Dans l’écosystème du football mondial dominé par les nations européennes, Patrice Motsepe est arrivé à la tête de la Confédération africaine de football (CAF) confiant dans ses chances de pousser le continent vers des sommets inespérés. Pour le premier milliardaire noir d’Afrique du Sud, le retard de l’Afrique n’est pas un problème. Pour le premier associé noir d’un cabinet d’avocats sud-africain, les pays du continent pourront bientôt s’inviter à la table des plus grandes nations du football.

L’annonce de la candidature de Patrice Motsepe à la tête de la CAF avait été accueillie avec scepticisme par la grande majorité des membres de la Confédération. Que venait donc faire ce milliardaire sud-africain dans un secteur si éloigné de ses occupations quotidiennes touchant aux mines et à la finance ?

On a alors soupçonné Patrice Motsepe d’être envoyé par la FIFA. 

A tout ce beau monde, l’intéressé répond d’abord que son désir est guidé par un cri du cœur. Quelques semaines plus tard, son élection et ses circonstances ont laissé penser qu’il serait peut-être un envoyé de la FIFA à la CAF. Seulement, Patrice Motsepe n’est pas réellement le genre de personnes qu’on peut manipuler à sa guise.

Arrivé comme un cheveu sur la soupe

L’unité affichée par la CAF ces derniers mois contraste énormément avec les premières réactions suscitées par la candidature du milliardaire sud-africain à la tête de l’instance faîtière du football africain. Dire qu’il n’était ni attendu ni désiré par certains, relève de l’euphémisme. Pas besoin de savoir lire dans une boule de cristal pour remarquer que des concurrents comme l’Ivoirien Jacques Anouma et le Sénégalais Augustin Senghor n’ont pas accueilli d’un bon œil une candidature qu’ils semblaient considérer comme « pilotée par la FIFA ».

L’Ivoirien Jacques Anouma et le Sénégalais Augustin Senghor n’ont pas accueilli d’un bon œil une candidature qu’ils semblaient considérer comme « pilotée par la FIFA ». 

En effet, la seule chose reliant Patrice Motsepe au football était, jusque-là, le fait qu’il soit propriétaire du club sud-africain des Mamelodi Sundowns, vainqueur de la Ligue des champions africaine en 2016.

Il est propriétaire du club sud-africain des Mamelodi Sundowns. 

Selon toute vraisemblance, ses activités ne lui permettaient pas d’accorder beaucoup de temps à la gestion de son club. Beaucoup l'imaginent donc très mal gérer le football sur tout le continent. Finalement, à Rabat, le 12 mars, tous les candidats se sont retirés, laissant Patrice Motsepe être élu par applaudissement. Si Gianni Infantino, président de la FIFA, et le nouveau patron de la CAF saluent la sagesse et le jeu d’équipe des prétendants au fauteuil de dirigeant, la pilule est passée plus difficilement qu’il n'y paraît.

Patrice Motsepe est finalement élu par applaudissement.

Le consensus a été suggéré par la FIFA, une situation, « pas trop démocratique », selon Jacques Anouma. Quelques semaines plus tard, la grogne s’est tue, l’institution faîtière du football africain a repris son fonctionnement normal, et chose surprenante, Patrice Motsepe n’a pas tardé à afficher ses positions sur de nombreux sujets. Il s’est notamment opposé à la proposition de la FIFA d’organiser la Coupe d’Afrique des nations tous les 4 ans, un choix qui a étonné, notamment du côté de ceux qui soupçonnent une collusion entre la FIFA et le Sud-Africain. La réalité est que Patrice Motsepe n’est pas vraiment le genre de personnes à se laisser dicter sa conduite. Une leçon qu’il a apprise de son père, en plein apartheid.

Un garçon des townships pas comme les autres

Patrice Motsepe est né dans le célèbre ghetto de Soweto en janvier 1962. Son père Augustine choisit son prénom en hommage à Patrice Lumumba, premier occupant de la fonction de Premier ministre en RDC et dont les idéaux, notamment en matière de liberté individuelle, ont marqué Augustine Motsepe. Opposé au régime de l’apartheid, ce dernier avait été banni et envoyé à Soweto à cause de l’expression publique de son désaccord avec la ségrégation raciale systémique mise en place en Afrique du Sud.

Opposé au régime de l’apartheid, ce dernier avait été banni et envoyé à Soweto à cause de l’expression publique de son désaccord avec la ségrégation raciale systémique mise en place en Afrique du Sud.

Descendant d'une famille princière d'un clan de la tribu Tswana, une des plus grandes minorités noires de l'Afrique du Sud, il a mis un point d’honneur à enseigner la fierté à ses enfants et à leur montrer qu’aucune barrière n’est infranchissable.

