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La poudrière ivoirienne

Aprnews - Poudrière Ivoirienne - Ouattara - Bédié - Affi N'Guessan - Gbagbo - Actualité - Cote d'Ivoire - FD Delafosse
Lundi, 19 octobre 2020

La poudrière ivoirienne

Tout le monde s’inquiète. A moins de trois semaines de l’élection présidentielle et alors que débute la campagne officielle, la Côte d’Ivoire apparaît déjà comme une poudrière.

Tandis que l’opposition appelle au boycott et à la désobéissance civile, les craintes d’une poussée de violences ont pris le pas sur le débat de fond au point que l’hypothèse d’un report du scrutin du 31 octobre est évoquée. En août, les quinze morts après l’annonce d’une nouvelle candidature de l’actuel président ont donné le ton. 

La plupart des pays d’Afrique occidentale comme les chancelleries redoutent un embrasement. Ces tensions, c’est aussi le ressenti de la commission ad hoc qui, avec des représentants des institutions africaines et de l’ONU, s’est rendue en Côte d’Ivoire début octobre. Elle s’est dite « extrêmement préoccupée » par le climat qui règne et a condamné « les discours de haine aux relents communautaires ». 

Quatre candidats  sur un total au départ de 44  s’affrontent, parmi lesquels Alassane Ouattara (78 ans), le président sortant, et l’un de ses prédécesseurs, Henri Konan Bédié (86 ans). Les candidatures de Guillaume Soro ancien premier ministre et de Laurent Gbagbo, ancien président, tous deux en exil, ont été refusées. Ce dernier, toute- fois, essaie par tous les moyens de peser dans le jeu politique.

Dix ans après leur premier affrontement, « ce sont sensiblement les mêmes personnes qui sont en lice mais dans des jeux d’alliances différents », résume Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris. La flambée de violences qui a suivi l’élection de 2010 et qui a fait 3.000 morts a durablement marqué les esprits. C’était lors de la première victoire d’Alassane Ouattara sur Laurent Gbagbo, son rival sortant. 

Les frustrations de la jeunesse

La volonté d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) de passer outre la Constitution en briguant un troisième mandat a été perçue par ses détracteurs comme un hold-up électoral. Il a renié sa parole donnée en mars où, face à la représentation nationale, il avait promis de laisser 

A moins d’un report de dernière minute, l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire du 31 octobre fait craindre de nouvelles violences dans un pays fracturé, mais aux résultats économiques pourtant flatteurs. L’absence de renouvellement générationnel de la classe politique du fait de la candidature de Ouattara est au cœur des tensions. 

Les points à retenir 

  • La volonté d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) de passer outre la Constitution en briguant un troisième mandat est perçue par ses détracteurs comme un hold-up électoral. •Derrière un bilan économique pourtant flatteur, le président sortant doit faire face à la grogne sociale et à l’impatience de tout un peuple.
  • Aux tensions s’ajoute le fameux clivage rémanent de l’identité ivoirienne, une question jamais réglée. 

La place à la jeune génération. Mais la disparition soudaine en juillet de son dauphin désigné et Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, a rebattu les cartes. ADO repart donc au combat, douchant une nouvelle fois les espoirs des plus jeunes d’accéder au pouvoir. « Alassane Ouattara a écarté les générations montantes. Aujourd’hui, elles se sentent flouées, car elles ont cru qu’en 2020 leur tour était arrivé », explique Richard Banégas, chercheur au Céri de Sciences po. 

L’onde de choc de la décision de Ouattara dépasse les frontières. Elle se place à contre-courant d’un mouvement où la plupart des pays d’Afrique veulent se montrer plus respectueux de l’Etat de droit. En passant outre la loi fondamentale, ADO risque de donner des idées à d’autres chefs d’Etat. Muhammadu Buhari, président du Nigeria et chef de file de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), a fait part ouvertement de sa désapprobation. 

Ouattara sûr de lui 

Sûr de lui, le président sortant pré- sente un bilan économique flatteur avec un taux de croissance moyen de 8 % depuis 2012. A présent, près de 8 Ivoiriens sur 10 ont accès à l’eau et à l’électricité contre respective- ment 55% et 33% en 2011.Le taux d’accès aux services de santé est passé en moins de dix ans de 44 %à 69 %. L’école est désormais gratuite et obligatoire de 6 à 16 ans. Mais derrière cette vitrine, saluée par les institutions internationales, il y a la grogne sociale et l’impatience de tout un peuple. 

Les taux de croissance élevés n’y font rien, le quotidien des Ivoiriens ne s’améliore pas ou très peu. Les témoignages dans les quartiers populaires font plutôt état d’une dégradation. Au fil des ans, le président-candidat n’a pas réussi à faire baisser le taux de pauvreté. La croissance est là, mais pas la redistribution. « Il construit des routes, des ponts et des immeubles à tour de bras. Mais pour la population, c’est une autre musique », explique une personne sur le terrain. S’ils réélisent Alassane Ouattara, les Ivoiriens savent que la nouvelle équipe main- tiendra le cap de la croissance et ils espèrent que la création de riches- ses finira par profiter à chacun. Dans un pays où l’espérance de vie 

Les tensions sont de plus en plus vives en Côte d’Ivoire à l’approche de l’élection présidentielle. n’est toujours que de 57 ans, mais où 77 % de la population a moins de 35 ans, les attentes sont fortes. Les jeunes, souvent désœuvrés, attendent d’un politique qu’il s’attaque aux problèmes fondamentaux de la société ivoirienne. 

A toutes ces tensions s’ajoute le fameux clivage rémanent de l’identité ivoirienne. Quelle que soit l’issue du scrutin, « les clivages demeureront, au sein de l’appareil sécuritaire et de la société, pour partie hérités de “la question de l’ivoirité” qui n’a jamais été vraiment réglée », souligne Richard Banégas

Ce concept identitaire a été imaginé par Henri Konan Bédié. Il stipule notamment qu’un individu, pour revendiquer son « ivoirité », doit notamment être né de parents ivoiriens appartenant à l’une des ethnies autochtones de la Côte d’Ivoire. Or, dans un pays où l’immigration a toujours été forte, il n’est pas toujours aisé de faire la preuve de ses origines. En outre, ce concept a été utilisé à des fins électoralistes, contre Alassane Ouattara et ses supposées origines burkinabées. Aujourd’hui et alors que les communautés étrangères représentent un tiers de la population, il faut que le président et l’opposition tranchent cette question et soldent leurs comptes.

Michel De Grandi @MdeGrandi Avec Les Echos