Regards croisés sur les différents candidats au poste de président de la Banque africaine de développement (BAD)

Regards croisés sur les différents candidats au poste de président de la Banque africaine de développement (BAD)

Passées les célébrations du soixantième anniversaire de la Banque africaine de développement (BAD) les 9 et 10 septembre derniers, les Gouverneurs de l’institution éponyme, éliront un nouveau Président en marge de ses Assemblées Annuelles prévues du 26 au 30 mai 2025 à Abidjan, Côte d’Ivoire. A près de huit mois de l’évènement, les prétendants issus de divers horizons, présentent chacun des compétences et expériences uniques. Analysons ici les profils des candidats déclarés ou potentiels à travers leurs parcours académiques, professionnels, ainsi que leur expérience au sein de la haute fonction publique régionale et internationale.

Abbas Mahamat Tolli de nationalité Tchadienne est diplômé de l’Université du Québec. Il fut Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale. Le candidat tchadien s’est fait adouber par les pays de l’Afrique Centrale dont le pouvoir de vote est inférieur à 4%. Il faut mentionner que sa candidature a suscité une grogne auprès des ressortissants fonctionnaires à la BEAC de certains pays comme le Cameroun et le Gabon. Aussi, par le passé, il avait entretenu des relations difficiles avec les autorités de ces pays, consécutivement à sa gouvernance controversée à la BEAC (népotisme, arrogance etc…). Or, ces deux pays (Cameroun et Gabon) qui représentent près de 40% des actions détenues par les pays de l’Afrique centrale à la BAD ont clairement indiqué qu’ils ne soutiendront pas sa candidature. Par ailleurs, certains s’interrogent sur les chances de Abbas Mahamat TOLLI à cause de l’attitude boulimique du Tchad qui est systématiquement candidat à tous les postes électifs du Continent. En effet, le tchadien Moussa Faki Mahamat occupe déjà le poste de Président de l’Union Africaine, Adoum YOUNOUSMI est candidat au poste de Directeur Général de l’ASECNA dont les élections sont prévues dans le courant du mois de Septembre 2024 ; Abbas Mahamat TOLLI, cousin du Chef de l’Etat du Tchad sera le second candidat de ce pays à la Présidence de la BAD, après celle de Kordja BEDOUMRA candidat finaliste malheureux contre ADESINA en 2015. Outre son manque d’expérience dans la finance internationale et le développement, le candidat du Tchad risque d’être handicapé par la position du Cameroun et du Gabon mais aussi des pays membres non africains de la BAD, notamment à cause du rapprochement entre son pays et la Russie ; en plus de la multitude de candidats tchadiens à différents postes et de l’attitude surprenante du pays à vouloir rayonner au même moment à la tête de plusieurs institutions africaines.

Amadou HOTT de nationalité sénégalaise est diplômé des universités de Strasbourg et Panthéon-Sorbonne (Paris I), avec une spécialisation dans les finances et l’économie. Il est perçu comme un membre de la galaxie Nigériane, pour avoir travaillé avec Aliko DANGOTE et Tony ELUMELU (UBA) avant que ces derniers ne le recommandent à ADESINA, un autre Nigerian devenu Président de la BAD en 2015. Nommé par ADESINA au poste de Vice-Président en charge de l’énergie (secteur privé), alors qu’il n’avait pas le profil du poste, il a travaillé trois ans à la BAD. Après la BAD, il a été ministre de l’Economie et du Plan dans son pays sous l’ère de Macky Sall ce qui lui confère un avantage en matière de politique et de gestion publique. Cependant, l’histoire retiendra qu’il a tué dans l’œuf les candidatures de Mesdames Oulimata SARR, celle qui l’avait remplacé en tant que Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération du Sénégal et de Hassatou DIOP-NSELE actuelle Vice-Présidente des finances à la BAD qui affiche plus de 30 ans d’expérience dans le secteur financier dont, pour l’essentiel à la BAD. La candidature Amadou HOTT est soutenue par le Président sortant Akinwumi ADESINA qui aurait fortement recommandé son « ami » auprès du Président du Sénégal, lors de leur entretien du 2 mai 2024 à Dakar. Le Président Bassirou Diomaye FAYE lui aurait, séance tenante, donné son accord sans prendre la peine de vérifier que d’autres candidatures étaient dans le circuit.  Informé par ses services de l’impair et surtout après les vives protestations des soutiens des deux autres candidates à la candidature, il aurait laissé entendre avoir été mis devant le fait accompli et qu’il ne pouvait plus faire marche arrière. Toutefois, ce dernier aura besoin de convaincre certaines capitales occidentales pour son rôle trouble en 2020, alors que son mentor ADESINA s’était retrouvé dans la tourmente suite à de forts soupçons de mauvaise gouvernance.  On se souvient que le candidat putatif du Sénégal s’était fait désigner, en sa qualité de ministre de l’Economie du Sénégal, Président d’un fameux Comité qui devait faire des propositions concrètes en vue d’adopter les réformes nécessaires sur la gouvernance de la BAD.   ADESINA a pu conserver son poste, près de cinq ans après, le rapport dudit Comité est toujours attendu. Pour réussir son projet, Amadou HOTT aura besoin du soutien total de toutes les autorités sénégalaises et même au-delà alors qu’il se trouve être cité dans le rapport de la Cours des Comptes sur l’audit de performance de la Délégation Générale de la Promotion des Pôles Urbains de Diamniadio et du Lac Rose transmis au parquet.