Propriétaire d’une spaza shop, un kiosque servant à la fois d’épicerie et de débit de boisson, près de Pretoria, Augustine Motsepe réussit à offrir à ses enfants un train de vie différent de celui des autres familles du township de Soweto. Ainsi pour de nombreux enfants du ghetto, Patrice Motsepe est né avec une cuiller d’argent dans la bouche. Lui et ses frères effectuent leurs études primaires dans un établissement privé catholique du Cap-Ouest, ce qui est rare à Soweto. Après ses études secondaires, Patrice Motsepe part au Swaziland, actuel Eswatini, où il obtient une licence en arts. Finalement, il décide de revenir en Afrique du Sud pour étudier le droit des affaires et le droit minier. Il obtient pour cela une dérogation pour intégrer l’université de Witwatersrand, traditionnellement réservée aux Blancs.

Premier milliardaire noir d’Afrique du Sud

Au terme de ses études, Patrice Motsepe, diplômé en droit minier et droit des affaires, intègre le cabinet d’avocats Bowman Gilfillan en 1988. En 1993, après l’abolition de l’apartheid, il devient le premier associé noir d’un cabinet d’avocat en Afrique du Sud.

Il crée le premier groupe minier appartenant à un Sud-Africain noir.

Il crée quelques mois plus tard « Future Mining », une entreprise qui collecte de la poussière d'or dans les puits aurifères intérieurs. La période, marquée par une discrimination positive en faveur des entreprises détenues par des Noirs en Afrique du Sud, est favorable. La loi dite du Black Economic Empowerment (BEE) aide Patrice Motsepe à rapidement réaliser d'importants profits.

La période, marquée par une discrimination positive en faveur des entreprises détenues par des Noirs en Afrique du Sud, est favorable. La loi dite du Black Economic Empowerment (BEE) aide Patrice Motsepe à rapidement réaliser d'importants profits.

Grâce à ces revenus, lorsque le prix des métaux précieux chute, en 1997, il achète de nombreuses mines d'or. Il lance ensuite African Rainbow Minerals Gold Limited, le premier groupe minier appartenant à un Sud-Africain noir. Le groupe extrait du cobalt, du nickel, du fer, du cuivre et du charbon, et à la faveur de la mise en place de BEE, Patrice se bâtit un véritable empire. Quelques années plus tard, il acquiert 20% de participation au sein de Harmony Gold, à l’époque 12e plus importante société minière aurifère au monde, dont trois exploitations se trouvent en Afrique du Sud. Ses revenus explosent et lui permettent plusieurs acquisitions telles que le club de football Mamelodi Sundowns. Il acquiert également une participation de 37% dans l'équipe de rugby la plus titrée du pays, les Bulls de Pretoria. Très vite, il devient le premier milliardaire noir de la nation arc-en-ciel. Sa fortune est aujourd’hui estimée à 3,2 milliards de dollars.

Des pépites aux ballons, un grand écart improbable

Pour beaucoup, la raison ayant poussé le milliardaire à s’intéresser au football est encore obscure. L’intéressé leur donne un début de réponse en interview lorsqu’il aborde sa passion pour le football. « J’aime tout simplement le football. C’est un amour stupide et déraisonnable », assure-t-il. Assez pour s’éloigner radicalement de ses domaines d’activité de prédilection ? Pas selon les détracteurs de sa candidature qui voient en lui un nouvel agent de la FIFA qui a soutenu sa candidature. Malgré tout, la passion du nouveau patron de la CAF pour le football africain est palpable lorsqu’il déclare « qu’une équipe africaine doit gagner la Coupe du monde dans un avenir proche ».

« Tout mon temps a été consacré à des réunions avec des sponsors potentiels, des partenaires et diverses autres parties prenantes avec lesquelles nous devons travailler ».

Il avait, après son élection, fait la promesse de régler prioritairement le problème des droits TV des compétitions de la CAF. En 2019, la CAF avait annulé son accord sur les droits médias et marketing avec le français Lagardère Sports and Entertainment. Depuis, les matchs de qualification de la Coupe d'Afrique des nations, de la Ligue africaine des champions et de la Coupe de la Confédération n'ont plus été diffusés, excepté par les chaînes locales qui rendent disponibles sur leur territoire les matchs des équipes nationales.

« Une équipe africaine doit gagner la Coupe du monde dans un avenir proche. »

« L'Afrique dépense beaucoup d'argent pour regarder le football européen et doit obtenir plus de revenus de la vente des droits TV [...] en Afrique du Sud, d'énormes budgets sont consacrés à la diffusion du football européen, ce qui est formidable, mais l'Europe doit investir autant d'argent dans le football africain », avait déclaré Patrice Motsepe en mars 2021. Mais quelques semaines plus tard, il a pris la mesure des réelles difficultés posées par ce casse-tête des droits TV. « Tout mon temps a été consacré à des réunions avec des sponsors potentiels, des partenaires et diverses autres parties prenantes avec lesquelles nous devons travailler. Toutes les parties prenantes ont souligné les batailles judiciaires en cours. Leur réponse a été la suivante : "nettoyez d'abord votre maison avant de nous demander de faire des affaires avec vous" », a-t-il récemment déclaré avouant n’avoir pas encore trouvé de solution pour les droits TV. Finalement, la tâche pourrait être plus compliquée que prévu.

Aprnews avec Agence ecofin