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Culture: Ce que l’image de l’Afrique doit malheureusement à Hollywood

Aprnews - Ce que l’image de l’Afrique doit malheureusement à Hollywood - Monde
Samedi, 13 mars 2021

Culture: Ce que l’image de l’Afrique doit malheureusement à Hollywood

Et si les films américains essayaient de raconter l’Afrique telle qu’elle est réellement ? En effet, entre le misérabilisme d’avant la décennie 2000 et l’idéalisation de ces dernières années, les Africains pourraient s’y perdre.

Une suite d'Un Prince à New York par le réalisateur de Warm Bodies |  Premiere.frLa date du 5 mars 2021 était marquée de rouge dans mon agenda. 33 ans après la sortie de l’inoubliable Un Prince à New York, le second opus de ce film culte est sorti sur Amazon Prime Video, la Paramount Pictures l’ayant vendu au service de streaming. Cette vente a énormément réjoui du côté d'Amazon Prime Video, dont les dirigeants étaient conscients d’avoir réalisé une acquisition majeure. En effet, plus que les boutades et les scènes humoristiques typiques des années 80, Un Prince à New York fait partie des films pionniers pour une « wakandatisation » idéologique de l’Afrique. Si ce terme ne fera son chemin dans les débats sur Internet qu’après Black Panther et son afrofuturisme assumé, Un Prince à New York est bien l’un des premiers films de cette tendance à idéaliser le continent au cinéma, avant d'être suivi, bien des années plus tard, par Black Panther ou encore Black is King de la diva Beyoncé.

Un Prince à New York 2": premières images de la suite de la comédie culte

Un riche africain, drôle et séduisant, qui débarque à New-York.

Un Prince à New York raconte l'histoire d'Akeem Joffer, campé par Eddie Murphy, héritier du souverain de la nation africaine fictive de Zamunda, qui se rend aux Etats-Unis pour trouver une femme et éviter un mariage arrangé. A la fin des années 1980, cette œuvre était remarquable parmi les films occidentaux grand public pour sa représentation de Zamunda : un pays africain riche et entièrement autonome, loin des stéréotypes sur les opprimés.

Pour le film, Eddie Murphy s’est engagé dans un bras de fer avec la Paramount qui doutait que l’audience de l’époque accepte un film avec des personnages africains. Mais Eddie Murphy était déterminé à représenter les Africains comme des gens riches, égaux aux blancs et fiers de leurs racines. Il réunit un casting de stars afro-américaines qui réussit à faire de l’aventure un important succès commercial. Le film génère 288 millions de dollars dans le monde et reste l'un des films les plus rentables avec un casting à prédominance noire.

Paramount doutait que l’audience de l’époque accepte un film avec des personnages africains. Mais Eddie Murphy était déterminé à représenter les Africains comme des gens riches, égaux aux blancs et fiers de leurs racines.

Le film a atteint son but, commercial, mais surtout idéologique. Le casting noir, la représentation de personnages africains défiant les stéréotypes de l’époque seront bien accueillis. Un Prince à New York se place aux antipodes de films avec de nauséabondes représentations de Noirs et d’Africains comme le scandaleux The Birth of a Nation et ses « blackfaces », le très particulier The Gods Must Be Crazy, ou encore la myriade de films décrivant l’Afrique comme un territoire unique quasiment assimilé à un pays, un paradis de la guerre et de la pauvreté.

Derrière le pays imaginaire de « Black Panther », une langue sud-africaine  bien réelle

Une Afrique futuriste qui atterrit aux Etats Unis.

Effectivement, face à de tels stéréotypes, l’idée de présenter une Afrique riche avec ses propres figures dominantes semblait idéale. Cette façon de penser conduira entre autres à la création du célébrissime film Black Panther. Seulement, cette présentation d’une Afrique rêvée par les Noirs américains est également, à sa manière, un nouveau stéréotype. Déjà, on passera le fait que l’Afrique, dans la conception hollywoodienne, fait abstraction de la multiplicité de cultures et de diversités qu’abrite le continent.

Seulement, cette présentation d’une Afrique rêvée par les Noirs américains est également, à sa manière, un nouveau stéréotype.

Dans le cinéma américain, l’Afrique est largement assimilée à un grand territoire où tout le monde est pareil. On en oublierait presque qu’on a affaire à un continent. Le cinéma hollywoodien construit un storytelling qui tend à donner une seule histoire à l’Afrique.

Chimamanda Ngozi Adichie talks with Anna Guitart - YouTube

Chimamanda Adichie : « Si je n'avais pas grandi au Nigeria… »

Le danger de cette « histoire unique » est notamment soulevé par l’auteure nigériane Chimamanda Adichie. « Si je n'avais pas grandi au Nigeria, et si toute ma connaissance de l'Afrique s'était limitée aux images populaires [véhiculées par les médias et le cinéma, Ndlr], moi aussi j'aurais pensé que l'Afrique était un lieu plein de beaux paysages, de beaux animaux, et de gens incompréhensibles, impliqués dans des guerres insensées, mourant de pauvreté et du SIDA, incapables de s'exprimer par eux-mêmes, et qui attendent d'être sauvés, par un gentil étranger, blanc », explique-t-elle.

