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Crise anglophone : Cinq ans d’une guerre de ‘’défrancophonisation’’

Guerre - crise - défrancophonisation
Mardi, 4 janvier 2022

Crise anglophone : Cinq ans d’une guerre de ‘’défrancophonisation’’

Dans son discours de fin d’année, le président Paul Biya réitère la volonté du gouvernement d’en découdre avec des dissidents qu’il associe aux terroristes, alors même que la situation sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest demeure préoccupante.

Quatre semaines après son enlèvement au sein de sa propre chefferie, Fon Kevin Shumitang II, le chef supérieur du groupement Bambalang, dans l’arrondissement de Ndop, département du Ngoketunjia, dans le Nord-Ouest, est toujours détenu par des ravisseurs non identifiés. Il demeure introuvable alors que les autorités civiles et militaires avaient annoncé dès le lendemain de ce 7 décembre 2021, une chasse à l’homme, pour le libérer et qu’une prétendue demande de rançon de 20 millions pour la cause avait circulé dans la cour royale, attribuée aux hommes proches du ‘’général No Pity’’, un réputé chef de guerre qui dicte la loi dans cette région.

Le kidnapping spectaculaire du monarque, qui est, depuis les premières élections régionales organisées au Cameroun, le président de la chambre des chefs au sein du Conseil régional de la région du Nord-Ouest, dont il est par ailleurs le vice-président, s’est déroulé devant ses gardes, des sujets et des notables impuissants, qui n’ont pu rien faire, au regard de l’artillerie intimidante des assaillants.

Le chef, qui vit habituellement dans la capitale régionale, Bamenda, s’était rendu dans sa chefferie pour les préparatifs d’une cérémonie traditionnelle incluant un festival annuel, mise en berne depuis le déclenchement de la crise anglophone. Point d’orgue de cette guerre larvée qui produit chaque jour de nouvelles victimes et prend des formes variées depuis octobre 2016. Après l’attaque et l’incendie des hôpitaux et des écoles, l’enlèvement des fonctionnaires et l’assassinat des enseignants, des chefs traditionnels, le kidnapping des prélats, on assiste de plus en plus à des assauts ciblés, sur des espaces publics et militaires.

Avec des instruments de guerre chaque jour plus sophistiqués. Lors de sa visite de travail à Bamenda, le 22 septembre 2021, au lendemain des attentats sanglants ayant causé de source officielle la mort d’une quinzaine d’éléments des forces de défense et de sécurité, le Ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo relevait que les «attaques meurtrières et perfides » de ces dernières semaines contre les forces de défense et de sécurité ont été faites avec du «matériel sophistiqué » et l’appui logistique et humain évident de forces extérieures. Une «nouvelle approche des forces de défense sur le terrain » avait été énoncée, dont les contours stratégiques furent cachées.

Une prolifération des « généraux »

«L’entrée en scène d’explosifs de forte capacité et de nouveaux armements consacre indubitablement le changement de paradigme dans les opérations en cours, les forces de défense et de sécurité ayant pour mission de tout faire pour restaurer la paix et garantir la libre circulation des personnes, biens et capitaux sur l’étendue du territoire national », avait néanmoins expliqué dans une sortie antérieure, le chef de la division communication du ministère de la Défense, le capitaine de vaisseau Cyrille Atonfack Guemo.

« L’armée camerounaise reste déterminée à éradiquer toute forme de violences tant dans les régions crisogènes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest que dans celle de l’Extrême-Nord, zones dans lesquelles il est désormais et clairement établi l’existence des liens et d’échanges d’armements sophistiqués entre les terroristes sécessionnistes(…) avec des groupes intégristes violents exogènes »,prévenait l’officier supérieur communicant. N’empêche, la frayeur est devenue le lot quotidien des courageuses populations prises entre deux feux, qui continuent d’y vivre. Et lors du seul week-end du 10 au 13 septembre 2021,près d’une vingtaine de personnes sont mortes de violences dans la seule région du Nord-Ouest, dont sept éléments du Bataillon d’intervention rapide( BIR) à Kikaïkom dans le Bui, un policier, six présumés séparatistes et trois civils.

A son tour, l’armée avait mis hors d’état de nuire un groupe de quatre rebelles, présenté comme des chefs séparatistes, dont les corps ont été présentés au public au lieudit Finance Jonction pendant toute une journée. Fin octobre dernier, les militaires ont célébré à Bamenda la neutralisation d’un redoutable chef séparatiste, le ” Général Cross and Die”. Comme ils l’avaient fait un an plutôt avec le corps de Lucas Fonteh Nde frualias‘’ Général Mad Dog’’, celui sans vie de” Cross and Die “a été exposé à Hospital Round About le samedi 30 octobre 2021.Selon les militaires, le chef de guerre ambazonien avait été neutralisé dans la localité de Tamafeh à Mankon, lors d’une opération spéciale menée la veille, en même temps que six autres combattants séparatistes tués ce weekend lors de différentes opérations dans le seul département de la Mezam.

