Au mois de janvier précédent, Éric Bleau et Keven Sénécal sont appréhendés dans la même ville, avec une arme et des stupéfiants.

PHOTO DE LA POLICE MEXICAINE

Éric Bleau et Keven Sénécal, lors de leur arrestation par la police mexicaine en janvier dernier

Le 13 décembre dernier, Samy Tamouro est tué par balle dans un luxueux centre de conditionnement physique de Cancún.

Bleau et Sénécal sont considérés par la police comme étant reliés aux Hells Angels du Québec.

Quant à Bélanger et Tamouro, ils étaient visés dans deux grandes enquêtes policières distinctes au Québec. Et ils auraient choisi de s’installer au Mexique, comme d’autres présumés criminels québécois.

« Depuis la pandémie, on assiste à la migration du crime organisé québécois vers le Mexique et ailleurs », résume le sergent François-Olivier Myette, responsable par intérim du renseignement criminel à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), section Québec.

Des « incontournables »

Même si la présence de criminels québécois au Mexique n’est pas nouvelle, la GRC constate qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’installer ou à passer des mois au Mexique, pour fuir la justice ou la chaleur policière, à jouer un rôle de facilitateurs dans l’importation de cocaïne et de méthamphétamine au Québec et au Canada, et à servir d’intermédiaires entre les cartels mexicains et les groupes criminels québécois.

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Le sergent François-Olivier Myette (à gauche) et l’inspecteur Dominic Duchesneau, de la GRC, régions Québec et Maritimes

« Tu vis là depuis deux ans. Tu y avais déjà des contacts et là, tu en as encore plus. Tu as déjà ton réseau de distribution au Canada. Là-bas, tu parles espagnol, anglais et français. Tu es connecté avec les gens des cartels avec qui tu dînes, tu soupes, tu fais le party. Es-tu capable d’avoir accès à une plus grande quantité de stupéfiants à envoyer ici ? Je dirais que oui », explique l’inspecteur Dominic Duchesneau, patron de la lutte contre le crime organisé de la GRC au Québec.

Tu deviens un incontournable. C’est plus facile que si tu envoies au Québec des Mexicains qui ne parlent qu’espagnol ou anglais.

Dominic Duchesneau, patron de la lutte contre le crime organisé de la GRC au Québec

« Et les criminels d’ici font affaire avec des visages connus au Mexique. Cela met en confiance. Le visage connu qui est là-bas devient la plaque tournante ou l’officier de liaison pour nos organisations criminelles et les cartels qui sont là-bas », renchérit Francis Renaud, commandant à la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dont les enquêteurs ont saisi depuis deux ans des dizaines de kilos de cocaïne qui ont transité par le Mexique.

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Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal

« Si les criminels en cavale se rendent au Mexique, ce n’est pas parce qu’ils ont jeté en l’air un jeton qui est retombé sur le Mexique, sur la carte du monde. C’est un endroit qu’ils reconnaissent déjà comme étant intéressant », affirme Valentin Pereda, professeur adjoint au département de criminologie de l’Université de Montréal.

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Valentin Pereda, professeur de criminologie à l’Université de Montréal

« Ce que j’ai remarqué dans nos recherches préliminaires, c’est le développement d’une mobilité entre le Mexique et le Québec de personnes appartenant à des groupes criminels québécois. Cette mobilité se manifeste davantage dans les lieux qui sont fréquentés par des Canadiens au Mexique, et qui sont non seulement des endroits de villégiature, mais aussi des endroits très importants d’un point de vue stratégique pour les cartels mexicains », dit-il.

Un mode de vie

La GRC au Québec croit qu’il y a au moins une dizaine de présumés criminels québécois, en cavale ou non, qui vivent au Mexique ou qui y sont installés pratiquement à plein temps.

Marc-Antoine Fortin, agent de liaison de la GRC au Mexique et dans cinq autres pays d’Amérique centrale, affirme que son bureau gère simultanément, en moyenne, entre 50 et 75 demandes ou enquêtes émanant de différents corps de police canadiens.

Individus que la police soupçonne d’être au Mexique
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Depuis sa création en 2018, le programme BOLO – visant à retrouver les 25 fugitifs les plus recherchés du Canada – a couvert les dossiers de 70 individus. De ce nombre, dix, soit un sur sept, avaient des liens confirmés ou présumés avec le Mexique.

La GRC remarque que des individus de plus petits échelons, qui ne sont pas reliés à une organisation criminelle d’envergure, s’installent au Mexique et mettent en place de nouveaux « schémas d’exportation ».

« Même chez les motards, tu as des gens de plus bas niveaux qui fuient la justice, qui s’installent là-bas et qui adhèrent au mode de vie des cartels sur place. Si des gars sont arrêtés là-bas avec des armes et des stupéfiants, on peut penser qu’ils participent à des activités criminelles locales tout en coordonnant probablement des activités d’exportation vers le Canada. Samy Tamouro qui se fait tuer dans un gym de Cancún, c’est la loi du talion », dit le sergent Myette.

Selon le commandant Renaud du SPVM, la présence de suspects québécois au Mexique expliquerait, en partie du moins, qu’une importante quantité de cocaïne arrive à Montréal, et que le prix du kilo – environ 17 000 $ actuellement – n’ait jamais été aussi bas.

« Si l’offre est importante présentement, c’est aussi parce qu’on a coupé certains intermédiaires et facilité le roulement de la business. Le coût du kilo est réduit parce qu’on a moins de gens à payer entre le point A et le point Z qui est ici », explique l’officier.

Argent et corruption

« Ça coûte cher, une cavale. Le criminel québécois qui a fui au Mexique doit se refaire. Il doit peut-être des sous à des gens. Il ne peut pas se permettre d’arrêter. Ce n’est pas nécessairement fête au village là-bas et il est pris dans l’engrenage », ajoute Francis Renaud.

D’autant plus que, selon Marc-Antoine Fortin, les présumés criminels québécois, dont la présence au Mexique est connue de la police, sont principalement dans la province de Quintana Roo, notamment à Cancún, où tout coûte plus cher.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE ENTREVUE VIRTUELLE

Marc-Antoine Fortin, officier de liaison de la GRC au Mexique, au Belize, au Honduras, au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua

Selon M. Fortin, la diaspora criminelle québécoise au Mexique a créé ce qui ressemble à « un réseau » pour s’entraider.

« Les gens se connaissent, ils viennent du crime organisé. Quand ils arrivent au Mexique, ils ne sont pas seuls. S’ils se cherchent une place pour se cacher, un logement, un véhicule, une fausse identité, ils se font dire va voir untel, il est à Cancún », décrit l’officier de liaison.

« Tout est facile au Mexique. Ce n’est pas un secret, la corruption est omniprésente au niveau policier, mais aussi en ce qui concerne les poursuites. Et dans la province de Quintana Roo, c’est encore pire, en raison de l’argent que le tourisme génère et de la pression politique. Ils savent qu’il y a beaucoup de gens qui se cachent là-bas, avec de l’argent et des contacts », conclut M. Fortin.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.