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Côte d’Ivoire :  Sortir du cycle des affrontements militaires

apr-news/ Bouaké
Dimanche, 14 janvier 2018

Côte d’Ivoire :  Sortir du cycle des affrontements militaires

APRNEWS- Bouaké, ville située au centre de la Côte d’Ivoire à environ 340 km d’Abidjan, est devenue l’épicentre des crises militaires. 15 ans après le déclenchement de la crise militaro-politique de septembre 2002, elle ne semble pas encore ‘’délivrée’’ des sifflements de balles.

En 2017, deux grandes mutineries ont été enregistrées dans la deuxième ville ivoirienne. Des ex-combattants intégrés dans l’armée avaient pris les armes en janvier pour réclamer des primes au gouvernement.

Au mois de mai de la même année, deux autres mutineries avaient été signalées. L’une menée par les ex-combattants intégrés dans l’armée et l’autre par ceux qui sont restés sur la touche.

En janvier 2018, les armes ont encore tonné à Bouaké. De violents affrontements entre militaires et Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), ont amené la population à se terrer chez elle.

Au centre de ces différentes contestations militaires, l’épineuse question de prime. Les militaires qui avaient soutenu le président Alassane Ouattara en 2011 et intégré l’armée, n’ont cessé de réclamer des sommes qui leur auraient été promises.

Lors de la mutinerie de janvier 2017, les 8400 ex-éléments des Forces armées des forces nouvelles (FAFN) avaient perçu la somme de 5 millions (7.500 euros) sur un total de 12 millions (18.000 euros) que chacun devait empocher. Une manne financière destinée à mettre un terme aux ‘’humeurs’’ des contestataires.

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La question des primes a également été le cœur des revendications militaires de mai 2017. Jugeant qu’ils avaient été « trahis », les militaires prirent les armes pour réclamer ce à quoi ils prétendaient.

Les affrontements militaires enregistrés à Bouaké les 5 et 9 janvier 2018, ont également remis au goût du jour les récurrentes préoccupations financières. Sur la liste de leurs revendications, figurait en bonne place, le payement de 12 millions de FCFA (18.000 euros) aux éléments ne faisant pas partie des 8400 et qui de ce fait, n’avaient pas été pris en compte dans le décaissement des 12 millions (18.000 euros).  

Ces affrontements et autres mutineries trouvent également leur source dans le manque de formation d’une bonne partie des soldats. L’Etat a-t-il formé les ex-combattants intégrés dans l’armée ? Si oui, où est donc passé le respect de la discipline ?

Les contestations cycliques des militaires montrent, à satiété, qu’il existe un réel problème de formation des nouveaux intégrés à l’armée. A ce sujet, Bruno Clément-Bollée, ancien commandant de l’opération Licorne de 2007 à 2008 a estimé sur les antennes de RFI, que « ce sont des soldats qui sont au sein de l’armée ivoirienne aujourd’hui et qui n’ont pas eu de formation initiale (…) sans formation initiale, l’éthique et le comportement qu’on peut attendre de ces soldat seraient très fortement à reprendre ». Mettant ainsi l’accent sur ce qui paraît une ‘’erreur de choix’’ dans l’organisation de la nouvelle armée, l’ancien général français a relevé un des maux qui gangrène ‘’la grande muette’’ ivoirienne.

Au problème de formation l’on pourrait ajouter, les divisions internes au sein de l’armée. En témoignent les affrontements des 5 et 9 janvier 2018 entre des éléments de la 3e région militaire de Bouaké et le Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO). Selon des spécialistes, il y aurait une armée dans l’armée ; toute chose qui explique les tensions entre les frères d’armes.

Pour Aline Lebœuf, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI), « L’armée ivoirienne est une armée à deux vitesses. Il y a d’un côté des corps d’élite qui ont la confiance du pouvoir et travaillent dans les meilleures conditions – les forces spéciales, le GSPR [Groupement de sécurité de la présidence de la République], le CCDO [Centre de coordination des décisions opérationnelles]. De l’autre, une armée “sociale” qu’on cherche à contenter pour éviter toute mutinerie, mais à laquelle on ne donne pas de moyens. »

Les divisions au sein de l’armée ainsi que les incessantes contestations qui débouchent sur des affrontements, notamment à Bouaké, ont un impact sur l’économie du pays et la population.

Il est établi que l’argent n’aime pas le bruit. En d’autres termes, un pays ne peut prospérer dans un contexte de crise militaire.

L’instabilité politique constitue, à n’en point douter, un frein à l’initiative des investisseurs internationaux, aux aides au développement des organisations financières internationales. Dans un tel contexte, le chômage des jeunes sera accentué et la pauvreté gagnera du terrain.

Récemment, une étude conjointe de l’Agence française de développement (AFD) et l'Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée (ENSEA) a établi le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire à 47%.

Notons par ailleurs qu’hormis le ralentissement des activités économiques du fait des affrontements militaires, les populations vivent dans la peur. A Bouaké, le traumatisme est réel. « Le moindre craquèlement de branche », précise un habitant « fait sursauter. Nous sommes tous traumatisés ici. »

Après avoir subi la crise post-électorale, la population aspire à vivre en paix, ce qui est rendu hypothétique avec les nombreuses contestations militaires. Pourtant, la Côte d’Ivoire ne peut éternellement demeurer dans un cycle de contestations militaires. En d’autres termes, des mesures méritent d’être prises.  

Il urge que les militaires reviennent aux valeurs qui caractérisent une armée : la loyauté, le respect de la discipline, le respect des symboles de l’Etat. Mais en plus, ils devront se faire partenaires de la population. C’est à cette condition qu’un soldat sera digne de la fonction qu’il exerce.

L’Etat devrait par ailleurs penser à faire l’unité de l’armée. Comme l’on a pu le constater à Bouaké, il existerait une méfiance entre les frères d’armes. Comment des soldats d’une même armée peuvent-ils s’affronter en ce 21ème siècle ? Face à cette situation, les gouvernants doivent songer à organiser des états généraux de l’armée afin de réfléchir en profondeur sur les solutions pour une armée réconciliée.

Nos militaires sont-ils tous formés ? Les dérives constatées ces dernières années n’autorisent pas à répondre par l’affirmative. Cela revient à dire que les autorités doivent s’activer à mettre en place un programme de formation en direction de ceux qui ont intégré l’armée sans qu’ils n’aient reçu une formation adéquate. Par exemple, l’Etat peut construire des écoles de formation à Bouaké, Daloa ou Korhogo.

Il serait aussi judicieux, pour le bien de la population, d’affecter les militaires cantonnés à Bouaké dans les différents camps que compte la Côte d’Ivoire. Cette solution devrait déboucher sur le renforcement du nombre de policiers et de gendarmes dans la deuxième ville de Côte d’Ivoire.

En empruntant ces voies, de réelles chances existent de faire de Bouaké une ville ‘’fréquentable’’, prisée par les touristes.

Serge Kamagaté