« Moi aussi, j'aurais pensé que l'Afrique était un lieu plein de beaux paysages, de beaux animaux, et de gens incompréhensibles, impliqués dans des guerres insensées, mourant de pauvreté et du SIDA, incapables de s'exprimer par eux-mêmes, et qui attendent d'être sauvés, par un gentil étranger, blanc »

Les films américains échouent à retransmettre la complexité du continent et les différences qui peuvent par exemple exister entre un Béninois et un Ougandais. Pour Hollywood, la grande mélasse africaine est uniforme.

Dans les années 80, avant Un Prince à New York, on dépeignait l’Afrique comme une destination de safari aux paysages luxuriants, mais avec des populations pauvres, peu instruites. Puis le stéréotype a changé avec la quête identitaire des peuples noirs américains qui se sont légitimement tournés vers leurs origines pour lutter contre les discriminations systémiques. Comme dans le film d'Eddie Murphy, l’Afrique est désormais décrite comme un continent riche où vivent des reines et des rois. Le storytelling est passé d’un extrême à un autre.

De pauvre continent abritant une population ayant besoin d’aide, l’Afrique est devenue un espace géographique riche et fier, comme dans Black Panther, où vivent des rois, des reines et des princes porteurs d’une certaine magie comme dans Black is King.

Beyoncé Surprises 'Black Is King' Fan With Sweet Phone Call | ETCanada.com

Black is King : ce nouveau stéréotype tend à devenir aussi irritant que le premier.

Supportable pendant quelques années, ce nouveau stéréotype tend à devenir aussi irritant que le premier. Le continent n’aurait-il donc aucune valeur s’il n’était pas peuplé de rois, de reines et de héros de grandes épopées ? Serait-ce la seule condition pour que l’Afrique ait quelque chose à apporter au concert des peuples ? Sur le continent, le passage d’un extrême à un autre, au niveau des stéréotypes africains véhiculés dans le cinéma traduit une réification, une certaine utilisation de l’Afrique.

Pour le journaliste kényan Binyavanga Wainaina, « l'Afrique est un objet, plutôt qu'un sujet. Nous sommes des objets qui souffrent, des objets qui donnent du pouvoir, des objets durables ou des sortes d'objets, mais nous sommes des objets. Nous n'avons rien à dire ».

« L'Afrique est un objet, plutôt qu'un sujet. Nous sommes des objets qui souffrent, des objets qui donnent du pouvoir, des objets durables ou des sortes d'objets, mais nous sommes des objets. Nous n'avons rien à dire ».

Dans un premier temps, le contexte de domination de l’Occident a donné des représentations misérabilistes du continent. Désormais, dans le cinéma, l’Afrique est instrumentalisée d’une autre manière pour soutenir les revendications de la population afro-américaine qui, il faut le préciser, sont légitimes dans leurs motivations. Seulement, la population noire américaine et sa lutte continue pour l’égalité de traitement ont-elles moins de valeur si le continent d’origine n’est pas peuplé de rois et de reines ?

« Je ne pense pas qu'il soit nécessaire qu'un peuple prouve à un autre qu'il a construit des cathédrales ou des pyramides avant de pouvoir prétendre à la paix et à la sécurité [...] qu'il devrait s’inventer un grand passé fictif pour justifier son existence et sa dignité humaine aujourd'hui », répond l’écrivain nigérian Chinua Achebe dans son essai « The Education of a British-Protected Child ».

« Je ne pense pas qu'il soit nécessaire qu'un peuple prouve à un autre qu'il a construit des cathédrales ou des pyramides avant de pouvoir prétendre à la paix et à la sécurité [...], qu'il devrait s’inventer un grand passé fictif pour justifier son existence et sa dignité humaine aujourd'hui.»

Au final, Un Prince à New York 2 sera beaucoup critiqué ; déjà pour la qualité du film qui laisse à désirer, mais surtout, en Afrique, pour la persistance de clichés sur le continent. Le cinéma américain doit s’affranchir de ses biais sur l’Afrique.

Il est temps pour Hollywood d'oublier ses clichés sur les Africains pour raconter le continent de manière authentique. Et pour ça, il faudrait peut-être collaborer avec les cinéastes et écrivains du continent. Si les grandes stars noires américaines donnent effectivement une plus grande chance aux films de faire le tour du monde, il faudrait que les histoires racontées soient plus « vraies » et permettent aux Africains de s’identifier au continent où ils vivent. Cela aidera énormément les médias occidentaux à raconter l’Afrique telle qu’elle est réellement.

Cela dit, ce n’est pas à Hollywood de se préoccuper de mieux représenter l’Afrique. La grande machine cinématographique américaine ne fait que ce qu’elle sait faire de mieux : produire et commercialiser des films qui auront un succès commercial. Du côté de l'Afrique, le cinéma des pays a longtemps participé à la mauvaise image renvoyée à l’extérieur. Les films, souvent engagés, traitaient de sujets comme la guerre, la pauvreté et la corruption qui pouvaient, si l'on ne prenait pas le temps de creuser, faire écho à la représentation faite par Hollywood du continent. Heureusement, de nombreux films africains participent de plus en plus à la diversification des discours sur l’Afrique. Grâce aux plateformes de streaming étrangères, leurs façons de raconter le continent font peu à peu leur chemin vers le reste du monde.

Agence ecofin