Romuald WADAGNI, est expert-comptable de formation et diplômé de l’Université de Grenoble et d’Harvard University. Il est, sans discontinué ministre des Finances depuis 2016, ce qui dénote de la confiance placée en lui par le Chef de l’Etat du Bénin. Il bénéficie d’une solide formation académique et d’une expérience ministérielle notable pour présider aux destinées de la BAD. Les performances économiques obtenues pour le Bénin sous sa gouvernance sont autant d’atouts en sa faveur. Cependant, il ne possède aucune expérience au sein des institutions internationales en général et de la BAD en particulier. Par ailleurs, la position de son pays sur l’échiquier international de même que les rapports entretenus par le Président TALON avec ses homologues de la sous-région sont autant d’handicaps qui pourraient compromettre son élection. Aussi, la candidature présentée par le Sénégal,  n’est pas de nature à faciliter celle de Romuald WADAGNI, tous les deux appartenant au même regroupement économique sous-régional.

Sidi Ould TAH*, économiste de formation avec un diplôme de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, vient d’être réélu président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). Ancien ministre mauritanien, son expérience dans une autre institution de développement est un atout, bien qu’il n’ait pas directement travaillé à la BAD. Il vient d’être réélu au mois de mai 2024 comme Directeur Général de la BADEA pour un 3ème mandat de 5 ans, une première dans l’histoire de l’institution. Sa réélection à la BADEA montre une reconnaissance de ses compétences en leadership dans le secteur du développement en Afrique. Celui qui semble avoir les faveurs des autorités de Nouakchott pour la présidence de la BAD, avait informé, en avril 2024 les autorités de son pays de son intention de briguer la présidence de la BAD car, il n’était pas certain d’obtenir un nouveau mandat. Depuis, il a été réélu mais hésite à lâcher le poisson qu’il dans sa main au profit de celui qu’il a sous les pieds. En effet, il devra   démissionner de son poste de Président de la BADEA pour faire campagne.

Samuel MAIMBO de nationalité zambienne, est titulaire d’un diplôme de l’Université de Manchester. Sa carrière dans les organisations internationales, notamment la Banque Mondiale et sa compétence en matière de gestion financière peuvent lui offrent des perspectives intéressantes pour être le prochain président de la BAD. Il a été désigné candidat de la SADC après l’organisation de primaires entre plusieurs candidats à la candidature dont celle de Madame Bajabulile Swazi TSHABALALA actuelle première Vice-présidente de la BAD de nationalité sud-africaine. Se targuer d’être le candidat d’une sous-région dont le pouvoir de vote cumulé de ses pays membres ne représente que 12,62% peut être une erreur stratégique, qui pourrait pousser les différentes sous régions, chacune à soutenir le candidat ressortissant de son espace géographique. Par ailleurs, la BAD a déjà été présidé par un zambien en la personne de Wila D. MUNG’OMBA (1980-1985). C’est depuis la fin de la gestion de MUNG’OMBA que les Gouverneurs ont pris conscience de la nécessité de veiller à l’équilibre linguistique entre l’anglais et le français. Ainsi, tous les président qui se sont succédés depuis 1985 s’expriment dans les deux langues de travail de l’institution, ce qui n’est pas le cas de Monsieur MAIMBO qui a cependant d’autres atouts.

