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Interview de Thiam sur TV5 : Réponse à Isaac Bangoret

Aprnews-Interview de Thiam sur TV5 : Réponse à Isaac Bangoret -Jean Clotaire Tétiali - Actualité- Cote d'Ivoire
Mercredi, 2 septembre 2020

Interview de Thiam sur TV5 : Réponse à Isaac Bangoret

Dans une vidéo apparue ce mardi sur les réseaux sociaux, Isaac Pierre Bangoret, son auteur, s’est adonné à un exercice somme toute difficile : La critique ou le décryptage du discours ou encore appelé compréhension de texte. Son sujet : l’interview que Tidjane Thiam a accordée à « TV5 Monde », dimanche dernier. La dialectique de l’homme est complexe.

Il faut reconnaître que l’entreprise d’analyse de discours est, en soi, périlleuse ; l’exercice, en lui-même, redouté et difficile. Car, il requiert, pour être bien mené, la neutralité morale, l’objectivité, la rigueur cartésienne et la maîtrise des émotions.

Cela dit, examinons les propos de Bangoret à la lumière de la réalité politique ivoirienne actuelle et à l'aune de l’intervention de l’invité de la journaliste Denise Epoté.

D’entrée de jeu, Isaac Pierre lance péremptoire ou alors que rien ne nous y avait préparés : « Tidjane Thiam et Alassane Ouattara ne sont pas différents ». C’est alors que la suite du propos devient surprenante : « Thiam se présente comme le sauveur de la Côte d’ivoire, il n’anticipe pas la crise, il vient gérer le conflit ». Un peu plus loin, dans la même vidéo, l’adversaire de Tidjane déplore : « il attend que Ouattara viole la constitution, que des manifestants se mettent dans la rue, que les gens meurent pour nous dire, c’est grâce à moi, à mon carnet d’adresses que vos problèmes seront résolus ». De Thiam et de Ouattara, qui avait la responsabilité de l’anticipation de la crise ?

De toute évidence, le propos est en déphasage avec les dires de Tidjane Thiam, en tout cas ceux rapportés par Tv5 et que tous avions écoutés. Il apparaît clairement que l’animateur des réseaux sociaux n’analyse pas les allégations de Thiam dans leur progression logique et leur cohérence. Il en isole quelques bouts, les reformule maladroitement pour servir sa cause et s’en sert au soutien de son argumentation.

Et puis, si Ouattara a estimé qu’il fallait qu’il viole la constitution, ceci est strictement le résultat d’un jugement moral intérieur. Le président qui nie cette violation justifie lui-même son acte par le décès de son candidat Gon Coulibaly. Nous sommes théoriquement à deux mois de la présidentielle, Alassane nous sert l’argument selon lequel il n’a plus le temps matériel de former un autre candidat. Qu’est-ce que Tidjane Thiam y pouvait ? Pouvait-il prévoir la mort du candidat du RHDP ? Cette violation était-elle prévisible, devinable, quand on sait que déjà au début du mois de mars dernier, le président annonçait lui-même son retrait de la course à la magistrature suprême ? Non, l’argument est court ! Thiam ne peut être comptable de cette violation, moins encore de ses conséquences. Il n’est pas objectif de le dire !

Que dira alors Bangonet des hommes politiques qui, eux, partagent avec Ouattara la même idéologie ou qui ont contribué à assoir sa dynamique politique au sein du RHDP ? Les raisons de cet acharnement contre Tidjane Thiam paraissent résider ailleurs. Les motivations de cette vidéo semblent inavouables.

Autre fait curieux, Isaac Pierre reproche à l’interviewé d’avoir déclaré « qu’il n’est pas constitutionnaliste ». Cette réponse à pourtant une signification et une justification simple : La jurisprudence fait aussi partie des sources du droit. Elle complexifie le débat juridique. Des revirements jurisprudentiels sont même possibles et constituent souvent des issues détournées, des arguments fallacieux qui permettent au juge de tordre le coup à la loi. Thiam a tout simplement souhaité éviter les bagarres constitutionnelles qui trop souvent accouchent de montres juridiques. Toutefois, il met en lumière une certitude : « La question du troisième mandat divise ». C’est d’ailleurs pourquoi il soutient aussitôt : «il faut éviter ce qui divise ». D’où la référence à ce fait de l’histoire : « devant le refus de ses compatriotes de le voir accorder la double nationalité aux étrangers, Houphouët Boigny a lâché du lest ». 

Là-aussi, Isaac Bangoret conclu avec empressement : « Thiam parle de double nationalité parce que, pour lui, les étrangers peuvent prendre la nationalité ivoirienne et qu’il faut éviter qu’on revienne à l’ancienne constitution qui les met loin du débat politique national. Il veut mettre de l’huile sur le feu, veut pousser les étrangers à se battre contre la constitution ivoirienne, pour faire de notre nation, un pays d’outre-mer. Il n’est pas différent d’Alassane dont le plan est de faire des français, des citoyens ivoiriens ».

Franchement ! Que faut-il dire face à un tel entremêlement de contre-vérités ? Que peut-on tirer de cette démonstration dénuée de cohérence ?

Est-ce difficile de comprendre que cette allusion au premier président ivoirien était une incitation à l’humilité, une exhortation de la classe politique actuelle au sacrifice personnel, à l’oubli de soi, au renoncement à soi, à l’abandon de soi pour le bien-être de l’autre ? N’était-ce pas aisé de saisir que le père de la nation ivoirienne évitait ainsi ce qui pouvait les diviser, son peuple et lui ? 

Une autre énormité apparait dans la vidéo d’Isaac Pierre lorsqu’il évoque cette observation de Tidjane : « Notre destin est entre nos mains, c’est à nous de décider de ce qui nous convient ». Bangoret y lit un désintérêt de l’invité de TV5 pour la Côte d’ivoire au profit de la France, concluant même, de ce qui précède, que Tidjane Thiam ne s’est pas montré suffisamment ivoirien. Il faut avouer que le rapport qui est établi ici n’est pas évident, et la conclusion est inutilement méchante.

Et pourtant, là-aussi, il fallait entendre que Thiam soutenait seulement qu’une société politique se construit, non pas selon un modèle universel préexistant, mais en fonction des réalités culturelles de ses composantes, de leur philosophie morale, de leur vécu quotidien, de leurs référents sociologiques, de leurs aspirations et d’un idéal commun.

Enfin, il convient de rappeler à Isaac Pierre Bangoret que Thiam est né d’un père ivoirien, ancien journaliste à radio Côte d’ivoire en 1956, c’est-à-dire dès avant les indépendances. Ministre de l’information en 1963, Amadou Thiam a ensuite été ambassadeur de ce pays au Maroc. La mère de Tidjane, baoulé de Yamoussoukro, est issue d’un groupe ethnique qui ne reconnaît que l’ascendance maternelle. L’enfant est donc éduqué et nourrit aux vérités de la société culturelle de sa mère. En d’autres termes, les transmissions éducatives s’organisent suivant le lignage féminin. Alors, où situe-t-on Tidjane Thiam ? Il faut clore ce débat malheureux.

Jean Clotaire Tétiali