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Kenya : Umoja, Un village "masculin interdit"

Apr-News / Kenya : Umoja, Un village "masculin interdit"
Jeudi, 12 juillet 2018

Kenya : Umoja, Un village "masculin interdit"

APRNEWS - A quelques 380 km de Nairobi, la capitale kenyane, se dresse un village nommé « Umoja » qui signifie « l’unité » en swahili. Créé par des femmes fuyant les abus et violations commis par les hommes, ce village est un véritable refuge pour ces femmes, où elles apprennent à se reconstruire, mais aussi à faire entendre leur voix, dans une société où les femmes restent encore très marginalisées.

Entrée du village Umoja au Kénya

Umoja, est un village de la région du Samburu et est un lieu très prisé par les touristes mais pourtant exclusivement occupé par les femmes et donc, interdit aux hommes de la contrée. Avec une superficie d’environ deux hectares, il revêt une architecture traditionnelle avec des huttes en terre battue et bouse de vache, construites en cercle.

Véritable « No men’s land », Umoja a été créé en 1990 par une quinzaine de femmes toutes victimes d’abus sexuels, de violences et réclamant leurs droits. La plupart d’entre elles avaient été violées par des soldats britanniques dans les années 90. De retour au foyer, elles ont été battues et répudiées par leur mari pour avoir apporté la honte sur leur communauté. Depuis, Umoja est un lieu de refuge.

Un havre de paix, un refuge, une nouvelle vie

Elles se font appeler les Tumaï qui signifie « espoir de vie ». Cette communauté de femmes, bien que contestée par les hommes de la région, offre des solutions à ces femmes violées, abusées et sans repères, une option de nouveau départ. Depuis sa création, le village est considéré comme un refuge, il accueille des femmes qui fuient ou qui sont victimes de violences, de mutilations sexuelles ou encore de mariages forcés, pratiques encore très présentes dans la région. Rébecca Lolosoli, cheffe de la communauté et une des fondatrices de celle-ci, a interdit le droit de cité aux hommes. Elle s’insurge régulièrement contre le traitement que les hommes dans leurs villages, réservent aux femmes. « Chez nous, une femme n’a pas le droit de contester les dires d’un homme même s’il a tort. » précise Rébecca, choquée.

Groupe de femmes « Tumaï » d’Umoja, chantant et dansant

Véritable havre de paix, Umoja est un village où les femmes vivent pleinement leurindépendance vis-à-vis des hommes. Certains maris, probablement pris de remords mais surtout de solitude, reviennent pour tenter de récupérer leurs épouses. Mais se heurtent au refus de certaines d’entre elles. Autonomes, elles font tout elles-mêmes. La communauté gagne de l’argent grâce au tourisme. En effet, elles ont construit un centre culturel au sein du village, une boutique qui vend les créations locales et un camping. Avec l’argent récolté, elles peuvent subvenir à leurs besoins mais aussi scolariser les enfants. Elles y apprennent aussi leurs droits. « Nous apprenons aussi aux femmes à se respecter, à respecter leur corps […] Elles doivent comprendre qu’elles sont en droit de refuser un rapport sans devoir craindre d’être battues ou violées. » indique Rébecca.
Au sein de leur communauté, règne une démocratie 100%participative. Toutes les décisions susceptibles d’engager l’ensemble de la communauté sont débattues au sein d’une assemblée générale. Elle comprend toutes les femmes adultes. Pour entériner une décision, on procède à un vote à main levée. C’est une société très organisée et prospère. Ce qui attise la jalousie des hommes.

Une contestation masculine

Jaloux du succès d’Umoja, certains hommes ont construit un village « d’hommes » en face. Seulement ces derniers n’ont pas réussi à avoir le même prestige et la même réussite que leurs voisines d’en face. Ce qui naturellement attise la jalousie envers ces femmes qui pour eux ne respectent pas la coutume et la culture. Leur cheffe, Rébecca Lolosoli est devenue la cible privilégiée d’insultes et d’attaques d’hommes.
« L’homme est la tête et la femmes le cou. Or une tête ne peut pas demander au cou de donner son avis » proteste le chef du village masculin. Pour lui, Umoja et ses fondatrices, remettent en cause les fondements de la tradition.

Si les hommes n’ont pas droit de cité à Umoja, les relations charnelles ne sont pas pour autant proscrites. Chaque femme est libre d’entretenir une relation avec un homme à l’extérieur du cercle de la communauté. Une fois arrivés à l’âge adulte, les jeunes garçons issus de ces unions devront en revanche quitter d’eux-mêmes l’enceinte du village.

Mais il n’y a pas qu’avec les hommes que des dissensions sont perceptibles. Au sein même de la communauté, d’inévitables dissensions ont pu être observées.

Umoja, un modèle de société matriarcale

Femme d’Umoja en plein travail artisanal

Et pourtant le nom du village exclusivement féminin signifie « unité ». Mais cela n’a pas empêché que les avis divergent entre femmes. Dans la lignée d’Umoja, trois autres communautés de femmes ont été créées dans la région, entre continuité et rupture par rapport à leur premier modèle. Les hommes y sont ainsi parfois tolérés pour des travaux à l’intérieur du village, la répartition des tâches est asexuée ou inversée…
À environ 3 kilomètres d’Umoja, le village de Nang’ida a préféré le patronyme de « bonheur » à celui « d’unité ». Après la défection de leurs épouses, certains maris repentis ont pris le parti de supplier leurs femmes de revenir vivre avec eux. Un retour toléré… sous certaines conditions. Rose, la fondatrice de Nang’ida, reste inébranlable.« Ils peuvent revenir. Mais uniquement s’ils acceptent de vivre sous nos règles. Si j’ai envie de garder les bêtes, c’est à mon mari de s’occuper des enfants à la maison ».Dans ce village, on y voit des hommes préparer le repas ou encore garder les enfants tandis que les femmes gardent le bétail ou ramassent du bois. Une image presque impensable dans le système foncièrement patriarcal de l’ethnie Samburu.

Ces communautés de femmes, apparaissent comme les bases d’un féminisme kényan qui pourrait grandement impacter la société. Rappelons-le, selon un rapport de l’Agence des Etats-Unis pour le développementau Kenya, 45% de kényanes âgées de 15 à 50 ans, ont toutes au moins une fois, été sujettes à des violences physiques ou sexuelles de la part des hommes.

Avec NegroNews