Ousmane KANE, un autre mauritanien, est diplômé de la prestigieuse Ecole Polytechnique (X) en France. Il affiche une expérience de près de 40 ans dans les domaines du développement économique et des finances. Il a travaillé durant 15 ans à la BAD à plusieurs postes dont celui de Vice-président et Directeur de la planification stratégique ce qui le distingue, en termes de connaissance de l’institution. Par ailleurs, il a occupé plusieurs postes dans la haute administration de son pays, notamment ministre des finances et de l’Economie à plusieurs reprises ainsi que gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie. Son parcours combine expertise technique, expérience de gestion et d’importantes responsabilités publiques. Il bénéficie d’une solide réputation quant à sa compétence, son intégrité et sa probité dans toutes les fonctions occupées. Cependant, à date, Ousmane KANE n’a pas déclaré officiellement sa candidature, probablement à cause du manque d’enthousiasme des autorités de son pays qui pencheraient plutôt pour un autre potentiel candidat qui est Sidi Ould TAH, actuel Président de la BADEA (voir çi-dessus). Selon les informations en notre possession Ousmane KANE pourrait se retrouver largement en tête de la course à la présidence de la BAD si sa candidature venait à être validée par les autorités de Nouakchott. Toutefois, le manque d’enthousiasme des autorités de son pays quant à sa candidature est un handicap certain.

Tabah AREZKI est franco-algérien. Il a étudié à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique de Paris ainsi qu’au European University Institute de Florence. Il a également occupé le poste d’économiste en chef et de vice-président du complexe Gouvernance économique et Gestion des connaissances de la BAD pendant deux ans. Au cours de son séjour à la BAD, il avait entretenu des relations conflictuelles avec son patron ADESINA et quelques-uns de ses collègues. Il semble qu’il avait aussi refusé de rejoindre son lieu d’affectation Abidjan, après la déclaration de la fin de la pandémie du COVID (période au cours de laquelle il avait été recruté à la BAD). Bien qu’il n’ait jamais occupé de fonction de la haute administration, son expérience et sa connaissance approfondie des enjeux et des problèmes économiques de l’Afrique peuvent en faire un candidat sérieux. Cependant,  l’Algérie,   ne lui a  pas encore officiellement apporté le soutien qu’il attend.

Conclusion

Parmi ces candidats, si celle de Ousmane KANE se confirme, il * se distingue par son expérience exceptionnelle tant à la BAD que dans des fonctions gouvernementales, ce qui fait de lui le candidat le plus à même de relever les défis qui se posent aujourd’hui à la succession de Akinwimi ADESINA. Cependant, le grand saut reste subordonné au soutien des autorités mauritaniennes. *Sidi Ould Tah* et *Amadou Hott* sont également des concurrents solides, avec des parcours respectivement à la BADEA et à la BAD, ainsi qu’une expérience ministérielle. Cependant, des candidats comme *Romuald Wadagni* et *Samuel Maimbo, bien qu’ayant des compétences techniques ou académiques solides, pourraient être désavantagés par leur manque d’expérience directe avec la BAD. Il ne faudrait pas pour autant minimiser leurs chances de diriger l’institution financière la plus prestigieuse du continent. *Tabah AREZKI*, bien que ne possédant pas d’expérience ministérielle, pourra apporter des compétences spécifiques et une connaissance interne précieuse pour les réformes internes dont aurait besoin l’institution pour accélérer le développement de l’Afrique.

Le choix final dépendra donc de l’orientation que souhaite prendre la BAD pour les prochaines années : un leadership politique expérimenté ou/et une expertise technique renforcée dans un monde dont l’économie est en pleine mutations.

Catégories
Étiquettes
Partager ceci

Commentaires

Mots-clés (0)