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Flux financiers illicites : L'Afrique subsaharienne paie cher ses erreurs de facturations

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Mercredi, 30 janvier 2019

Flux financiers illicites : L'Afrique subsaharienne paie cher ses erreurs de facturations

APRNEWS- Il faut savoir que l'essentiel des flux financiers illicites provient des échanges commerciaux traditionnels. Sous le couvert d'erreurs de facturations, ils font perdre aux trésors africains 84 milliards de dollars par an, révèle une enquête du Global Financial Integrity.

Les fausses facturations seraient l'une des principales sources des flux financiers illicites en provenance des pays en développement. Elles privent la plupart de ces États de recettes en devises, de recettes fiscales et d'autres précieux revenus qui auraient pu servir à la construction d'infrastructures, l'éducation, la santé ou la protection de l'environnement. C'est ce que révèle le dernier rapport de l'organisation à but non lucratif Global Financial Integrity (GFI), basée à Washington et qui se focalise sur la traque des flux financiers illicites à travers le monde. Intitulé : Flux financiers illicites en provenance et à destination de 148 pays en développement : 2006-2015, c'est la dernière parution d'une série de rapports sur l'intégrité financière dans le monde. Une des principales conclusions du rapport est que les erreurs de facturation commerciale, obtenues en indiquant de manière erronée la valeur ou le volume d'une exportation ou d'une importation sur une facture douanière, affaiblissent l'impact du commerce international dans les pays en développement. Chaque année, ce sont des montants astronomiques qui échappent aux radars des autorités et régulateurs économiques pour quitter l'Afrique en toute illégalité et se voir transférés dans le reste du monde. « L'idée reçue a toujours été que l'Occident injecte de l'argent en Afrique, grâce à l'aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour. Notre rapport inverse le raisonnement : l'Afrique est en situation de créancier net par rapport au reste du monde depuis des décennies », voilà la position de GFI depuis plusieurs années déjà que l'organisation travaille avec la Banque africaine de développement, peaufinant un peu plus son analyse des facteurs à l'origine de ces flux financiers illicites.

Ce que l'Afrique perd entre les incitations fiscales et les erreurs de facturations

Il faut dire que les chiffres sont alarmants : l es fausses facturations font perdre 84 milliards de dollars par an aux pays d'Afrique subsaharienne, soit 23 millions de dollars par jour. Pour faire simple : en pourcentage du total des échanges avec les économies avancées, les erreurs de facturation avec l'Afrique subsaharienne ont représenté en moyenne 17,8 % sur la période de 10 ans couverte par l'étude. À titre de comparaison, l'Asie représentait 19 %, l'Europe 19,8 %, la région MENA, 20,4 %. « Même si ce niveau de facturation erronée est moyen, il n'est pas faible. En effet, cela signifie que pour environ 18 % de tous les échanges avec les économies avancées, les gouvernements de l'Afrique subsaharienne ne perçoivent pas le montant exact des taxes et des droits associés à ce commerce. C'est un pourcentage énorme et une perte énorme pour les trésors de ces pays », explique Tom Cardamone, directeur général de GFI.

Afrique du Sud, Nigeria : deux cas concrets

À titre d'exemple, d'après les données du FMI sur l'orientation des statistiques du commerce (DOTS) pour 2015, le rapport indique que l'Afrique du Sud est en tête du classement parmi 30 pays, y compris les pays riches en ressources affichant le plus haut taux de flux financiers illicites (FFI) avec 10,2 milliards de dollars, suivi par le Nigéria avec 8,3 milliards de dollars. Concrètement, entre 2010 et 2014 le gouvernement sud-africain aurait perdu 7,4 milliards de dollars par an, soit 37 milliards de dollars au total pour la période. La moyenne des recettes perdues en raison d'une mauvaise facturation des importations est de 4,8 milliards de dollars chaque année. Ce montant peut être divisé en plusieurs éléments : taxe de TVA non perçue (2,1 milliards de dollars), droits de douane (596 millions de dollars) et impôt sur les sociétés (2,1 milliards de dollars). La perte de revenus due aux exportations mal facturées a été de 2,6 milliards de dollars en moyenne chaque année, selon une étude de GFI publié en novembre 2018. Pour mesurer l'impact de telles erreurs, il faut regarder ce qu'il se passe sur le terrain social. En plus de compromettre le commerce, ces fausses facturations compromettent sérieusement la croissance durable du niveau de vie et exacerbe les inégalités et les divisions sociales, des problèmes qui sont essentiels en Afrique du Sud comme ailleurs aujourd'hui.

Qui sont les responsables ?

Un paradoxe frappant, puisque d'un côté les pays africains sont hautement endettés, mais de l'autre côté ces pays éprouvent la sortie massive de capitaux privés en direction de centres financiers mondiaux. Difficile dans ce contexte de pointer les responsabilités : « Il n'y a pas un coupable pour la fausse facturation. Ce pourrait être l'importateur qui fournit une fausse facture à la douane. Cela pourrait ou non être lié à des fonctionnaires corrompus. L'importateur peut être juste l'expéditeur et non pas la société impliquée, il est donc possible que la société impliquée dans la transaction lui ait donné une fausse facture. Des petites, moyennes ou grandes entreprises peuvent être impliquées, mais les données ne nous permettent pas de déterminer la taille de la société impliquée », détaille-t-on à GFI. « Plutôt que de chercher à savoir qui fait la facturation erronée, nous aidons les gouvernements à déterminer à quel moment une telle facturation se produit », préfère suggérer Tom Cardamone.

Les États sont encore loin du compte

Alors que l'Afrique s'est engagée à bâtir la plus grande zone de libre-échange du monde et d'accélérer ses échanges commerciaux avec le reste du monde, comment appréhender cette question des facturations erronées ? Plusieurs initiatives ont été lancées par différentes organisations continentales comme l'Union africaine, la Banque africaine de développement ou encore l'OCDE. Mais la plupart des pays d'Afrique subsaharienne accusent un retard considérable sur ce qu'ils devraient faire pour remédier à la mauvaise facturation commerciale. « La méthode la plus rapide et la plus efficace pour lutter contre les erreurs de facturation consiste pour les services des douanes de chaque pays à installer GFTrade, une base de données d'évaluation des risques commerciaux développée par Global Financial Integrity et actuellement utilisée dans deux pays d'Afrique. Ce système puissant permet aux agents des douanes d'identifier en temps réel (lorsque les marchandises se trouvent encore dans le port) si le prix indiqué sur la facture varie énormément par rapport au prix moyen historique du même produit. Lorsqu'une erreur de facturation est identifiée, le montant approprié des taxes et droits peut être collecté. Notre système a donné d'énormes résultats et les experts ont noté que cela pourrait changer la donne pour le continent si davantage de gouvernements utilisaient le système », avance Tom Cardamone.

Au niveau du continent, le Forum sur l'administration fiscale africaine (ATAF) créé il y a une dizaine d'années a déjà conclu avec une vingtaine de pays des programmes d'intervention pour faciliter la coopération mutuelle entre les administrations fiscales africaines en vue d'améliorer l'efficacité de leurs législations et administrations fiscales. Le GFI a néanmoins indiqué que des pays comme l'Éthiopie, la Tanzanie, s'étaient déjà engagés à « lutter contre leurs pertes de revenus dues aux FFI dans le cadre de l'Initiative fiscale d'Addis-Abeba visant à lutter contre les flux illicites. »

Avec Le Point Afrique