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Me Antoine Vey : « Twitter est complice de délits »

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Mercredi, 3 février 2021

Me Antoine Vey : « Twitter est complice de délits »

Le réseau social est poursuivi pour son manque de coopération en matière de haine en ligne. De ce fait, plusieurs plaintes ont été classées sans suite.

 

Le 28 janvier, Mes Antoine Vey et Éric Morain ont adressé une citation à comparaître à Twitter, pour trois clients qu'ils représentent. Tous victimes de terrorisme par le passé, ils ont décidé de porter plainte après avoir fait l'objet de menaces sur le réseau social. Leur plainte a cependant été classée sans suite par le parquet de Paris et Twitter est aujourd'hui tenu pour responsable du classement, dans la mesure où il n'a pas répondu aux requêtes judiciaires visant à identifier les auteurs des menaces.

Cette assignation, pour « refus de déférer à une demande d'une autorité judiciaire » et « complicité des délits d'injure publique », a été adressée pour le compte d'une rescapée de l'attaque contre le Bataclan, Aurélia Gilbert, le père d'une victime de l'attentat, Georges Salines, et par l'ancien journaliste Nicolas Hénin, otage en 2013 du groupe État islamique. Tous les trois ont été ciblés par une vague de harcèlement après avoir pris position en faveur du rapatriement des enfants de djihadistes français retenus en Syrie. Faute de réponse de Twitter à ses requêtes, le parquet de Paris a successivement classé leurs plaintes au cours de l'année 2020, pour cause « d'auteurs inconnus ». Me Vey donne les détails de cette assignation au Point.

Le Point : Quel est exactement l'objet de la citation à comparaître ?


L'avocat Antoine Vey.© JOEL SAGET / AFP

Antoine Vey : Il y a trois plaignants, qui sont des victimes directes ou indirectes du Bataclan. Ces trois victimes ont un compte Twitter et ont toutes les trois fait l'objet de propos haineux, injurieux, voire de menaces de la part d'utilisateurs de Twitter. Un de mes clients, Georges Salines, qui a perdu sa fille au Bataclan, a par exemple reçu un message lui disant qu'il était un collabo, et « qu'on savait ce qu'on faisait avec les collabos », « qu'on leur mettait une balle dans la tête ». Après cela, comme toute personne qui fait l'objet d'injures ou de menaces, ils ont tous les trois porté plainte auprès du parquet de Paris pour pouvoir identifier les auteurs des propos, les faire citer et obtenir réparation… ou du moins savoir de qui il s'agissait dans la mesure où les menaces sont très inquiétantes. Mais le parquet de Paris a classé sans suite les plaintes, au motif que Twitter n'avait pas répondu à la réquisition visant à identifier qui sont les auteurs des posts.

Nous attaquons donc Twitter sur deux points (avec son confrère MÉric Morain, NDLR) : le premier c'est de dire qu'ils offrent à ces messages – ainsi qu'aux gens qui menacent – un outil qui leur permet de commettre leur délit. En ce sens, ils en sont complices puisqu'ils offrent une assistance à des gens qui commettent des délits. Là-dessus, ils pourraient s'abriter derrière le fait que la loi dit qu'ils ne sont « qu'hébergeurs »… Sauf qu'un hébergeur a le devoir de modérer les propos, ce que Twitter n'a absolument pas fait. Deuxième point, on estime que Twitter, surtout dans des affaires aussi importantes, a le devoir de répondre aux réquisitions par le parquet et qu'en ne le faisant pas ils commettent une seconde infraction pénale. Nous les assignons donc sur ces deux volets : à la fois pour les faire condamner comme « complices » des auteurs des propos qu'ils diffusent et d'autre part pour espérer qu'un jour ils finissent par répondre aux demandes de l'autorité française.

Ne pas répondre aux injonctions de la justice, est-ce selon vous une politique délibérée de la part du réseau social ?

Il convient déjà de bien préciser le cadre, il peut y avoir des demandes qui émanent du fisc, des autorités administratives, des services de l'État… Chaque personne est libre de savoir si elle a le droit d'y répondre. Les réquisitions faites par le parquet de Paris dans le cadre d'une enquête, ce n'est normalement pas à la carte… Il y a un problème juridique qui est double : le premier, c'est que le parquet de Paris classe sans suite une procédure pour « défaut » dans la mesure où il n'est pas capable d'identifier lui-même les adresses des utilisateurs. Le deuxième, c'est que Twitter dissimule délibérément – ou du moins, protège – des gens qui ont commis des délits et qui devraient être poursuivis pour cela.

Quel avenir pour les plaintes de vos clients, classées sans suite ?

On pourrait se constituer partie civile sur ce point, mais si le juge d'instruction désigné obtient la même réponse (puisqu'il fera la même demande), cela ne sert strictement à rien. Suivre des procédures contre des gens qui sont non identifiés… alors que les seuls qui connaissent leur identité, c'est Twitter, mais qu'ils refusent de la donner… On est sur une question de principe importante. La liberté d'expression, c'est important, l'anonymat, pourquoi pas, mais le fait de commettre des crimes en toute impunité pose un vrai problème.

Que peut faire valoir Twitter lors de l'audience ?

Ils vont probablement faire valoir qu'ils sont hébergeurs, qu'ils ont tout fait comme il faut et que la responsabilité ne peut être engagée. Que s'ils ne répondent pas aux injonctions du procureur, c'est parce qu'ils appliquent les lois de l'État dans lequel ils se trouvent. Ce que nous cherchons au-delà de la condamnation, qui serait vraiment symbolique pour les victimes, c'est que Twitter modifie ce comportement.

On ne fait pas le procès de Twitter, on souligne simplement le fait que dans ce cadre spécifique rien ne justifie que Twitter laisse perdurer des propos menaçant et injurieux. Que dans ce cadre, Twitter ne remplit pas son rôle de modérateur et qu'il ne peut donc pas bénéficier de la protection d'un hébergeur classique. Dans le cas d'une coopération judiciaire, j'imagine que Twitter identifierait un terroriste par exemple. Ce qui me gêne, c'est qu'ils n'en font qu'à leur tête et ce n'est pas le principe de l'État de droit.

Twitter est souvent pointé du doigt pour ses manquements en termes de modération…

Personnellement, je n'avais jamais eu de personnes qui sont victimes de menaces et qui font l'objet de classements sans suite parce que la police se dit incapable de retrouver l'adresse des auteurs des menaces et qu'elle est incapable d'obtenir une réponse de Twitter qui est pourtant fort simple. Ça crée un bouclier pour que des personnes, en toute impunité, puissent en menacer d'autres. Et c'est un drôle de mécanisme.

Le point Afrique