnes qui auront une certaine expertise pour aborder ces questions de manière à ce que les solutions qu’ils proposent soient des solutions idoines pour qu’on ne retombe encore dans des erreurs puisqu’il s’agit de l’avenir du pays. Aussi, le problème qui se pose davantage dans ce genre de forum, c’est celui de la représentativité. D’aucuns diront qu’on n’est pas représenté et on privilégié plutôt les tels. Je pense que cette fois-ci, que les organisateurs du forum prennent aussi en compte cet aspect. Il faut que tout le monde soit représenté au cours de ce forum.  

Quelles pistes de solutions proposeriez-vous pour permettre un changement de comportement et des attitudes des Tchadiens afin de promouvoir la tolérance et l’ouverture ?

Nous sommes dans une société où il y a deux catégories des personnes. Il y a les intolérants et les intolérés. C’est-à-dire ceux qui ne sont pas tolérants et ceux qui ne sont pas tolérés. Et cela s’explique par une dynamique politique tumultueuse que le pays a connu dont l’une des conséquences est la propagation de la culture de la violence. La violence est partout dans notre société. Une telle situation ne peut être éradiquée que par l’éducation parce que la violence est née dans les esprits des gens, pour résoudre ce problème, il faut vraiment une bonne formation axée sur la citoyenneté, sur le dialogue, sur la tolérance. En plus de cela, il faut multiplier les cadres de rencontre entre les citoyens tchadiens. Parce que les Tchadiens ne se regardent pas en citoyens, ils se regardent en éléments appartenant à des communautés. Or les communautés ont ce qu’on appelle une espèce d’image et de représentativité. C’est-à-dire telle communauté à telle image de telle communauté et vice-versa. On est pris en otage par des logiques communautaires et communautaristes. Et ça, ça va dans le sens contraire de la nation.

Quelles seraient les conditions nécessaires à une paix durable ?

[Réflexion] il faut la bonne gouvernance et sous-jacent à cette bonne gouvernance, il faut respecter les principes démocratiques, les principes des libertés fondamentales, les droits de l’homme. Il faut la justice. Ce sont les conditions sine qua non de la paix durable. Ça c’est l’aspect purement politique. A côté de ça, il faut que les citoyens mangent ; ils doivent être logés, vêtus, formés, soignés ; ils doivent circuler. Ce sont les deux qui feront qu’il n’y aura pas la guerre dans ce pays.

Un mot de fin ?

En tant que Tchadiens, on est fatigué de la guerre. [Rire] Moi j’étais réfugié, mes enfants étaient réfugiés en 2008. Écoutez, on n’est pas la Palestine, c’est l’Afrique centrale. Franchement, il faut tout faire pour que ce pays ne retombe plus dans la guerre.

Aprnews avec Tchadinfos