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Écritures des médecins : On en rit souvent, mais…

Ecriture - Médecin - Contributeur
Samedi, 5 février 2022

Écritures des médecins : On en rit souvent, mais…

« C’est quoi cette écriture ? Du charabia oui ! Pfff, comme s’ils n’avaient pas fait les bancs ! ». Ce sont des propos, de certaines personnes, pour qualifier l’écriture des médecins. Quand elle se limite seulement au scriptural, l’on peut en rire. Mais, quand il est question de prescriptions médicales, tout change ! 

Le regard pensif, les bras croisés, Ben Idriss Kaboré (nom d’emprunt) nous parle à cœur ouvert. Entrepreneur résidant à Ouagadougou, il ressentait, une fois, une grande fatigue. Il était essoufflé au moindre effort physique.

« Ma langue, fade, ne voulait rien recevoir. Je me sentais mal-en-point durant presque trois jours avant de finalement me rendre dans une formation sanitaire de Ouagadougou. Presque 40°C, quand l’infirmière a pris ma température et un kilo et demi en moins, lors de la pesée », relate Ben Idriss.

Après quelque temps de patience, et lorsque est arrivé son tour, puisqu’il se retrouve dans une file d’attente. Quelque temps après, il fait face à un Docteur, qui l’interroge cinq minutes environ. A l’issue de l’interrogatoire, il est diagnostiqué. Le résultat est connu : le paludisme. Stylo et feuille blanche à la main, le Dr se met à rédiger une ordonnance.

« Une fois l’ordonnance en ma possession, j’ai pris la direction du parking, où était parqué mon engin (à deux roues). Après avoir géré le parking à 100 francs, j’enfourche ma moto pour une pharmacie. Environ 15 minutes de circulation, me voilà à la pharmacie. J’entre donc, et après salutation, je tend mon ordonnance à la dame qui me fait face« , avance notre confident.

Sourcils froncés, yeux écarquillés, bouche allongée, la dame eu du mal à lire ce qui est inscrit sous ses yeux. D’une main, elle remet alors l’ordonnance à une collègue, qui à son tour semble avoir une idée des prescriptions du docteur, car elle se dirige vers l’ordinateur pour de plus amples informations. Elle y frappe le clavier, use de la souris et plusieurs clics s’ensuivent.

Après cette manœuvre, elle se dirige vers les étagères où sont superposés divers produits. Elle en revient avec les produits à l’exception d’un.

« Et de me dire qu’elle hésite sur le nom d’un des produits de la liste, en l’occurrence celui placé en seconde position.

Tout étonné, je ne sais quoi répondre. Elle (l’auxiliaire de pharmacie, ndlr) prend donc la décision de signaler la situation au docteur pharmacien, qui prend à son tour l’ordonnance, met ses correcteurs (lunettes), recule la tête en arrière, et, s’adressant à la dame qui l’a approché, dit : « Il s’agit de… ». Bref ! Pffff !« , s’exclame Ben Idriss.

« A ma connaissance, nous n’avons pas d’études menées là-dessus »

Après un tel témoignage, nous décidons d’avoir le commentaire d’un médecin sur le sujet. Notre choix, rapidement fait, nous conduit au Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Yalgado Ouédraogo où nous soumettons une demande à la direction générale.

Plus d’une semaine plus tard, aucun signe. C’est donc dans l’attente d’une suite favorable à notre requête que surviennent les suspensions de l’internet mobile (données mobiles), du réseau social Facebook et les différentes marches, suivis du coup d’Etat militaire.

Au regard des récents événements, et vu l’engagement de l’homme lors des différentes manifestations de soutien aux Forces de défense et de sécurité (FDS) et de protestation contre le pouvoir de Roch Kaboré, nous décidons finalement de fixer une entrevue avec Dr Arouna Louré, médecin anesthésiste au CHU de Bogodogo.

Comme par hasard, cette entrevue aura lieu quelques jours après le coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la restauration et la sauvegarde (MPRS), après une conférence de presse qu’a tenue son mouvement, « les REVOLTES », en compagnie de la Coalition des patriotes africains, section du Burkina (COPA-BF).

« Au Burkina Faso, à ma connaissance, nous n’avons pas d’études menées là-dessus. Peut-être que ça serait très bien que nous prenions leur canevas, c’est-à-dire le protocole d’étude et voir comment nous implémentons ça au Burkina Faso.

Et essayer de comprendre, quelles peuvent être les conséquences des mauvaises écritures des médecins, que ce soit dans nos hôpitaux ou de manière générale », répond-il à la question tendant à savoir si les statistiques au Burkina Faso étaient toutes aussi alarmantes qu’aux Etats-Unis où un rapport de l’Institut de la médecine américaine, rattaché à l’académie des sciences soutient que la « mauvaise écriture des médecins » serait la cause de 7.000 décès par an aux Etats-Unis depuis 1999.

Mais avant de dire cela, le Dr Louré est amené à réagir sur ce qui pourrait expliquer cette écriture des médecins. « Ce qui pourrait expliquer cette mauvaise écriture des médecins, c’est le fait que nous prenons énormément de cours et souvent, c’est dicté. Les gens sont obligés d’écrire et ça (l’écriture, ndlr) se déforme au fil des années. Dans l’ensemble, il y a des médecins qui écrivent très bien », explique Dr Louré.

« De temps en temps, on nous interpelle, que ce n’est pas bien lisible »

Le domaine dans lequel intervient le docteur exige que les prescriptions d’ordonnances se fassent avec délicatesse. Et quand cela ne l’est pas, l’interpellation est immédiate. « Dans notre domaine, en tant qu’anesthésiste, nous prescrivons des médicaments qu’on peut dire assez dangereux. Donc, il faut les prescrire correctement avec les doses correctes. 

Donc, quand ce n’est pas lisible, personne n’utilise le médicament. Il faut pouvoir déchiffrer correctement le produit avant de l’utiliser. De temps à autre, on nous interpelle, que ce n’est pas bien lisible, on ne comprend pas », confie-t-il.

Aussi nous est-il revenu que certains praticiens de la médecine, sciemment fait, écrivent de sorte qu’ils sont les seuls à pouvoir lire les ordonnances prescrites. Interrogé sur le sujet, le médecin anesthésiste affirme :

 « Je n’ai jamais eu vent de cela, parce que si quelqu’un fait cela, c’est illicite et il doit être sanctionné. Parce qu’en tant qu’agent de santé, je n’ai pas à livrer un produit. Donc, si quelqu’un livre des produits dans un hôpital, à moins qu’il y ait eu un don et il doit le livrer gratuitement. En dehors de cela, revendre un produit, c’est illégal. L’Etat doit donc sévir ».

Puis de rappeler ce que dit la déontologie du métier à propos de la prescription médicale. « Dans la déontologie du métier, la prescription doit être lisible. Il y a des protocoles pour prescrire un médicament. Le nom doit être bien identifié, la posologie également », rappelle-t-il.

par Tambi Serge Pacôme ZONGO