S’ils ont pu mettre hors d’état de nuire ce «commandant » dont les tentacules s’étendaient sur ses fiefs de Ntankah, Alabukam, Mankon, Ntasem( tous des quartiers du centre- ville de Bamenda), il n’en est pas de même avec le redoutable‘’ Général No Pity’’ à qui une véritable chasse est lancée mais qui réussit encore à opérer dans une partie du Nord- Ouest.Pas plus que Field Marshall, un autre‘’ général’ ’dont les compétences s’établissent sur le Lebialem, dans le Sud-Ouest.

Comme on le voit, la guerre de sécession est sortie des discours radicaux pour se fondre dans des groupes armés dont les agissements appellent parfois à s’interroger sur les objectifs recherchés. Car à côté de Mad Dog et Cross and Die hier, il y a eu d’autres comme Lion, Tiger, Spirito, Stone ou Trouble. Parfois des bandits de grand chemin qui ont vite trouvé dans la rébellion, un métier de reconversion.

Reconstruction, régionalisation

Sur le plan économique, la population qui collabore davantage avec les forces de défense et de sécurité, est paralysée par l’institutionnalisation des «villes mortes » et autres «lockdown »,destinés à bloquer la vie publique et contrecarrer l’emprise du gouvernement central sur la partie anglophone du territoire. Certes, l’amélioration récente de la collecte des renseignements par les forces de sécurité, ainsi que les désaccords croissants entre différents groupes séparatistes ont aidé l’armée à remporter des succès majeurs contre les combattants séparatistes mais le sentiment d’injustice subie et le mécontentement restent fortement perceptibles au sein des communautés.

 

Alors que presque tout est à réhabiliter (routes, écoles, hôpitaux…), il est actuellement hasardeux d’envisager un quelconque redémarrage. Le Plan présidentiel pour la reconstruction et le développement( PPRD) des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest que pilote Paul Tasong, le ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et de la Planification, ne peut que stagner.

 

La crise portée au départ par les enseignants et les avocats, et plus tard par le Consortium des organisations de la société civile anglophone dissoute, autour des questions basiques du vivre-ensemble, est devenue un serpent de mer. Les descentes régulières de missions ministérielles n’y font encore rien. Tout comme la mission de paix du Premier Ministre, Joseph Dion Ngute et le grand dialogue national qui s’en est suivi. A l’envers, le Cardinal Christian Tumi, après avoir été kidnappé par des sécessionnistes modérés, est mort sans organiser la‘’ All anglophone conference’’ qui aurait pu permettre de s’accorder sur les revendications.

Pour le pouvoir en place, la messe est dite depuis l’organisation des premières élections régionales et l’octroi à ces deux régions d’un statut spécial. Or plutôt que de régionalisation, de nombreux anglophones penchent pour le fédéralisme, à tout le moins. Dans son discours de l’an, le Chef de l’Etat s’est voulu clair. « En raison de notre attachement à la paix et à la tolérance, nous avons continué à faire preuve d’ouverture et de dialogue pour mettre fin à cette crise dont nos populations n’ont que trop souffert. C’est ainsi qu’après la tenue du Grand dialogue national, nous avons poursuivi le processus d’accélération et d’approfondissement de la décentralisation.

Depuis cette année, les régions, en tant que collectivités territoriales décentralisées, sont mises en place et commencent à trouver leurs marques. Un statut spécial a été octroyé aux régions du Nord- Ouest et du Sud-Ouest, en tenant compte de leurs spécificités culturelles et linguistiques. D’une manière générale, la régionalisation est en marche dans l’ensemble du pays et contribue à renforcer la participation de nos concitoyens à la gestion des affaires locales ».

Les résistants sont avertis. « Dans la région de l’Extrême- Nord, plusieurs adeptes de Boko Haram ont déposé leurs armes et sont pris en charge dans les Centres de désarmement, de démobilisation et de réintégration. Il en est de même, dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où plusieurs cas de reddition continuent d’être enregistrés. Cependant, l’on compte encore plusieurs de nos compatriotes dans les rangs des bandes armées. Ils continuent de se livrer à des activités criminelles, en multipliant les attaques aux engins explosifs improvisés et les meurtres de civils désarmés.

Le récent assassinat de trois élèves et d’une enseignante du Lycée Bilingue d’Ekondo Titi vient s’ajouter à leur longue liste d’exactions et d’atrocités. Je voudrais à nouveau redire la détermination inébranlable du Gouvernement à restaurer la paix dans les régions en proie à des menaces sécuritaires. Qu’il soit bien entendu que les auteurs et commanditaires de tels actes seront recherchés sans relâche, où qu’ils se cachent, et sanctionnés avec toute la rigueur de la loi. Dans cette lutte acharnée contre la barbarie, je voudrais exhorter le peuple camerounais à intensifier la collaboration avec nos forces de défense et de sécurité, afin de neutraliser les fanatiques de la violence armée et de préserver l’intégrité de notre territoire »,a prévenu Paul Biya.

Aprnews avec 237Cameroun