Vous êtes ici

Back to top

Gastronomie africaine : un potentiel fort qui ne demande qu'à être exploité

Aprnews - Gastronomie africaine : un potentiel fort qui ne demande qu'à être exploité - Actualité - Culture - Gastronomie - Afrique
Mercredi, 30 septembre 2020

Gastronomie africaine : un potentiel fort qui ne demande qu'à être exploité

Le festival Food Temple Africa organisé à Paris a été une véritable occasion d'échanges sur les défis économiques des produits de la gastronomie du continent.

La gastronomie africaine a la cote. En témoigne le public venu en nombre au festival culinaire parisien Food Temple Africa dédié cette année aux arts culinaires du continent. Du 25 au 27 septembre, passionnés de gastronomie ou simples curieux se sont pressés, masqués, dans les allées du Carreau du Temple, écrin de l'événement.

Le Food Temple Africa a attire de nombreux curieux reunis au sein du Carreau du Temple a Paris.<br />

Les cours de cuisine et les master class ont affiché complet. Le marché des producteurs et des artisans a lui aussi trouvé son public. La preuve : l'étal de l'épicerie spécialisée Mon Kadi est largement clairsemé en cette fin d'après-midi. Si l'engouement pour les produits africains n'est plus à prouver, l'énorme potentiel économique qu'ils représentent est-il pour autant exploité à sa juste valeur ?

« L'Afrique possède une mine d'or. Le problème, c'est que peu de gens le savent, déplore Aïssata Diakité, fondatrice de Zabaan, une société qui commercialise des jus de fruits. Cela vaut pour l'Europe, où on ne trouve pas de produits africains dans les rayons des supermarchés, comme pour l'Afrique, où l'on ne consomme que des produits importés ». Un constat partagé par le chef Christian Abégan, invité de la table ronde « Afrique, terre(s) fertile(s) » organisée parallèlement à l'événement. « En Afrique, nous avons du mil, du fonio, du niébé… et on ne mange que du blé importé », déplore-t-il.

Un gisement d'emplois divers

Pour Aïssata Diakité, il y a un « vrai challenge à relever ». La jeune femme, née dans la région de Mopti au Mali, l'a pris à bras-le-corps, en 2012. Et ce, malgré le pessimisme de son entourage et l'hostilité des banques. Aujourd'hui, Zabaan couvre 25 filières et travaille avec 2 500 exploitations agricoles du pays et 10 000 producteurs. L'épicerie Moriba Saveurs d'Afrique, basée à Strasbourg, a elle aussi débuté en 1996 avec la vente de jus de fruits originaires du continent. Depuis, la marque s'est enrichie d'autres produits – huiles, épices, tisanes – en nouant des partenariats avec des coopératives fournisseuses de matières premières au Mali, au Sénégal, ou au Burkina Faso.

Du côté de la production, seules les confitures sont fabriquées sur place, en Afrique. Mais l'objectif à moyen terme est de produire toute la gamme sur le continent. « Le mieux est évidemment de transformer les produits sur place, abonde la fondatrice de Zabaan. Car chaque étape de la transformation est vectrice d'emploi. » Au regard des millions de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail en Afrique, le potentiel pour la gastronomie africaine est de taille. La création d'emplois à grande échelle est d'ailleurs un impératif au programme de la Banque africaine de développement (BAD) qui entend créer 25 millions d'emplois et former 32 millions de jeunes d'ici 2025.

Des produits de qualité

Pour transformer l'essai, l'Afrique a de nombreux atouts. « Aujourd'hui, le consommateur veut des produits de qualité, sans engrais chimique. On veut aussi donner un sens social à notre consommation, et savoir qui produit quoi. Le continent est tout à fait capable et se doit même de profiter de la tendance actuelle », avance Hervé Bourguignon, dirigeant du fonds d'investissement Moringa. Faire la promotion d'une agriculture locale, saine et raisonnée est un créneau à fort potentiel pour le continent, qu'Aïssata Diakité a déjà intégré dans son plan de développement. « Une vingtaine de nos filières sont en cours de certification bio », révèle-t-elle. Ces appellations concerneront bientôt les jus de fruits, les confitures et les tisanes de sa marque. Une démarche dans laquelle s'engage également l'épicerie Racines, implantée en France, au Bénin, à Madagascar et au Sénégal, depuis 2010. L'entreprise s'est lancée dans le commerce équitable à travers l'attestation Fair for Life (FFL). Cinq filières sont aujourd'hui concernées : la banane plantain, le curcuma, l'hibiscus, le manioc et la patate douce.

S'inspirant des traditions agricoles de sa région, Aïssata Diakité a monté Zabbaan, une marque de jus de fruits naturels, après un master en agrobusiness en France.  © DR

Un marché dont il faut intégrer les paramètres

Si les opportunités ne manquent pas, plusieurs freins empêchent le marché de se développer à grande échelle. Première entrave, familière de tout entrepreneur : la frilosité des investisseurs, notamment des banques. « C'est vrai que ça bloque encore, reconnaît Hervé Bourguignon. Mais on voit de plus en plus d'investissements dans le secteur, de la part de personnes qui acceptent de gagner très peu d'argent au début. Investir dans le primaire est un financement à long terme. »

Pour Aïssata Diakité, en revanche, l'instabilité politique en cours dans plusieurs pays du continent n'est pas un frein à l'épanouissement du secteur. « Bien sûr, c'est un risque qu'il faut étudier et intégrer à son business plan, avoue-t-elle. Mais il y a un vrai décalage entre ce qui se passe au niveau des institutions et le quotidien de la population. Au Mali, deux jours après le coup d'État du mois d'août, les gens sont retournés travailler. La vie continue pour eux. »

Le réchauffement climatique, par contre, pourrait bien mettre à mal un marché, certes à fort potentiel mais encore très fragile. « La désertification et les changements de saisons sont vraiment préoccupants pour l'agriculture du continent, s'inquiète Hervé Bourguignon. L'Afrique de l'Est va beaucoup y perdre cette année avec les nuées de criquets, couplées aux inondations dévastatrices qui ont suivi. Plus que l'instabilité politique, le changement climatique menace toute la chaîne de valeur de la gastronomie africaine. »

Le Point Afrique